4 septembre 1870 : la chute ; 5 septembre : le retour...

publié le 16 août 2018, 03:16 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 4 sept. 2020, 06:32 ]

5 septembre 1870 : Le retour triomphal de l’exilé Victor Hugo

 

Ceci est un coup de cœur. Je termine l’excellent livre d’Annette Rosa qui se lit en 24 heures chrono. Victor Hugo est un personnage historique hors normes qui est resté dix-neuf ans en exil (19 ans !) à Jersey, puis à Guernesey avec des séjours à Bruxelles. Victor HUGO, l'homme de Notre-Dame...Sa notoriété était intacte. Toute sa production littéraire se vendait comme des petits pains, fût-ce sous le manteau. Notez par exemple cet épisode, daté de 1867, où Napoléon-le-petit autorise la représentation d’ Hernani :

"C'est un triomphe pour Victor Hugo. Le nom du proscrit est acclamé, le génie de sa pièce reconnu, la recette... prodigieuse ! Redoutant les malentendus de 1830, l'auteur avait recommandé quelques modifications pour les vers les plus "chauds". Le soir de la Première, la salle, qui savait la pièce par cœur, exigea le texte authentique et applaudit avec frénésie ce que le public de 1830 avait sifflé. Tous les survivants de la "bataille" (de 1830, JPR) étaient là : Gautier, Dumas, Meurice[1], Vacquerie[2]. Adèle surtout, dont ce fut la dernière fête. Sous leurs yeux attendris, une autre jeunesse qu'on n'avait pas eu à recruter - Verlaine, Banville, Coppée - faisait là, publiquement, de Hugo le père de la poésie nouvelle. Soixante-dix représentations devant des salles combles confirmèrent le succès. La reprise de Ruy Blas s'organisait (…).

 L'ovation

Le 4 septembre 1870, défaite de l'armée française, à Sedan. L'Empire est déchu, la République proclamée à Paris. Le 5, Victor Hugo, accompagné de sa famille, prend à Bruxelles le train qui le ramène, après dix-neuf ans d'exil, en France. Un cri le suit de gare en gare "Vive Victor Hugo !". Paris, dix heures du soir c'est "l'accueil indescriptible" d'"une foule immense" que personne n'a convoquée et qui, dans les éclats de la Marseillaise (qui n’est pas encore l’hymne national ! JPR) et du Chant du départ, salue la Liberté rentrant dans Paris. Hugo mettra deux heures à parvenir chez lui, serrant des milliers de mains, tandis que des vers de Châtiments roulent de bouche en bouche, au-dessus des vivats. Aucune voix officielle n'ayant salué l'arrivée du poète, le ciel compense ce silence par un immense orage.

Le 10 septembre, l'ovation spontanée se reproduit place de la Concorde, où Victor Hugo est allé signer le registre placé au pied de la statue de Strasbourg couronnée de fleurs. Hommage rendu par le poète à l'Alsace héroïque, mais aussi, discrètement, à celle qui avait été jadis pour le sculpteur Pradier le modèle de la ville de pierre : Juliette.

Hugo, dès lors, occupe dans ce Paris de la guerre une place curieuse. Il n'est "rien", sans position ni responsabilité publiques Pourtant, les lettres, les délégations, les députations, les visites politiques - innombrables - le mettent pratiquement au rang d'homme d'État. Un membre du gouvernement provisoire, même, lui "demande audience". De partout, on le consulte, on sollicite son appui, son intervention. Après tant d'années de solitude, et même d'abandon, le voilà au centre d'une effervescence qui le ravit, à coup sûr, mais surtout lui accorde - en tant que poète - une autorité sans précédent dans l'histoire. Il est le point de rencontre de tous les horizons : hommes de lettres et poètes (Banville[3], Th. Gautier) viennent renouer avec leur idole d'antan; généraux, officiers de tous grades, hommes politiques de tous bords (Jules Simon, Gambetta, Jules Ferry, Flourens[4]), frères d'exil (Louis Blanc, Edgar Quinet, Ledru-Rollin), jeunes inconnus bientôt glorieux (Louise Michel), célébrités (Nadar[5]), se croisent journellement chez lui et voisinent à sa table avec les amis simples et obscurs que Hugo estime.

Plus extraordinaire encore est, en cet automne 1870, le culte que lui voue le peuple parisien.

