Parlons
maintenant de Jean-Luc Mélenchon.
Je
tiens que Jean-Luc Mélenchon est notre meilleure figure de proue commune dans
la première partie, "présidentielle ", de cette bataille.
Quand je dis "notre" j’entends d’abord celle du Parti communiste
français, comme composante quantitativement principale du Front de gauche.
Pourquoi cela ? Parce que ce choix avancé par Pierre Laurent, résume en
lui symboliquement un acte politique fort : celui de démontrer que le choix
de la stratégie de rassemblement autour du Front de gauche n’est pas une simple
opération tactique émanée du Pcf pour d’étroites raisons de boutique, mais
exprime une volonté durable et déterminée de rassembler un nombre croissant de
citoyens autour d’un projet élaboré en commun, amendé au terme de longues
approches et finalement approprié par ceux-là même qui seront appelés à
devenir acteurs et soutiens de ce programme partagé. Imposer un candidat
"communiste", si valeureux serait-il, conduirait au contraire à accréditer
l’idée, ne le voudrait-on pas, que le Front de gauche n’est que manipulation
politicienne destinée à circonvenir les naïfs.
J’ajoute
que rien ne blesse tant le vieux communiste, membre de ce parti depuis 59 ans,
que la médisance que celles et ceux qui rejettent sa candidature, essaient de
répandre sur la figure de Mélenchon. Jean-Luc Mélenchon est certes ce qu’il
est, et il m’arrive de regretter telle ou telle de ses prises de positions
récentes, énoncées un peu à l’emporte-pièces, sans tenir toujours compte de la
sensibilité ou de la conviction, d’ailleurs quelquefois incertaine, de ses
alliés. Mais je me souviens surtout que son engagement décisif, avec le nôtre,
dans la bataille commune contre le projet de Constitution européenne n’a pas
peu contribué au seul succès stratégique et politique de grande portée que nous
ayons remporté depuis plus de dix ans ! Et je me souviens aussi qu’en
2006-2007, quand d’aucuns, devenus de vilains manipulateurs, croyant enfin
venue l’heure si attendue par eux de la disparition à leurs yeux
"programmée" du PCF, s’abandonnèrent à l’une des pires manœuvres
anti-communistes qu’on ait vues depuis cinquante ans. Mélenchon s’en est
résolument tenu à l’écart, contribuant au contraire, peu après l’élection de
Sarkozy, par des actes politiques de grande portée, à la relance enthousiaste
de la relation unitaire qui a abouti à la constitution de ce Front de
gauche qui nous rassemble aujourd’hui. Souvenez-vous, camarades, de ce
temps-là quand l’égolâtrie de quelques-un(e)s, doublée de la mégalomanie
politicienne de plusieurs autres, visait explicitement à profiter du contexte
pour tenter de jeter bas l’organisation communiste : n’oublions pas
Saint-Ouen en décembre 2006 ! Tous ceux qui (comme moi-même) avaient
espéré, dès 2006, la désignation d’une candidature "unitaire" pour
court-circuiter le risque de la catastrophe prévisible à la présidentielle de
2007, ont dû rapidement ressaisir toutes leurs forces pour couper court à la
manœuvre. Notre résistance finalement fut gagnante : mais il a fallu toute
l’intelligente énergie et l’abnégation de Marie-George Buffet pour que,
rassemblés comme nous le pouvions alors, nous sortions de cette mauvaise passe,
non pas victorieux mais indemnes comme parti. Dans cette configuration,
Jean-Luc Mélenchon s’est comporté en homme d’honneur : je ne l’oublie pas.
Enfin
(et cela est le constat d’un fait, non un jugement), je remarque que lorsqu’il
évoque l’histoire particulière du "communisme" au vingtième siècle,
ou plus simplement l’histoire des mouvements révolutionnaires contemporains
dont les communistes du monde entier ont été, tantôt les protagonistes,
tantôt les vecteurs, il sait en saisir la signification profonde et la portée,
avec un esprit critique, un sens du contexte géo-stratégique du moment, et
finalement une intelligence qu’on ne trouve pas toujours aussi richement
illustrée dans le discours officiel de nombre de porte-parole communistes, dont
la parole est si souvent tellement gênée aux entournures qu’elle en devient
insignifiante. La droite et les bien-pensants, tout comme récemment le
journaliste crypto-lepéniste Ménard, ne le lui pardonnent pas ! Pour cela
aussi je déclare que Mélenchon est un allié honorable et un ami respectable
parce qu’il n’envisage pas de nous considérer autrement que ce que nous sommes.
