La prophétie de Paul
VAILLANT-COUTURIER.
Je n’aime pas trop le terme de
"prophétie" qui semble donner des vertus exceptionnelles à la
personne qui analyse les possibilités qui s’offrent aux acteurs de la vie
politique. Il y a néanmoins des individus qui semblent mieux que d’autres voir
ce que le présent possède en son sein, voir les potentialités qui encadreront
l’avenir.
Extraits des minutes du
congrès :
Paul VAILLANT-COUTURIER (Pour l'adhésion à la III°
Internationale) : (ont raison aussi ceux
qui veulent aller) d'une façon résolue vers la préparation de la révolution, et
non seulement de cette révolution française, mais aussi de cette révolution
mondiale, dont le camarade indochinois...[1]. Vous souriez, Longuet ?... Oui, vous
seriez le premier à dénoncer demain le crime d'un gouvernement qui enverrait
contre nous des troupes jaunes ou des troupes noires, et vous souriez quand je
fais appel au témoignage du camarade indochinois... (Applaudissements et rires.)
Longuet. - Je souris de
l'idée que c'est sans le prolétariat d'Europe que vous feriez la révolution...
Vaillant-Couturier. - Je ne
voudrais pas empiéter sur le terrain qui sera laissé à notre camarade Jullien,
mais je voudrais vous demander si un mouvement comme celui des Indes, un
mouvement comme celui qui couve, vous le savez, dans le Pendjab et le Bengale,
ne risque pas de porter un coup terrible à l'impérialisme anglais. Tous les
coups portés à un impérialisme sont des coups portés au capitalisme de tous les
pays.
Un délégué. - C'est absurde.
Vaillant-Couturier.
- Ce qui est absurde, c'est de ne pas
nous tourner vers l'ensemble du mouvement mondial, dans une époque où tout tend
vers l'universel.
Cette phrase est exceptionnelle
en ce qu’elle annonce l’un des faits majeurs du XX° siècle qui est la
décolonisation. C’est la mondialisation de l’action révolutionnaire.
Vaillant-Couturier après avoir évoqué l’action possible/probable du futur PC
indo-chinois, cite ce qui se passe dans l’Empire des Indes -au Pendjab et au
Bengale- où se lève la silhouette de Gandhi. Il y a eu aussi la révolution
républicaine chinoise de 1911 qui a un contenu nationaliste fort, c’est-à-dire
anti-impérialiste et il y a l’appel de la révolution russe de 1917. Liste non
limitative. Bref, Vaillant-Couturier voit -en bon dialecticien- les choses qui
bougent, voit le nouveau, le neuf qui émerge de la gangue du passé.
Le "sourire" de Longuet
indique au contraire l’européocentrisme des vieux socialistes, imbus de la
supériorité du mouvement ouvrier européen et qui croient que rien ne peut se
faire dans le monde si les P.S. d’Occident n’ont pas d’abord pris les rênes de
quelque mouvement que ce soit.
Quant au délégué qui lance le mot
"absurde", il ne voit pas non plus la solidarité de fait des
capitalismes du monde entier et qu’une victoire contre l’un d’entre eux est une
victoire contre tous les autres. Au fond, il n’a pas bien compris le sens de la
banderole qui traverse de part en part la tribune du congrès de Tours « prolétaires de tous pays,
unissez-vous ! ».
Après le congrès
Après le congrès, le nouveau P.C.
(S.F.I.C.) se lance dans la lutte contre la Guerre du Rif (cf. partie II) qui
éclate dès 1920 d’ailleurs, sous la direction d’Abd el-Krim. Léon Blum, leader
bien connu de la vieille maison S.F.I.O., écrit dans l’organe de presse de son
parti -Le Populaire- en juin 1927, au
sujet de cette guerre qui exprime pour lui des tendances encore "féodales" :
« notre œuvre de colonisation, de
civilisation (sic) s’accomplit dans
des conditions telles que nous la sentons à la merci du premier cri de révolte.
Nous risquons de tourner à la fois contre nous ce qui subsiste de barbare chez
les indigènes et ce qui grandit en eux de noblement humain. Je veux dire
l’esprit de haine et l’esprit de justice, l’appel à la conscience et l’appel à
la vengeance ».
Même si la politique coloniale du
PCF n’échappe pas "au devoir d’inventaire"[1]
on voit bien ce qui la distingue dès l’abord de celle de la SFIO dont le
premier secrétaire, Guy Mollet, comparera Nasser à Hitler, et qui s’engouffrera
dans la politique de « pacification » en Algérie, y envoyant le
contingent pour une guerre qui "n’osera pas dire son nom".