Pierre Sudreau est mort. C’est une grande figure de la Résistance
qui disparaît. Son histoire, sa biographie si l’on veut, appartient maintenant au
patrimoine national. C’est un exemple.
J.-P. R.
PIERRE SUDREAU, RÉSISTANT FACE A LA SERVITUDE
par Charles Silvestre journaliste
Décédé à l’âge de quatre-vingt-douze ans, Pierre Sudreau, grand résistant, ancien ministre du général De Gaulle, a eu une vie marquée par le courage et l’engagement. Dernier survivant du gouvernement formé par le général de Gaulle en 1958, le centriste Pierre Sudreau est décédé dimanche dernier à Paris à l’âge de quatre-vingt-douze ans. Grand-croix de la Légion d’honneur, auteur d’une autobiographie, Au-delà de toutes les frontières, il a présidé la Fondation de la Résistance dont il avait confié la vice-présidence, en 1974, en dépit des réticences, à la communiste Marie-Claude Vaillant-Couturier. Pierre Sudreau devient, à vingt-trois ans, le plus jeune chef d’un réseau de résistance, le réseau Brutus, avec André Boyer et Gaston Deferre. Arrêté par la Gestapo le 10 novembre 1943 à Paris, torturé, il est pendu par les poignets vingt heures durant. Sur le point de céder, son compagnon, Jean-Maurice Hermann, lui dit : « Mieux vaut la mort. Il faut savoir quitter la vie avec dignité.» Il lui vouera depuis une reconnaissance éperdue. Déporté à Buchenwald en mai 1944, il apprend avec Stéphane Hessel qu’ils vont être pendus. Un détenu tchèque les prévient à temps. Un mort du crématorium prendra le nom de Hessel. Ils deviennent, jusqu’à sa libération en 1945, des clandestins du camp. De cette époque, il garde des idées claires qu’il exprime, encore en 2007, dans un entretien accordé à l’Humanité sous le titre «Dans la France attentiste, Châteaubriant a fait choc». Il s’agit alors de la polémique soulevée par Nicolas Sarkozy recommandant la lecture de la dernière lettre de Guy Môquet. Pour lui, le «tableau de la guerre» se met en place en 1941 : «22 juin, invasion de l’Union soviétique ; 22 octobre, exécutions à Châteaubriant ; début décembre, Pearl Harbour, attaque japonaise de la flotte américaine ; fin décembre, parachutage en France de Jean Moulin…». La vie de Pierre Sudreau, c’est la Résistance. Et son grand homme, c’est le général de Gaulle. Sans en devenir un inconditionnel. Fin mai 1958, de Gaulle lui confie le portefeuille de la Construction. Avec Georges Pompidou, en 1962, il passe à l’Education nationale. À peine quelques mois, et il démissionne, en désaccord avec la réforme constitutionnelle et l’élection du président au suffrage universel. «De Gaulle est un rassembleur, il ne doit pas être un diviseur», lui dira-t-il . La Résistance, toujours la Résistance. Il déteste la querelle. Il n’est pas, et de loin, communiste, mais lorsque Marcel Paul est mis en cause pour son rôle prétendument partisan à Buchenwald, il rend hommage à son courage, à son dévouement au service de tous. À Denis Kessler, vice-président du patronat, qui a lancé son «Adieu à 1945» contre le «compromis gaullistes-communistes», il répond : «C’est absurde. S’attaquer aux problèmes du monde n’exige en rien de piétiner notre passé. Les réformes de la Libération ne doivent en aucun cas être balayées.» L’une de ses dernières interventions devant une assemblée de résistants se conclut par un appel à «refuser la servitude», à «ne pas se coucher, à se battre». Pierre Sudreau n’a jamais oublié le jeune homme qu’il avait été face à la Gestapo. Charles Silvestre L’Humanité du 24 janvier 2012 |