Ai-je
tout dit de ce que je pense ? Non.
Il
arrive que ceux qui refusent l’idée qu’il puisse devenir le candidat commun du
Front de gauche à l’élection présidentielle de 2012, comparent la situation où
nous sommes à celle que nous avons connue en 1973/1974 quand le PCF se rallia à
la candidature "unitaire" de François Mitterrand. Alors là, vraiment,
l’ignorance et la manipulation des faits et des dates, frisent
l’indécence. Comparaison (abusive) n’est pas raison même quand on est
décidé à faire flèche de tout bois ! En 1974, alors que le PS
"ré-unifié" depuis son congrès d’Epinay, sentait les ailes pousser
sous lui tandis que stagnait l’influence du PCF (qu’on faisait encore semblant
chez nous de croire "hégémonique" !), la signature du Programme
commun de gouvernement de 1972, fruit d’un laborieux compromis de sommet venu
de loin, nous contraignit à prendre une décision qui s’avéra après coup
malencontreuse. Quoique nous n’ayons jamais pensé que l’union pouvait n’être
pas "un combat" comme devait le rappeler un texte célèbre,
pouvions-nous agir autrement dans le contexte du moment ? Mitterrand
n’avait d’ailleurs pas caché son objectif : affaiblir durablement le PCF
en s’alliant avec lui pour mieux lui tirer le tapis sous les pieds en
débauchant la plus grande partie possible de son électorat populaire
("deux millions de suffrages"). Chacun sait comment il sut se donner
les moyens de parvenir à ses fins, d’abord en devenant sans coup férir, le
premier secrétaire du parti socialiste auquel il venait d’adhérer, et ensuite,
en s’appuyant résolument sur le modèle européen et l’entente avec les forces
réactionnaires de l’Allemagne fédérale, pour ruiner les aspirations
révolutionnaires de la classe ouvrière française, en mettant résolument à
profit les effets idéologiques, produits en occident, de la décomposition
accélérée du modèle socialiste de type soviétique. Quel rapport cela peut-il
avoir avec la situation présente ? Quelle similitude trouver entre le
Parti socialiste d’alors, en pleine mutation et croissance, et le modeste Parti
de gauche actuel, uni à nous au sein d’un Front de gauche en construction,
parti que Mélenchon a eu précisément l’audace de constituer au détriment du PS
(en renonçant par conséquent et de surcroît à la tranquille assurance de finir
ses jours comme sénateur à vie dans l’Essonne !) ? Comment établir
une quelconque identification entre la vaste entreprise mitterrandienne,
laquelle répondait en partie à l’ambitieux programme contre-révolutionnaire élaborée
par la Trilatérale de ce temps, et l’action commune de résistance aux effets de
la contre-révolution capitaliste à laquelle nous résistons présentement, ici,
en France et en Europe, précisément avec Mélenchon, ses amis et ses alliés ? En
essayant de donner force et capacité politique au Front de gauche, nous
réalisons exactement ce que nous n’avons pu entreprendre il y a quarante
années. Non, Mélenchon n’"incarne" pas aujourd’hui une nouvelle
mouture du piratage mitterrandien d’autrefois dont les effets pervers se sont
montrés si durables, mais il aide au contraire à en saisir toute la perfidie:
prétendre le contraire est non seulement une calembredaine mais plus encore une
manœuvre qui discrédite ceux qui la profèrent.
Concluons :
attendons la suite des débats mais je ne doute pas un seul instant qu’au terme
de la procédure démocratique en cours, les adhérents du PCF, les anciens et les
nouveaux, les communistes de toujours et ceux qui les rejoignent, soutiendront
très majoritairement le cadrage d’ensemble et le choix émis par le secrétaire
national du PCF le 8 avril 2011, date qui deviendra importante dans l’histoire
si riche du PCF. D’abord parce que ce cadrage et ce choix répondent aux
exigences politiques du moment, ensuite et surtout parce qu’ils sont le gage de
futurs succès s’inscrivant dans la ligne de ceux, encore trop modestes mais
prometteurs, que nous enregistrons depuis la constitution du Front de gauche.
Succès notables pour cela aussi qu’ils ont invalidé les prétendues
"alternatives" que quelques hiérarques fatigués, prétendaient opposer
hier (notamment lors des élections régionales) à cette stratégie efficace et
convaincante, destinée à rassembler toute la gauche autour d’une vraie volonté
transformatrice de l’ordre canonique de la société.
(20 avril 2011)