Le
26 juin 1944, quatre automobiles font irruption dans la cour de la
ferme de la famille Brillant au lieu-dit La Brosse, commune du Plantis
(Orne). Les pneus crissent, les freins hurlent, les portes claquent, des
cris… En un instant, la ferme est cernée, puis occupée par des soldats
en uniforme de la Wehrmacht, des policiers allemands et des miliciens
français. Ils recherchent le père et le fils, tous deux absents,
pressent de questions ponctuées de coups Armelle Brillant, qui reste
muette. Ces détails sont rapportés dans le rapport d’un gendarme venu
sur les lieux le 1er juillet. La ferme est fouillée de fond en comble,
deux hommes sont découverts. « Ces jeunes gens, sur le compte desquels
aucune identité n’est connue, poursuit le gendarme, ont été
principalement interrogés par les Français. Sous un déluge de coups et
après avoir brisé un manche de pelle sur les épaules des jeunes gens qui
avaient les poignets liés derrière le dos, les Français ont dû
interrompre leurs mauvais traitements sur la réprobation de l’autorité
allemande. » Et le gendarme d’émettre une hypothèse bien dans l’air du
temps : « Ces jeunes gens devaient faire partie d’une organisation
politique servant les intérêts d’une puissance étrangère. L’autorité
allemande a voulu déceler cette organisation », conclut ce brigadier
rompu aux éléments de langage du régime de Pétain.
Des années de recherches sont à l’origine de cette reconnaissance
Poursuivons le récit à la lumière d’un autre rapport de
gendarmerie, établi en avril 1945, soit après la Libération. Armelle
Brillant, devenue conseillère municipale, explique qui étaient les deux
hommes découverts chez elle : « Mon mari et moi avons hébergé dans le
courant du mois de juin 1944 le résistant Philippe Joseph, résidant au
Mans. Cet homme était accompagné d’un autre résistant du nom de Jarrier
Lucien. Philippe était arrêté par la milice et la Gestapo, pendant que
Jarrier prenait le large. Philippe a été frappé sauvagement. Et devant
son refus de répondre aux questions qu’on lui posait, il a été aligné
sur le mur de l’écurie et fusillé. » Un médecin qui examina le corps de
la victime dénombra 29 impacts tirés à bout portant. Ainsi mourut, à
quelques semaines de la Libération, Joseph Philippe, à l’âge 38 ans,
père d’une petite fille de 8 ans, combattant du maquis au sein du
mouvement Vengeance, que les policiers collaborationnistes avaient
vraisemblablement réussi à infiltrer.
Soixante-quinze ans après son assassinat, samedi, en
l’Hôtel des Invalides, la médaille de la Résistance a été décernée à
titre posthume à ce militant du Parti communiste et de la CGT. À
l’origine de cette reconnaissance, il y eut l’opiniâtreté de Sébastien
Corrière, son petit-neveu qui a consacré plusieurs années de recherches à
reconstituer les étapes de la vie de son aïeul, né en 1906 à
Saint-Nicolas-près-Granville (Manche), dans une famille ouvrière et
militante. Son père, cheminot, est membre de la SFIO. Deuxième d’une
fratrie de quatre enfants, Joseph est ouvrier ajusteur au Mans. Il
épouse Germaine en 1932. De leur union naîtra une fille en 1936. Il
participe activement au Front populaire. Mobilisé à la déclaration de
guerre, fin 1939, il est arrêté et fait l’objet d’un internement
administratif dès l’armistice de 1940. Le militant communiste, qui
n’acceptera jamais de renier son parti, sera interné successivement à
Saint-Lô, à Rennes puis dans le Tarn à Saint-Sulpice-la-Pointe et à
Rabastens, d’où il s’évade en mars 1943 pour rejoindre le maquis au sein
du mouvement Vengeance.
"J’ai voulu retracer avec précision le parcours de Joseph"
« Très attaché aux souvenirs que ma grand-mère normande me
rapportait sur son grand frère lorsque j’étais adolescent, j’ai voulu
retracer avec précision le parcours de Joseph. Bien que vivant à
Antibes, j’ai encore de la famille en Normandie, ce qui m’a permis de me
rendre sur place », explique aujourd’hui Sébastien Corrière. Pendant
plusieurs années, le jeune homme a enquêté, exploré les services
d’archives du ministère de la Défense à Vincennes, des départements du
Tarn, de l’Orne, du Calvados… Ces recherches permirent notamment de
faire porter la mention « mort pour la France », qui avait été oubliée
sur l’acte de décès, et de faire corriger la date de sa mort sur sa
tombe à la nécropole de Chasseneuil-sur-Bonnieure (Charente). À son
décès, sa veuve avait entrepris quelques démarches administratives, lui
attribuant le statut d’interné politique et d’interné résistant. « Je
souhaitais que lui soient attribuées les récompenses que la nation lui
devait », poursuit son neveu. En 2016, le ministère des Anciens
Combattants lui attribua le statut de combattant volontaire de la
Résistance ; en avril 2018, est paru le décret présidentiel lui
décernant la médaille de la Résistance.
Au cours de ses trois années d’internement, des demandes
de libération avaient été adressées par son épouse. En vain. « La
conduite de cet interné est bonne, écrit un commandant de camp,
cependant il refuse de signer une déclaration condamnant le Parti
communiste. Sa libération ne me paraît pas opportune… »