On parle, c’est dans l’air, de mettre en place un jury populaire aux côtés des juges des tribunaux correctionnels. Comme je ne suis pas juriste, je ne vais pas effectuer une analyse technique de la question. Mais l’écriture de mon livre m’a amené à lire des ouvrages, à apprendre l’histoire de France, à rencontrer ce genre de problèmes qui furent d’actualité à une autre époque.
Mais en sens inverse. Vous allez comprendre.
Vers une correctionnalisation des jurys ?
« Nicolas Sarkozy réfléchit à l'opportunité d'installer des jurys
populaires auprès des magistrats professionnels qui siègent dans les tribunaux
correctionnels, afin de "rapprocher le peuple de la
justice", affirment
vendredi plusieurs députés UMP. Le chef de l'Etat a lancé cette "piste
de réflexion" en
recevant, jeudi matin à l'Elysée, des députés UMP appartenant à un collectif
baptisé Droite populaire, en réponse
à une question sur de récents faits divers comme le meurtre d'une joggeuse près
de Lille par un homme déjà condamné pour viol »[1].
Le député Bernard Debré
(gaulliste, UMP) a dit son opposition à cette idée :
« La justice elle-même a suivi les vicissitudes de notre Etat. Est-elle
parfaite ? Bien qu'elle soit rendue au nom du peuple français, elle peut être
critiquée. Elle reste cependant un pilier de la démocratie. Les Français, à
travers les jurés, peuvent en cas de procès criminel[2] être appelés à prononcer les peines. En ce
qui concerne la correctionnelle, seuls les juges y sont habilités. Les juges
sont indépendants, qu'ils soient ou non issus du parquet. Ces derniers
pourraient être suspectés d'être soumis à la politique du gouvernement. Là
aussi il faut être prudent, ils restent indépendants. Voici maintenant que le
ministre de l'intérieur lance deux idées : d'abord faire élire les juges par
les Français, ensuite instaurer un jury populaire en correctionnelle. (…).
Quant au jury populaire en correctionnelle, j'y suis également opposé. Les jugements seraient-ils plus justes ? En tout état de cause, ils seraient soumis
aux courants de l'actualité, aux mouvements de l'humeur populaire. (…).
Combien d'hommes et de femmes ont été tués, emprisonnés par une foule soumise à
l'exaspération conjoncturelle de tel ou tel événement ? Ne va-t-on pas ainsi ouvrir une porte à des pulsions parfois
dangereuses - xénophobie, racisme, ou demain règlements de comptes inavouables
? (…). La démocratie tempérée a justement
voulu éviter de telles pulsions, de tels débordements. L'idée est juste, sa
pratique est démagogique, non pas populaire mais populiste »[3].
Je pense que le député Debré
exprime ici un point de vue quasi unanime dans les rangs républicains. Pas chez
la Droite populaire, mais chez les Républicains.
Au
XIX° siècle, il en allait tout autrement
Au XIX° siècle, on applique,
comme l’on sait, la mesure-clé de la Révolution : l’introduction du jury
populaire dans les cours d’assises. Les tribunaux correctionnels étant
entièrement composés de magistrats professionnels.
Grâce à Maître Maurice Garçon, on
possède une histoire de la justice française contemporaine détaillée et
l’auteur nous relate une histoire judicaire dont le célèbre écrivain Dumas père
fait état dans ses mémoires.
« Les petits coupables furent déférés à la police correctionnelle, les
grands coupables renvoyés devant la Cour d'assises. Il résulta de cette
disjonction un fait assez curieux. A cette époque, la police correctionnelle
condamnait toujours, tandis que le jury acquittait avec acharnement. Les petits
coupables qui comparaissaient en police correctionnelle furent condamnés, les
grands coupables, qui comparaissaient devant le jury furent acquittés »[4].
