18 JUIN : DE GAULLE ET L’ESPRIT DE REVOLUTION

publié le 26 juin 2013, 08:58 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 26 juin 2013, 08:59 ]
  14/06/2010  

L’appel du général s’inscrit-il dans un esprit de révolution ? C’est une vaste question qui demande bien sûr une définition de ce terme. Je ne vais pas l’entreprendre ici. Il est bien clair que les De Gaulle n’ont pas effectué leur adultisation dans le sein du mouvement ouvrier, ni même dans les rangs républicains. Mais cela est-il une condition sine qua non ? Il y a deux éléments qui plaident en faveur d’une éducation (au moins partiellement) progressiste, faute de quoi le Général n’aurait jamais entrepris sa démarche. Ces deux éléments sont l’autonomie de la pensée et l’idée d’indépendance et de souveraineté nationales.

Dans la débâcle, militaire d’abord, spirituelle ensuite, les Français se jettent dans les bras du maréchal Pétain. Observons que cette expression date au moins de Louis XVI qui écrivit dans une lettre confidentielle qu’il fallait lancer la France dans la guerre, afin qu’elle la perde et que les Français « n’aient pas d’autre solution que de se jeter dans mes bras ». C’est la démarche hétéronomique parfaite. Le peuple est un éternel mineur écrit E. Renan, il a besoin d’un adulte qui le gouverne, en l’occurrence un chef. Cela dit, les esprits avaient été préparé - de longue date - au retour du maréchal. Je renvoie à la lecture de mon livre (Chapitres XVI et XVII). Dans cette soumission passive et massive, peu nombreux sont ceux qui font acte de liberté. Je rappelle la devise des Lumières d’E. Kant : "Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Les Lumières se définissent comme la sortie de l'homme hors de l'état de minorité, où il se maintient par sa propre faute. La minorité est l'incapacité de se servir de son entendement sans être dirigé par un autre"[1]. De Gaulle et les premiers résistants - je pense à Vernant à Toulouse - ont le courage de se servir de leur propre entendement et d’accepter d’être hors normes, minoritaires, exclus.

Outre cette démarche « lumineuse » -dans le sens où elle relève de l’idéologie des Lumières et où elle apporte la lumière, l’appel du Général engage un processus immédiat de libération de la patrie.

Dans un autre article de mon blog - Juin 40 : faut-il continuer le combat ? - j’ai montré quelles étaient les intentions des défaitistes, Pétain, Weygand, Brasillach et les autres : retrouver une France du traditionalisme dans le cadre de la nouvelle Europe hitlérienne. Le général de Gaulle qui était membre du gouvernement ne pouvait ignorer ces manigances. Que le peuple français continue la lutte pour rester maître de son destin est une démarche qui repose sur le principe d’autonomie : c’est le peuple qui se fixe ses propres valeurs et objectifs. Ce qui n’exclut pas de suivre les directives d’un leader qui réalise la nécessaire coordination des faits et gestes de résistance. Résistance qui devient mouvement de libération nationale.

Le blanc et le noir

Il n’est jamais très sain de raisonner de manière manichéenne. Mais en l’occurrence cette opposition radicale est de mise. La preuve du caractère révolutionnaire de l’appel du 18 juin est fournie par la réaction des traditionalistes. Voici ce que pense Antoine Argoud, colonel en Algérie, chef OAS, putschiste, chrétien intégriste, qui s’interroge sur les raisons de l’échec du coup d’Etat militaire de 1961.

Il y a d’abord les « hésitations » de certaines unités de l’armée qui aurait dû, selon Argoud, obéir au doigt et à l’œil. Pour expliquer ces manquements à la discipline, Argoud remonte loin dans le temps[2]. « Il a détecté le virus du désordre : "l'origine de cette absence de discipline remonte à la défaite de 1940 et aux ferments de dissociation gaullistes" (p278). Et là, Argoud sort ce vieux reproche fait par beaucoup de militaires à De Gaulle qui a désobéi en 1940, surtout qui a brisé l'unité de l'armée, l'obligeant à réfléchir, à se poser une question : De Gaulle ou Pétain ? L'honneur ou le déshonneur ? Car, pour le pétainiste Argoud, le traditionaliste Argoud, "le régime de la France Libre repose tout entier sur un acte de désobéissance, qui plus est de désobéissance militaire. (…). Le premier, De Gaulle a érigé le droit à la désobéissance en un impératif catégorique (…) ce faisant, il mettait radicalement en cause les fondements mêmes de l'armée et partant de l'Etat" (p82). Etc.…etc.… Argoud visiblement ne se pose pas la question de savoir ce qu'il fait, lui, en désobéissant à l'armée et à ses supérieurs en concoctant un coup d'Etat militaire ! Oh ! Il avance une raison : l'intérêt supérieur de la France passe par le maintien de l'Algérie française. Mais De Gaulle avait lui aussi une raison élevée : la liberté de la France face au nazisme. Savoir laquelle des deux est la plus valable ne souffre pas de discussion »[3].



[1] Was ist Aufklàrung? Réponse d’E. Kant, à la question "qu'est-ce que les Lumières", décembre 1784. D'après Zeev Sternhell, dans "le mythe de l'allergie française au fascisme", page 366.

[2] Dans son livre « la décadence, l’imposture et la tragédie », Fayard, 1974.

[3] Extrait de Traditionalisme et Révolution, chapitre XX, « le coup du 13 mai ».

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