30.07.2011
Le drame de Norvège a encore mis
en avant ces hurluberlus criminels qui veulent à tout prix défendre l’Occident
de ses ennemis. Durant la Guerre froide, l’ennemi était bien circonscrit :
c’était le bloc soviétique et ses alliés que constituaient les différents
ennemis de l’intérieur qu’étaient les partis communistes nationaux et les
syndicats du type CGT. Notons que les pays nordiques n’étaient pas très bien
fournis dans ce domaine, à l’exception notable de la Finlande, où le PC
obtenait des scores proches de 20% des voix,[1]
mais les fascistes ne font pas de distinction entre communisme et
social-démocratie. Tout ce qui relève du progressisme est irrecevable pour eux.
Puis la disparition de l’URSS et du bloc soviétique changea la donne :
contre qui se battre maintenant qu’on a gagné[2] ?
Nul n’ignore que l’OTAN est toujours maintenue alors que c’était, au départ,
une alliance soi-disant DÉFENSIVE pour contrer le communisme et la soi-disant menace
soviétique et qu’elle aurait donc dû disparaître. Supercherie.
La mondialisation du GATT devenu
OMC, la volonté délibérée[3]
-c’est-à-dire réfléchie, affirmée haut et fort- du patronat occidental d’avoir
« accès au marché international du travail »
ont développé les flux de personnes selon un mode libéral qui ne tient compte
ni de la différence des cultures, ni des besoins d’un travailleur immigré et de
ses enfants : on a fait circuler les travailleurs comme on fait circuler
les marchandises. Compte tenu de la géographie et de l’histoire, les
travailleurs-pas-chers viennent de l’Afrique ou de la Turquie. C’est-à-dire des
pays où l’Islam est la religion dominante. A cela s’ajoute la domination
occidentale sur les prix du pétrole : domination qui s’exerce via les pays-amis comme l’Arabie
saoudite, un des plus gros détenteurs au monde de bons du Trésor américains,
mais domination qui freine le développement de pays producteurs qui ont une
population dense à nourrir à la différence des monarchies du Golfe. Sans
oublier le coup de la CIA en Iran en 1953 et le soutien obscène des Américains
au régime qu’ils mirent en place, celui du Shah. Tout cela permit
l’éclosion/explosion du terrorisme. Dès lors, l’ennemi remplaçant était tout
trouvé : ce sera l’Islam, l’islamisme, le terrorisme islamiste. D’autant
plus dangereux, qu’il est non seulement à nos portes mais dans nos murs :
et chaque pays de citer le pourcentage de musulmans vivant sur son territoire.
Mais dans les têtes des
extrémistes de droite, l’irrationnel est un mode de (dé)raisonnement. Ainsi, le
tueur d’Oslo hurle sa haine des musulmans mais massacre de jeunes socialistes.
Les sociaux-démocrates norvégiens sont l’antichambre du communisme, d’une part,
et favorise l’immigration musulmane, d’autre part. Conclusion : "tuons-les tous ! " Comme
dirait Kurt, le héros impérialiste de Heart
of darkness. Et l’on voit fleurir des sottises comme le
« concept » d’islamo-marxisme ou islamo-communisme, monstre
protéiforme qui va engloutir l’Occident.
A vrai dire, il s’agit d’une
résurrection. Car cette idiotie fut énoncée dès l’époque de la Guerre d’Algérie
par les partisans d’extrême-droite de l’Algérie française.
A l’époque de la guerre d’Algérie.
Dans la revue Pensée catholique du deuxième trimestre
1958, on peut lire : "Le combat de ce jour est le combat de la
Croix contre le Croissant, jeté sur la ligne de feu par le maître de l'étoile
rouge, de la faucille et du marteau". Autre exemple : Marcel Lefebvre,
archevêque, futur schismatique, déclare lors d'une conférence (1957) à laquelle
participe le jeune séminariste Maillard de la Morandais "que l'Islam n'était
pas un rempart contre le communisme mais qu'il en était plutôt le canal".
Et pourquoi cette bizarrerie ? L'intégriste Lefebvre le sait mieux que
quiconque et dit n'importe quoi : "nous assistons en ce moment à une
déréligiosité de l'Islam (sic) au profit de sa politisation (…) les
vieilles religions meurent, viendra un
temps où seuls s'affronteront le marxisme et le christianisme"[4].
Quelle lucidité ! Quant à Bastien-Thiry, maître d’œuvre de l’attentat du
Petit-Clamart contre le général De Gaulle, il déclare devant ses juges que le
F.L.N. algérien a réussi au plan des concepts une synthèse islamo-marxiste
(sic).