C'est pour
éviter de semblables décisions que les gouvernements les plus libéraux (…) se
sont toujours efforcés de rendre plus efficaces les poursuites par eux
entreprises en diminuant le plus
possible l'étendue de la compétence des Cours d'assises évidemment fertiles
en surprises. Ainsi par une tendance naturelle depuis la promulgation de la loi
de 1881 les gouvernements successifs ont fréquemment proposé aux Chambres des
modifications, d'abord timides, puis plus hardies. Tous les prétextes ont été
bons et toutes les circonstances, et l'on peut dire que tous les changements sollicités ou apportés n'ont jamais tendu qu’à une
restriction de la liberté, particulièrement par la voie de la
correctionnalisation.[5]
Autrement dit
(cette fois, c’est moi qui parle, JPR) les gouvernements de la République -
république bourgeoise, république-qui-fusille, république de Fourmies,
république de Villeneuve-Saint-Georges, etc.…- les gouvernements faisaient
déclasser une affaire de crime en délit, afin que la peine soit plus dure en
correctionnelle qu'elle ne l’aurait été avec un jury d’assises !
Aujourd’hui,
on pense le contraire ! C’est le grand chambardement judiciaire, le cul
par-dessus tête ![6]
La correctionnelle n’est plus assez sûre comme dans mon enfance ! Elle est
trop molle, elle ne plaît plus à la "Droite
populaire".
Que
s’est-il donc passé ?
Au XIX°
siècle, les magistrats étaient-ils donc tous de cette bourgeoisie qui eut si
peur tant de fois, à chaque saute d’humeur de notre prolétariat ?
Étaient-ils comme ce juge de Bertrand Tavernier qui veut confondre un assassin
par tous les moyens, mêmes les plus malhonnêtes ?[7]
Aujourd’hui, les choses ont sans doute changé. Nul n’ignore que les magistrats
peuvent se syndiquer. Il existe même, horreur juridique ! un syndicat de
gauche pour les magistrats.
Et le
peuple ?
Cette
affirmation de Garçon selon laquelle « l’opinion
publique, dont le jury est le reflet, attache souvent peu d’importance à des
faits qui paraissent subversifs aux magistrats moins accessibles aux exigences
de l’actualité » est-elle toujours valable ? Elle laisse
d’ailleurs perplexe. Car, alors, les jurés n’étaient pas tirés au sort, comme
aujourd’hui, mais triés sur le volet et représentaient, disons pour parler
comme à l’époque, les honnêtes gens.
Maintenant la "Droite populaire" et le FN -gonflés par leurs résultats électoraux- pensent
visiblement que le jury populaire rendrait des jugements plus adaptés que les
magistrats de Tribunal correctionnel devenus par trop intellos, bobos, voire, summum, cocos.
Ainsi en un
siècle, on passerait de la correctionnalisation à la pipolisation.
Encore une
fois, on constate combien, une approche historique des choses ouvre des voies à
la réflexion.
[1]
Le Monde, daté du 10 septembre 2010.
[2]
C’est-à-dire au sein d’une cour d’assises.
[3]
Bernard DEBRE, Pour une République tempérée, article paru dans l'édition du Monde
du 28.09.10.
[4]
Dumas père, Mémoires, cité par Me
Maurice Garçon, la justice contemporaine,
1870-1932, Grasset, 1933.
[5]
Me Garçon, ouvrage cité. C’est moi qui souligne.
[6]Pas tout à fait cependant, car, pour l’instant, il
n’est pas encore question de supprimer le jury d’assises. Sur le contenu
démocratique du jury d’assises voir une contribution parue dans l’Humanité « Faut-il défendre la place
des jurés populaires dans les cours d’assises ? Une promesse
de démocratie plutôt que son incarnation », Par Aziz JELLAB, sociologue,
université Lille-III, Directeur du CERIES, et Armelle GIGLIO-JACQUEMOT,
Ethnologue, université Lille-III, membre du CERIES.
[7]
Le juge et l’assassin, film de Bertrand Tavernier, 1976.