Le 18 juin 1940 peu après 18 heures, Charles de Gaulle termina par ces mots son célèbre appel lancé sur les ondes de la BBC : « Quoi
qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas
s’éteindre et ne s’éteindra pas. Demain, comme aujourd’hui, je parlerai à
la radio de Londres. » Comment cet homme alors presque inconnu,
promu le 11 mai précédent général de brigade à la tête de la 4e division
cuirassée, se retrouva-t-il à Londres cinq semaines plus tard ?
Paul Reynaud, chef du gouvernement depuis le 21 mars,
connaissait bien de Gaulle, ayant défendu en 1935 son projet d’armée
mécanisée. Le 5 juin, il le nomma sous-secrétaire d’État à la Guerre
pour tenter de faire contrepoids au maréchal Pétain, vice-président du
Conseil depuis le 18 mai et partisan affiché d’un arrêt des combats. Il
lui confia la tâche de resserrer les liens en train de se distendre avec
l’allié britannique alors que les armées françaises battaient partout
en retraite. De Gaulle se retrouva ainsi à négocier directement avec
Winston Churchill le 9 juin à Londres, le 11 à Briare, le 13 à Tours, le
16 à nouveau à Londres, où fut élaboré dans l’urgence un projet de
fusion politique et militaire des deux alliés.
Pour les gaullistes, un acte fondateur
Rentré en avion le soir même à Bordeaux où se trouvait le
gouvernement pour défendre ce projet, il apprit que Reynaud venait de
démissionner. Avec l’assentiment de celui-ci qui lui accorda
100 000 francs pris sur les fonds secrets, il repartit le 17 au matin à
Londres pour chercher les moyens de continuer la guerre depuis l’Empire,
solution qu’il prônait depuis son entrée au gouvernement. Churchill,
qui venait d’apprendre la demande d’armistice faite par le maréchal
devenu président du Conseil, le reçut dans l’après-midi et lui demanda
de lancer le lendemain à la radio un appel à poursuivre le combat.
Pour les gaullistes et d’abord pour de Gaulle, qui
contribua plus que tout autre à imposer cette idée, le discours du
18 Juin marque le point de départ de la Résistance, premier épisode
d’une longue geste menant à la victoire sous la conduite du « chef de
tous les Français libres », titre que les Britanniques lui reconnurent
le 28 juin. Jean-Louis Crémieux-Brilhac a résumé cela dans un article de
la revue gaulliste Espoir (2000) : « Par la volonté de son
auteur et du fait de l’autorité grandissante qu’il acquiert, l’Appel
aura été acte fondateur, et même doublement fondateur. Acte fondateur de
la Résistance, tous les mouvements de résistance et tous les actes de
la résistance autochtone découlant, dans la vision gaullienne, du
18 Juin. Acte fondateur aussi d’un régime, même si celui-ci naîtra
seulement vingt ans plus tard. »
Ralliement des troupes coloniales
Sans minimiser l’événement, on doit pourtant relativiser ses effets
et l’inscrire dans un autre cadre interprétatif. « L’Appel », dont on
n’a pas conservé de trace enregistrée, ne fut entendu que par quelques
milliers de personnes. Dans la France déboussolée par l’exode et
l’effondrement de la République, écouter la BBC – la France libre obtint
une émission quotidienne de cinq minutes en juillet 1940, de dix
minutes en mars 1941 – n’était pas chose aisée. Rejoindre les côtes
britanniques moins encore, même pour les 130 hommes de l’île de Sein qui
s’embarquèrent le 24 pour le Royaume-Uni. De Gaulle n’appelait pas à
une résistance de masse mais au ralliement des militaires, et misait
avant tout sur les troupes des colonies. Mais quand il fonda le Conseil
de défense de l’Empire en novembre, seule l’Afrique équatoriale
française, les Nouvelles-Hébrides et Tahiti avaient abandonné Vichy, et
la France libre ne comptait qu’une dizaine de milliers de soldats.
La résistance intérieure prend son essor
Ce fut sans lien avec l’appel du 18 Juin que naquit, au prix
d’immenses difficultés, la Résistance sur le sol national, portée au
départ par des individus isolés. Le 17 juin, Edmond Michelet,
responsable de l’Action catholique, distribua des tracts contre
l’armistice à Brive-la-Gaillarde. Le dirigeant communiste Charles Tillon
dans la région de Bordeaux fit de même (voir notre encadré). Le même
jour, Jean Moulin, préfet d’Eure-et-Loir, tenta de se suicider plutôt
que d’obéir à une demande infamante des Allemands. Le 19, Étienne
Chavanne, ouvrier agricole, sectionna les câbles téléphoniques de
l’aérodrome de Rouen occupé par les Allemands. Le 23, Léonce Vieljeux,
armateur et maire de La Rochelle, refusa de hisser le drapeau nazi au
fronton de sa mairie…
Durant plus d’une année, résistance en France et
résistance hors de France prirent – lentement et douloureusement – leur
essor mais sans lien ou presque entre elles. Ce n’est qu’en novembre
1941 que de Gaulle envoya Yvon Morandat pour une première mission
politique exploratoire en zone sud. Et c’est Jean Moulin, en accord avec
de Gaulle, qui fut le grand artisan de l’union des résistances
intérieure et extérieure, scellée par la fondation du Conseil national
de la Résistance (CNR) le 27 mai 1943.