Tout cela repose sur le postulat
que le F.L.N. algérien est un parti "marxiste". Mais pour nos
intégristes, ce n'est pas un postulat, c'est une affirmation. Non prouvée, mais
peu importe. Comme disait Barrès, "je n'en sais rien, mais j'en suis sûr
!".
1.
La croisade
Le tueur norvégien parle croisade et porte la croix des
Templiers sur son livre-manifeste. A l’époque de la guerre d’Algérie, nos traditionalistes
sont plus que jamais des "croisés" qui se signent à la fois contre le
communisme et l’islam.
Robert Martel[5]
et la Contrerévolution qui dédient leur livre au plus illustre des "croisés"
–Saint Louis- nous disent ce qu'est l'esprit de croisade : "Qu'est-ce
que l'Esprit de Croisade, sinon l'Amour de Dieu pour le bien de l'Humanité ? Il
s'agit (…) d'un Amour viril nécessitant des sacrifices[6].
Le Cœur de l'Amour et la Croix du Sacrifice[7]
: voilà l’Esprit DE CROISADE. (…). Dans ces conditions, seule la
Contrerévolution apporte la solution à nos malheurs. Parce qu'elle a défini son
combat, parce que sa doctrine lui permet de déceler tous les pièges, parce
qu'elle a le courage de les dénoncer, parce qu'elle plie les genoux devant
Dieu, elle a le droit et le devoir d'en appeler à l'Armée afin de la soustraire
à la confusion dont elle est la victime, de lui montrer la route et de tirer
les armes avec elle contre les adversaires du Créateur, négateurs de
l'Ordre naturel et semeurs de guerre civile. (…) Qu'un chef naturel,
animé par l'esprit de croisade, brandissant le glaive et le Verbe de Dieu,
appuyé par une unité militaire, parte d'un point précis pour reconquérir le
territoire mètre par mètre[8]
et reconvertir les valeurs âme par âme, il verra le monde formidable des
écœurés et des désespérés briser ses chaînes et monter vers lui. C'est à toi, Armée
Française, de susciter ce chef[9],
de faire éclore l'élan qui rétablira l'Ordre naturel de Dieu. Que tu le
veuilles ou non, c'est la mission d'honneur qui t'incombe aujourd'hui. Tu ne
peux plus baisser les yeux de honte, tu n'as plus le droit d'avoir mauvaise
conscience, tu ne peux plus faillir. Le MONDE ENTIER t'attend"[10].
2.
Le thème de l’encerclement
Dans un article de la revue Esprit, paru en novembre
1959, Madeleine Garrigou-Lagrange raconte une conversation avec un intégriste :
"Comment ! N'avez-vous pas compris, me disait récemment un Ami de
Jeanne d'Arc[11],
que si les communistes ont choisi l'Algérie comme champ de bataille, c'est
dans l'intention d'encercler Rome! Si le Vatican se trouvait à New-York, la
guerre serait à la Martinique !
La vision planétaire de Jacques Soustelle, maître à penser
des activistes, qui apportera son soutien total à l’OAS, comporte d'autres
éléments : le refus de l'arbitrage de l'O.N.U. "qui s'empresse de
proclamer l'indépendance de n'importe quel conglomérat de tribus à demi sauvage"[12]
et le soutien au sionisme. Soustelle critique la politique arabe de De Gaulle
qu'il a connu de l'intérieur puisqu'il fut membre du gouvernement. "Je
tenais et tiens encore pour axiomatique la nécessité pour la France d'aider le
jeune État juif à survivre au milieu de l'hostilité entretenue par Nasser, car
l'existence de ce môle de démocratie occidentale à l'est de la Méditerranée
fait obstacle à l'aventure panarabe et constitue un puissant facteur
d'équilibre. La position de l'Algérie et celle d'Israël, malgré d'évidentes
différences, sont pourtant homologues, et le sort de ces deux bastions est lié
à plus d'un titre. Aussi voyais-je avec une croissante inquiétude le Quai
d'Orsay, dominé par une camarilla pro-nassérienne et antisémite, rechercher
toutes les occasions de relâcher les liens entre la France et Israël et
multiplier les gestes d'apaisement envers le dictateur du Caire et sa clique de
nazis non repentis" (sic, p.97). Il reprend ces propos infamants de
Guy Mollet : "Nasser, c'est Hitler".
La géopolitique de Soustelle est simple : autour de
l’Europe occidentale, un gigantesque croissant se développe depuis le Turkestan
soviétique jusqu’au Maroc. Entre les deux, au sud, la Méditerranée. Il faut
donc avoir une tête de pont sur l’autre rive : c’est le rôle joué par
Israël et l’Algérie française.
