Le commandant PICQUART ou l'armée républicaine.

publié le 18 nov. 2019, 03:17 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 3 déc. 2019, 03:31 ]

Je publie un extrait du chapitre de mon livre consacré à « L’Affaire ». Il s’agit de la page dédiée au Commandant Picquart, militaire dont le sens de l’honneur et l’honnêteté intellectuelle ont dépassé son antisémitisme commun et son habitude professionnelle de l’obéissance. Que l’on songe que cet homme a été emprisonné ! Il a tout subi à l’époque de la République opportuniste qui était dirigée par la droite traditionaliste de Méline. C’est la victoire de la république radicale qui lui sauve la vie. Clemenceau, dreyfusard militant, est élu Président du Conseil en octobre 1906 et choisit Picquart comme ministre de la Guerre. Lequel Picquart a été réhabilité et promu au grade de général. Il meurt en janvier 1914 des suites d’une chute de cheval.   

Picquart

 

La hiérarchie militaire a tenté de démolir la noble figure du colonel Picquart sans qui, on le sait, la réhabilitation n'aurait jamais eu lieu. 

Lorsqu'il parle à son supérieur de la découverte du petit bleu, Picquart s'attire cette réflexion du général Gonse, sous-chef d'état-major général :"qu'est-ce que ça peut vous faire que ce Juif reste à l'Ile du Diable ? (…) Si vous ne dîtes rien, personne ne le saura". Picquart, ulcéré, réplique : "ce que vous dites là est abominable, (…), en tout cas, je n'emporterais pas ce secret dans ma tombe". A partir de ce moment, entre Picquart et tous les autres, ce sera la guerre au ministère de la Guerre. Combat inégal.

Le servant Henry est chargé de surveiller son supérieur Picquart. La correspondance qui est adressée à celui-ci dans l'exercice de ses fonctions est interceptée. Le même Henry fait des faux en écriture pour accabler Picquart. Picquart est envoyé en mission en Afrique. Son domicile est perquisitionné. Lors du procès Esterhazy, tout est fait pour charger Picquart, au point que l'un des juges, voyant Picquart si malmené, déclara : "je vois que le colonel Picquart est le véritable accusé. Je demande qu'il soit autorisé à présenter toutes les explications nécessaires…". Et cela en plein procès d'Esterhazy, crapule ignominieuse, il y a unanimité sur ce point, même chez les antidreyfusards ! Mais l'acquittement d'Esterhazy implique la culpabilité de Picquart, et effectivement, dès le lendemain, Picquart est mis aux arrêts de forteresse "à raison des faits révélés par l'instruction et les débats de l'affaire Esterhazy". C'est l'honneur de l'armée que l'on met en prison… Picquart est déféré devant un Conseil d'enquête qui prononça qu'il y avait lieu de le mettre en réforme "pour faute grave contre la discipline". Picquart avait déjà répliqué devant ses juges : "si l'on veut me mettre à la porte de l'armée, je m'inclinerais fort de ma conscience. Le Conseil appréciera si le lieutenant-colonel Picquart doit être chassé de l'armée alors que le commandant Esterhazy se promène encore aujourd'hui avec sa croix et son grade". Et, au lieu de le remettre en liberté, on le reconduit dans sa cellule. Au procès Zola, Picquart fait une déposition remarquable qui suscite des cris "vive Picquart !" à quoi le général de Pellieux rétorque "vive Picquart, cela veut dire A bas l'Armée !". Mais Picquart a confondu Pellieux : la pièce évoquée par le général est un faux ! Cet incident ira loin puisque le ministre de la guerre, Cavaignac, totalement persuadé de la bonne foi de tous, annonce à la chambre des députés qu'il fera la démonstration de la justesse des documents. Picquart lui écrit pour lui demander de pouvoir lui faire la démonstration que "sa bonne foi a été surprise". Cavaignac dépose plainte –pour divulgation de documents intéressants la sûreté de l’État- contre Picquart qui, libéré après son expulsion de l'armée, et de nouveau incarcéré à la prison de la Santé. Traduit devant un tribunal correctionnel, un renvoi fut prononcé, à la surprise générale, ce qui permit de le garder en prison cependant qu'une information militaire –visant à le faire passer en conseil de guerre- était ouverte contre lui. C'est alors que Picquart eut ces paroles dramatiques : 

"J'irai peut-être ce soir au Cherche-Midi (prison militaire). C'est probablement la dernière fois, avant cette instruction secrète, que je puis dire un mot en public. Je veux que l'on sache, si l'on trouve dans ma cellule le lacet de Lemercier-Picard ou le rasoir d'Henry, que ce sera un assassinat, car jamais un homme comme moi ne pourra avoir un instant l'idée du suicide. J'irai le front haut devant cette accusation et avec la même sérénité que j'ai apportée devant mes accusateurs. Voilà ce que j'avais à dire".

    Peut-on mieux faire comprendre que sa vie était en danger. Que les mailles du filet se resserraient sans cesse ? Que l'Armée était prête à le faire disparaître ?

    Lemercier-Picard est un calligraphe qui aida Henry a fabriqué ses faux en écriture. On le retrouva pendu à l'espagnolette de sa fenêtre, à son domicile. Quant à Henry, emprisonné après ses aveux, il se trancha la gorge avec un rasoir dont on se demande comment il a pu franchir les portes de la prison. Henry qui, avant de "se suicider", avait dit à sa femme, en parlant de ses acolytes de l'état-major, "je suis perdu. Ils me lâchent !". Les lâches.

Oui, tout fut fait pour détruire Picquart. La machine à broyer était en marche. Comme Zeev Sternhell a raison de parler de pré-fascisme pour qualifier cette période horrible de notre histoire ! Mais les luttes démocratiques ont permis l'heureux aboutissement que l'on sait. Picquart fut mis en liberté le 13 juin 1899, après 330 jours de détention préventive. Aboutissement pas si heureux que cela puisque on ne réussit pas à faire tenir un troisième conseil de guerre qui aurait dû innocenter Dreyfus. Déjà, Zola dans "j'accuse !" s'était interrogé : "Comment a-t-on pu espérer qu'un conseil de guerre déferait ce qu'un conseil de guerre avait fait ?". C'est la cour de cassation qui dut s'en charger. L'Armée, au demeurant, n'a jamais fait son auto-critique. 

 

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