Dans son numéro spécial[2] consacré à la Commune de Paris, la société populaire de Villefranche-sur-Saône publie un article de Jean Large, historien, sur le sens du mot "commune". Je le publie à mon tour pour qu’il passe du papier à l’écran. Miracle d’internet. Jean Large montre qu’il faut bien distinguer les deux fonctions actuelles de la commune : elle est à la fois une circonscription administrative -et le maire est alors chargé d’appliquer les ordres de sa hiérarchie préfectorale- et foyer de démocratie puisque son Conseil est élu au suffrage universel et représente la population locale. Le combat pour mettre en place cette seconde fonction remonte au Moyen-âge et j’aime à dire qu’il s’agit de la première grande lutte de l’esprit de révolution contre le traditionalisme. A cet égard, la parole historique de Guibert de Nogent, citée par J. Large est édifiante. Les voies et moyens pour accéder à ces libertés communales sont diverses nous dit l’auteur avec raison. Pour ce qui concerne le cas lyonnais, je renvoie les lecteurs au premier article de ma série "LYON, SON IDENTITÉ, LES REBEYNES ET L’ESPRIT DE RÉVOLUTION". Longtemps après ce mouvement communaliste,
le 6 mai 1789, les représentants du Tiers Etat décideront de s'intituler députés
des Communes. C'était aussi un hommage aux luttes des bourgeois du Moyen
Age et la reconnaissance a posteriori du caractère révolutionnaire de
leur action[3].
Les libertés communales sont si précieuses pour la démocratie que l’on ne
s’étonnera pas de voir les régimes autoritaires supprimer les élections des
maires voire des conseillers : les deux empires napoléoniens, l’Ordre
moral après 1873, Vichy. Inversement, la III° république, une fois les
Républicains majoritaires, non seulement à la Chambre des députés mais
également au sénat et à l’Élysée, développera les libertés des communes. C'est
en 1884 que fut promulguée la loi municipale qui est encore en vigueur : loi
dite "grande
charte républicaine de la liberté municipale".
Seul, Paris, n’aura pas de maire mais seulement un président du Conseil
municipal : c’est que le souvenir de la Commune de 1871 est très frais
dans les mémoires et l’on n’aimerait pas revoir un maire à la tête de Paris "qui n’est
Paris qu’arrachant ses pavés" comme disait Louis Aragon, ami de la
Commune. Jean-Pierre RISSOAN
COMMUNE, commune…. ! APPROCHE HISTORIQUE DU MOT
Par Jean LARGE Société populaire de Villefranche-sur-Saône
D’origine latine - "communis" qui signifie "à l’usage de plusieurs" - le terme de commune prend un sens politique à partir du XIe siècle. Il désigne les villes ayant acquis une plus ou moins grande autonomie politique, fiscale, économique. Le mouvement communal correspond à l’essor des villes et à leur enrichissement grâce au commerce. On comprend alors pourquoi les villes d’Italie et de Flandre furent les premières concernées par le phénomène qui s’étendit ensuite à toute l’Europe Occidentale. "Commune, nom nouveau, nom détestable !.... " s’emporte le chroniqueur Guibert de Nogent, à la fois noble et abbé. C’est que les bourgeois, les habitants des bourgs, réclament et obtiennent des seigneurs laïques ou ecclésiastiques (les évêques sont souvent aussi seigneurs, comme à Lyon), des libertés et des avantages divers, appelés franchises. Scellées dans une charte, elles deviennent intangibles. L’exemple de Laon, où les franchises furent obtenues grâce à une révolte en 1111, trompa longtemps les historiens. En réalité, les chartes furent la plupart du temps négociées avec les seigneurs quand elles ne furent pas proposées par ces derniers voyant là un moyen habile de renflouer des finances personnelles chancelantes. Chaque ville est un cas particulier révélant des rapports de forces complexes et fluctuants en fonction des personnes, des lieux, des époques[4]. La charte de Villefranche fut octroyée par Guichard IV, Sire de Beaujeu, en 1260, mais des privilèges importants, dont il ne reste aucune trace écrite, avaient déjà été donnés aux habitants au siècle précédent. La ville franche doit se défendre par elle-même, se protégeant derrière de solides remparts. « Commune, commune ! » C’est par ce cri de ralliement que les habitants se rassemblent pour faire face à toute menace extérieure ou problème intérieur. Au temps de l’Ancien Régime, les organisations municipales subsistent, notamment pour la perception des impôts, administrées par l’aristocratie bourgeoise, soit des consuls ou des capitouls dans le Sud de la France, soit des échevins dans le Nord. Mais elles sont étroitement contrôlées par le pouvoir royal. Dans les campagnes, les 60.000 paroisses constituent l’échelon local de l’administration. En 1789, les révolutionnaires parisiens