Deux évènements d’actualité, de nature et d’importance différentes- m’interpellent, comme on dit sur les plateaux télé - et placent mon site au cœur de leur problématique : les nouveaux programmes d’histoire et les propos de R. Guédiguian qui vient de sortir un nouveau film[1]. Concernant le premier point, il faut savoir - c’est la partie émergée de l’iceberg - que l’histoire et la géographie disparaissent des programmes de terminales scientifiques. Tout est transféré en classe de première à l’issue de laquelle les lycéens passeront une épreuve comptant pour leur baccalauréat. Les programmes sont à l’avenant. Pour faire rentrer les connaissances il faut comprimer les programmes de la classe de première, des pans entiers de notre histoire de France disparaissent. Je renvoie le lecteur à une tribune publiée par mon collègue et ami Gilbert Dumas (avec Jérôme Tressallet) Une lecture du XXe siècle rendue illisible pour les lycéens d’aujourd’hui [2]. Laurence de Cock, quant à elle, déclare que "la suppression de l’histoire en terminale S est symptomatique d’un pouvoir qui considère que, dans notre société, l’acquisition de compétences techniques prime sur l’acquisition d’un esprit critique"[3]. Pourquoi, il y a quelques années, les élèves de terminales scientifiques avaient-ils 4 heures d’histoire-géo par semaine et pourquoi passe-t-on à zéro ? Y-a-t-il, à ce point, effondrement du niveau scolaire ? Je suis bien placé pour savoir que parents et élèves sont avant tout - dans leur grande majorité - préoccupés par la recherche d’un emploi et « l’histoire-géo » apparaît comme superfétatoire. Mais rappelons-nous que le peuple peut être sollicité par referendum : le dernier en date, 2005, sur le traité constitutionnel européen (TCE) était extrêmement important. Il faut une culture générale pour exercer son devoir de citoyen. Faute de quoi, certains démissionnent et s’abstiennent de voter. Or, le TCE a des conséquences sur l’emploi en France, en Europe. Notre démocratie est donc en danger. Mais qui s’en soucie ? L’avis du peuple donné en 2005 a été contourné par un vote du Congrès (c’est quoi ? ) sur le traité de Lisbonne. Un grand historien français a porté sur mon livre, Traditionalisme & Révolution, une appréciation plutôt négative en disant qu’on ne savait pas, à sa lecture, si "c’était un manuel ou un essai". Un manuel, c’est-à-dire un exposé didactique des faits, un récit, ou un essai c’est-à-dire -comme le nom l’indique- une tentative d’explication, une nouvelle interprétation de l’histoire de tel ou tel phénomène, l’expression d’une pensée personnelle. Cette critique est juste. Mais comment réfléchir et faire réfléchir le lecteur s’il ne possède pas, si l’on ne possède pas la connaissance des faits ? J’ai lu des essais -de grande qualité- qui font référence à une quantité élevée de faits historiques relevant de plusieurs pays et qui, de facto, sont réservés à l’élite. Mais précisément, je voulais, je voudrais m’adresser au plus grand nombre. On se dirige vers deux types de publications : l’Histoire de France pour les Nuls, d’une part, et les ouvrages de réflexion et de culture pour les happy few d’autre part. Cette réforme des programmes ne va pas arranger les choses. Euphémisme. Quant à Robert Guédiguian, il pose aussi le problème de la place de l’histoire, mais celle du mouvement révolutionnaire. Ce qui est tout aussi essentiel, si l’on veut résoudre le problème précédent. Face à la faiblesse actuelle du Front de gauche, - « Il est incompréhensible que le Front de gauche ne cartonne pas dans les quartiers populaires, dans les banlieues » dit le cinéaste - il faut « un travail de reconquête, que les idées re-pénètrent le peuple ». « Pour les uns, sur le terrain politique, le combat est mobilisé par le fait qu'il faut disposer de beaucoup d'élus ; pour les autres, sur le terrain syndical, pour que les acquis du siècle ne soient pas effacés, détruits. On a là deux grands axes mais le troisième, celui de la transmission, est absolument négligé (c’est moi qui souligne, JPR)». « Je mesure l'immensité de la tâche. Elle demande de la patience. Il faut repartir. Il n'y a pas eu que du déclin mais une cassure de vingt-cinq à trente ans (idem) dans ces valeurs ouvrières, de gauche (…), ces traditions d'ouverture, d'internationalisme... Tout se passe comme sil fallait recommencer de zéro, comme si ces choses étaient une langue étrangère. Cela demande beaucoup d'habileté et d'humilité ». C’est la mission de ce site modeste -qui n’a pas attendu les consignes- de participer à ce devoir de transmission du savoir, à cette tâche de passage du témoin entre les générations, celle de mai 68 et celle du pôle emploi. Si la génération « perdue », située entre les deux, comme le dit Guédiguian, veut se joindre au combat, elle est bien venue. Cela va de soi. [1] Les neiges du Kilimandjaro, en salle. [2] Journal L’Humanité du 15 novembre 2011, disponible sur le site de l’Humanité.fr http://www.humanite.fr/search/sinequa_search/gilbert%20Dumas/one_month [3] Laurence de Cock est coauteure de La fabrique scolaire de l’histoire publiée chez Agone en 2009 et membre du comité de vigilance contre les usages publics de l’histoire. |