Le coup du 10 juillet 1940 : la République abattue…….

publié le 26 juin 2013, 12:26 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 2 févr. 2017, 04:51 ]
08/07/2010  

Il y a soixante-dix ans, le 10 juillet 1940, à Vichy, les chambres (députés et sénateurs) réunies en Assemblée nationale, se donnent à Pétain qui en profite pour évincer la République et mettre en place « l’ État français ».

Quelques mots sur la mise en place "juridique" du régime de Vichy sont nécessaires car ceux qui seront jugés par la Résistance ou au moment de la Libération auront tôt fait de mettre au point leur système de défense. Ils n’ont agi que sur ordre du Maréchal, ‘régulièrement’ –selon eux – installé au pouvoir. Ainsi, le 17 février 1944, lors de son procès à Alger, Pucheu, encore ministre, il y a peu, à Vichy, l’homme des Sections spéciales et du massacre des otages de Châteaubriant, met en avant le point suivant : "ma responsabilité personnelle doit nécessairement être pesée en fonction des conditions très particulières de délégation d’autorité et de signature donnée au seul Maréchal Pétain par la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940" [1]. L’avocat Isorni, défenseur de Brasillach coupable d’intelligence avec l’ennemi, avancera la même idée au procès de ce dernier, le 19 janvier 1945. Il oppose dès le début du procès une sorte de question préalable :

"Plaise à la cour de justice (…) « Attendu que cette politique dite de collaboration a été annoncée officiellement par le Maréchal Pétain, alors chef de l'État Français, dans un message radiodiffusé, à la Nation Française, le 30 octobre 1940, (…) ; « Attendu qu'il n'est pas douteux que l'Assemblée Nationale, réunie le 10 juillet 1940 sous la présidence de M. Jules Jeanneney avait régulièrement donné au Maréchal Pétain tous pouvoirs, même constitutionnels (…) ; « Attendu que Robert Brasillach n'a fait que suivre la politique voulue par le chef de l'État, qu'il n'a donc été que l'exécutant des consignes du gouvernement légal diffusées par la radio et par la presse ; (…) ; « attendu que, dès lors, il y a lieu de surseoir à statuer en ce qui concerne Robert Brasillach jusqu'à ce qu'une décision de justice définitive soit intervenue en ce qui concerne le Maréchal Pétain et les membres du gouvernement ;

« Par ces motifs

Surseoir à statuer sur les faits reprochés à Robert Brasillach, jusqu'au moment où sera intervenue une décision de justice définitive à l'égard du Maréchal Pétain et des membres du gouvernement" [2].

Il est cocasse de voir ces hommes en appeler à la légitimité républicaine… Il faut rappeler, d’une part, que les décisions de l’Assemblée Nationale de Vichy, le 10 juillet 1940, ne sont pas libres : l’ennemi est à la porte, il en a même franchi le seuil. D’autre part, selon le droit public créé par la tradition révolutionnaire de 1789, le pouvoir constituant (originel, disent les juristes constitutionnalistes) appartient au peuple souverain (art. 3 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen), pouvoir qui peut être délégué à une assemblée qui possède dès lors un pouvoir constituant dérivé. Et c’est tout. L’assemblée en question ne peut pas déléguer à un autre délégué, car de fil en aiguille le peuple est démuni de son pouvoir et on aboutit au pouvoir personnel. En droit, l’Assemblée Nationale (députés et sénateurs) n’était pas habilitée à voter le fameux article unique de la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 "qui donne tout pouvoir au gouvernement de la république, sous l’autorité et la signature du maréchal Pétain, à l’effet de promulguer (…) une nouvelle constitution de l’État français". De plus, le lendemain matin, sans perdre de temps, Pétain se débarrasse de la République et s’autoproclame chef de l’État français : 

"ACTE CONSTITUTIONNEL N° 1. Nous, Philippe Pétain, Maréchal de France, vu la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940, déclarons assumer les fonctions de chef de l'État français. En conséquence, nous décrétons : l'article 2 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 est abrogé".

    Or, cet article précise :

"Art. 2. — Le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et par la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans. Il est rééligible".

    C’est donc bien la mise à mort de la République, alors que la loi constitutionnelle du 14 août 1884, partie intégrante de ce qu’on appelle par erreur "la" constitution de 1875 (elle est en réalité formée d’un corpus de six lois constitutionnelles) précise à la lettre :

"Art. 2. - Le paragraphe 3 de l'article 8 de la même loi du 25 février 1875 est complété ainsi qu'il suit : — « La forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une proposition de révision ». (…)".

Personne ne peut sérieusement prétendre que les chambres élues en 1936 avaient compétence pour violer la forme républicaine du gouvernement. Les manipulations machiavéliques de Laval et la peur des élus ont fait voter ce texte parfaitement infondé en droit. Comment ces hommes de la Collaboration qui ont insulté "la Gueuse" avec les outrages que l’on sait peuvent-ils se réclamer de la légitimité républicaine ? Eux qui pensent que la République n’est qu’un "gouvernement de fait"[3], donc non fondé en droit, eux qui pensent que le "nombre" (comprendre : le peuple) est un incapable, que la légitimité ne peut venir que de Dieu ou des épigones capétiens ou d’une force transcendante hétéronomique, d’un "Chef" choisi on ne sait trop par qui...

"En finira-t-on avec les relents de pourriture parfumée qu'exhale encore la vieille putain agonisante, la garce vérolée, fleurant le patchouli et la perte blanche, la République toujours debout sur son trottoir ? Elle est toujours là, la mal blanchie, elle est toujours là, la craquelée, la lézardée, sur le pas de sa porte, entourée de ses miches et de ses petits jeunots, aussi acharnés que les vieux. Elle les a tant servis, elle leur a tant rapporté de billets dans ses jarretelles ; comment auraient-ils le cœur de l'abandonner, malgré les blennorragies et les chancres ? Ils en sont pourris jusqu'à l'os"[4]. Mais Brasillach, ce sont ces "pourris" qui ont voté pour Pétain, le 10 juillet, le légitimant, et donc légitimant vos propos ! Pourquoi, dès lors, se réclamer de la légitimité de « pourris » ?

Non, tout cela n’est pas sérieux. C’est criminel.

 Cette usurpation de pouvoir fit que De Gaulle ne reconnut jamais quelque acte de Vichy dans quelque domaine que ce fût. Ce qui posa un autre problème : à qui imputer les conséquences des crimes commis par ce gouvernement de fait infondé en droit ?

C’est un grave problème. J. Chirac, président de la République, admit la responsabilité de la France dans la déportation et la spoliation des Juifs, par exemple.

Mais cela nécessiterait un autre article.   

N.B. : pour prolonger : chapitre 17 de mon livre Traditionalisme et Révolution. (les onglets, en haut de cette page)


[1] Le procès Pucheu, Paul BUTTIN, Paris, 1947, page 75.

[2] Le procès de Robert Brasillach, J. ISORNI, Paris, 1946, pp. 45-48.

[3] Marquis de ROUX, "Charles Maurras et le nationalisme de l'Action Française", Grasset, Paris, 20° édition, 1927, page 57.

[4] Je suis partout, 7 février 1942.

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