s’emparent du pouvoir municipal. L’après-midi du 14 juillet, Jacques de Flesselles, le prévôt des marchands (c’est le nom du premier magistrat parisien) est fusillé devant l’Hôtel de ville. La commune de Paris est alors créée, dirigée par le maire aidé de 16 administrateurs assistés d’un conseil municipal de 32 membres et d’un conseil général de 96 membres. Bailly est le premier maire. La loi du 14 décembre 1789 crée les communes comme la plus petite division administrative avec le même statut sur l’ensemble du territoire. Le 10 août 1792, la "Commune insurrectionnelle" est proclamée. Les Jacobins qui la dirigent prétendent représenter non seulement le peuple parisien mais la France entière, envoyant des commissaires qui créent, à côté des municipalités, des comités de surveillance. Sa responsabilité semble engagée dans les massacres de septembre 1792. La Commune insurrectionnelle fit peser sur la Convention tout le poids de la vigilance populaire. A partir de septembre 1793, le Comité de Salut Public réussit à imposer son pouvoir. Après la chute de Robespierre et des Montagnards, le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), la Convention parvient à anéantir le pouvoir municipal (93 membres de la Commune furent guillotinés). La constitution de l’an III (1795), constitution bourgeoise qui rétablit le suffrage censitaire et confie le pouvoir exécutif à cinq directeurs, supprime le conseil municipal de Paris pour empêcher toute velléité de rassemblement révolutionnaire et crée 12 municipalités qui deviendront des arrondissements portés à 20 sous le Second Empire[5]. Mais dans l’ensemble du pays, les communes subsistent comme divisions administratives, les maires étant nommés la plupart du temps par le pouvoir central. C’est en référence à la Commune insurrectionnelle de 1792, que le Conseil Municipal de Paris, élu en mars 1871, choisit, pour désigner l’entité politique parisienne, le nom de Commune de Paris (28 mars). Peut-on parler de communes dès septembre 1870, pour les villes, comme Lyon et Villefranche, où les républicains prennent le pouvoir ? La commune a toujours eu un double statut antagoniste : la plus petite division administrative (d’un pouvoir centralisé) et la structure de base de la démocratie. Dans l’idéologie communaliste, la commune est le centre de la vie administrative, l’Etat n’étant qu’une fédération de communes. Cette conception issue en grande partie des idées de Proudhon, mais pas uniquement, n’est pas nouvelle au printemps1871. C’est celle d’un grand nombre des révolutionnaires parisiens qui, comme leurs ancêtres de 1792, essaient d’imposer leur vision politique à l’ensemble du pays. La Commune de Paris a donc bien une place à part, non seulement par sa dimension tragique, mais aussi par la révolution politique qu’elle a essayé d’impulser. Pour les autres villes, la prise de pouvoir par les républicains, l’élection d’un conseil municipal à majorité républicaine et d’un maire républicain, participent au rétablissement de la commune dans sa dimension politique, mais assiste-t-on à des tentatives d’émancipation du pouvoir de l’Etat ? C’est cette revendication qui permet de déceler l’adhésion à la thèse fédéraliste. Pour Villefranche la réponse est négative, mais à Lyon, en septembre 1870, il s’agit bien d’une "Commune". Ainsi, en 1870, le terme de commune peut avoir des sens un peu différent selon les villes. Dernière mise au point sémantique : les militants de la Commune se nommaient entre eux, des communeux et non des communards. Ce terme péjoratif -comme tous les mots terminés par le suffixe "ard" - était employé par les opposants. Dommage que l’Histoire n’ait retenu que ce terme ! [1] Livre de Laure Godineau, "La Commune de Paris par ceux qui l'ont vécue", Parigramme édition. [2] Société populaire de Villefranche-sur-Saône, "Villefranche pendant la guerre de 1870 et la Commune de 1871", numéro spécial, n°15, mai 2011, 58 pages. Disponible au siège de la Société : 55 rue Hoche, 69400 Villefranche. societepopulaire@free.fr [3] Extrait du chapitre I de mon livre « Traditionalisme et Révolution ». , [4] Lire les Actes du Colloque sur la Charte de Villefranche, organisé par l’Académie de Villefranche, les 3 et 4 décembre 2010, en particulier la brillante intervention de Bruno Galland. L’intervenant compare les chartes de Lyon, de Vienne et de Romans. [5] Pour les mêmes raisons, les fondateurs de la IIIème République maintiennent la ville de Paris sous la dépendance de l’Etat (le préfet aidé du préfet de police exerce le pouvoir sur l’ensemble de la ville). Il faut attendre la loi du 31.12.1975 pour que la fonction de Maire de Paris soit crée et que la ville retrouve le statut commun. |