Un canon nommé Victor Hugo

Très vite en effet, les républicains - qui ne se reconnaissent pas encore en Marianne - vont faire de Victor Hugo l'effigie de la liberté combattante l'emblème d'une République patriote. On crie dans les rues sa "photographie populaire" vingt-cinq centimes (Victor Hugo, tout content, l'achète et en note le prix dans son carnet.) Son portrait illustre un tract publicitaire pour des machines à coudre; une médaille, vendue cinq centimes, associe son nom à la devise républicaine. Bientôt, sont baptisés "Victor Hugo" un ballon postal, un orphelinat, le boulevard Haussmann. Une collecte - un sou par tête - s'organise pour fondre un canon "Victor Hugo". Hugo refuse. Il n'accordera qu'à un troisième canon le parrainage de son nom, mais accepte pour le second celui de Châtiments. C'est 1a gloire vraiment populaire pour ce recueil qui, en son temps, n'avait rencontré que peu d'échos. L'éditeur en multiplie les éditions : vingt mille exemplaires vendus - uniquement à Paris - en deux mois. Seule, la pénurie d'encre - effet du siège - en stoppera la diffusion. Parallèlement aux rééditions, des lectures publiques de Châtiments s'organisent, au profit des blessés et de la défense de Paris. Hugo qui, à chaque fois, abandonne ses droits d'auteur, obtient même que le prestigieux et peu démocratique Opéra s'ouvre gratuitement au peuple, avide, lui aussi, d'entendre déclamer par les plus grands acteurs Nox, L'Expiation ou Sacer esto. Bientôt, on consomme du Châtiments sur toutes les scènes. "On dit des pièces de Châtiments à tous les spectacles. C'est affiché partout. Le mot Châtiments couvre les murs... On a renoncé à me demander l'autorisation de dire mes œuvres sur les théâtres. On les dit partout, sans me demander la permission. On a raison. Ce que j'écris n'est pas à moi. Je suis une chose publique"[6]. Chose publique : entendez : Respublica = République. Dans Paris assiégé, coupé du reste de la France, divisé sur ce que sera la République encore provisoire, Victor Hugo devient l'image mythique qui efface les divergences politiques et sociales et concrétise l'union de toutes les forces démocratiques dans une Patrie en danger. (…).

Il s'est acheté un képi et projette d'accompagner la sortie du bataillon de la garde nationale auquel ses fils appartiennent. Avec respect, on lui signifie l'interdiction de risquer sa vie : "La garde nationale de Paris fait défense à Victor Hugo d'aller à l'ennemi, attendu que tout le monde peut aller à l'ennemi, et que Victor Hugo seul peut faire ce que fait Victor Hugo" (9 décembre 1870).

Il se contentera donc de l'action psychologique et d'une résistance vaillante à une alimentation de plus en plus douteuse. La viande manque dès octobre, en novembre, "un rat coûte huit sous". Bientôt

Nous mangeons du cheval, du rat, de l'ours, de l'âne

Paris est si bien pris, cerné, muré, noué

Gardé, que notre ventre est l'arche de Noé :

Dans nos flancs toute bête, honnête ou mal famée,

Pénètre et chien et chat, le Mammon, le pygmée,

Tout entre, et la souris rencontre l'éléphant.[7] "

 

Extraits du livre d’Annette Rosa, "VICTOR HUGO, l’éclat d’un siècle", 1985, Éditions Messidor/La Farandole, Paris, 214 pages.

 

 



[1] Paul Meurice (1820-1905) Disciple et ami dévoué de Hugo jusqu’à la mort et au-delà…Durant l’exil, il représente Hugo auprès des éditeurs et des théâtres, dramaturge célèbre, il adapte au théâtre Les Misérable avec Charles Hugo. Exécuteur testamentaire de Hugo avec Vacquerie. Note d’A. Rosa.

[2] Auguste Vacquerie (1814-1895), frère de Charles gendre de V. Hugo. Admirateur et familier de Hugo dès 1836, il fait partie du "clan". Exécuteur testamentaire avec Meurice, il entreprend le classement et la publication des œuvres posthumes. Note Rosa.

[3] Théodore de Banville (1823-1891), poète virtuose dont l’admiration pour Hugo (ni le soutien) n’a pas cessé. VH votera pour lui à l’Académie française en 1884 (note de A. Rosa).

[4] Gustave Flourens (1838-1871), professeur d’histoire, interdit sous l’Empire, combat avec les Crétois contre les  Turcs et sollicite pour eux l’appui de V. Hugo. Membre de la Commune, assassiné par les Versaillais le 3 avril 1871. Note d’A. Rosa.

[5] NADAR, (Félix Tournachon dit), 1820-1910, dès 1854, commence à publier les portraits photographiques de ses illustres contemporains (Baudelaire, Nerval, Hugo etc.). Aéronaute passionné, il fait construire un immense ballon Le Géant. Il organise pendant le siège de Paris un système de ballons captifs pour observer l'ennemi. C'est dans un ballon de Nadar - Le Barbes - que Gambetta quitte Paris le 6 octobre 1870 pour gagner la province. En hommage à Nadar, Jules Verne baptisa son héros Michel Ardan (anagramme de Nadar)

[6] Carnets de V. Hugo. novembre 1870.

[7] Dans L’Année terrible.

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