En combattant « l’aventure
panarabe », les Occidentaux comme Soustelle ont détruit la possibilité
d’ouverture d’un Islam progressiste. Ils l’ont au contraire fait basculer dans
le traditionalisme.
3.
Frapper De Gaulle pour atteindre le F.L.N..
Comme le norvégien voulu attaquer
les musulmans en massacrant les jeunes socialistes, les gens de l’OAS voulurent
abattre De Gaulle pour éliminer le F.L.N.. Alain de Bougrenet de la Tocnaye, complice
du colonel Bastien-Thiry dans l'attentat du Petit-Clamart, se moule sans effort
dans la veine traditionaliste : "je sais qu'un certain port de tête, affirme-t-il
devant ses juges, n'est guère diplomate ; mais ma famille, qui a
donné à la France des croisés, des chouans et des officiers, n'a jamais courbé
l'échine devant ce que sa conscience considérait comme un parjure, une félonie
ou un déshonneur, et je me dois d'écouter mes ancêtres qui ont toujours défendu
des causes saintes (...). Il faut qu'on sache dit-il "qu'il
y a encore en France des militaires qui préfèrent mourir plutôt que de suivre
un homme qui, s'il le pouvait, changerait leur tenue en livrée".
Surtout, Alain de Bougrenet de la Tocnaye exprime un
méli-mélo idéologique bien dans la ligne de sa faction : "Depuis
de longues années j'ai voué ma vie à la défense de l'Occident chrétien et à la lutte contre le
matérialisme bolchevique et communiste. Je considère, en effet, et nous
considérons, que de Gaulle, par sa politique
de division, d'abandon, son esprit marxiste et ses multiples impostures, est un
des principaux agents communistes en France et à l'origine de la ruine de notre
pauvre pays".[13]
En 1959, on a vu cet activiste du 13 mai 1958, R. Martel,
dénoncer la politique algérienne de De Gaulle et déclarer : "si nous
devons attendre un miracle, c'est de Dieu seul qu'il peut venir, et c'est sous
le signe de la foi, que moi, Martel, chef d'une nouvelle croisade, je me place".
Fanatisme meurtrier.
Mais il y a bien pire. Dans sa déclaration à ses juges, Bastien-Thiry
cite huit fois le nom d'Hitler et dit trente fois que De Gaulle est un
dictateur. Bastien-Thiry compare et assimile. "Les multiples messages
et discours à la télévision de l'actuel chef de l'État sont analogues et ont
les mêmes buts que les harangues radiodiffusées de Hitler", "La
dictature gaulliste est donc, comme les dictatures hitlérienne et communiste,
basée à la fois sur le contrôle de l'opinion". Bastien-Thiry, comme A.
Argoud[14],
est fasciné par le militarisme hitlérien, allant jusqu'à écrire : "pour
la majorité de l'armée allemande, Hitler représentait encore à cette époque
(1944 ! JPR) une certaine gloire militaire et n'avait pas compromis
l'honneur de cette armée" et aussi "la dictature d'Hitler,
s'était donné comme tâche de grouper les Allemands pour réaliser une politique
d'expansion territoriale de l'Allemagne qui, pour discutable qu'elle ait été,
n'était pas, de ce seul fait, contraire à l'honneur de l'Allemagne et contraire
aux intérêts de ce(s) pays".
On ne peut qu'être frappé par
l'omniprésence du thème du communisme dans les pensées et propos des partisans
de l'Algérie française. La France est encerclée, les Soviétiques tentent un
contournement de l'Europe de l'Ouest via l'Afrique du nord et par
l’alliance avec le F.L.N.. Une fièvre obsidionale –comme disaient les bourgeois
de Paris à l'encontre des Communards de 1871- secoue les Français nationaux
d'autant plus que l'ennemi, le PCF, est dans les murs. Tous ces hommes
s'inscrivent résolument dans la Guerre froide et leur camp est vite trouvé. La
France au demeurant passe après l'Occident. Cette extrême-droite est résolument
atlantiste et pro-américaine[15]
et Bastien-Thiry va jusqu'à dénoncer "le caractère aberrant de cette
attitude d'autonomie nationale basée sur un outil militaire illusoire"
(l'arme atomique). Vive donc la France américaine ! Là encore, ces catholiques
intégristes écartent le protestantisme et la franc-maçonnerie qu'ils
détestaient naguère chez les Anglo-saxons. Il faut savoir sauver l'essentiel.
Les croisés de l’Occident sont
prêts à tout inventer, à tout faire pour défendre leur pré-carré.
POST SCRIPTUM :
cité par RUE89, on peut lire que B.-H. Lévy écrit dans « La Pureté dangereuse » que « l
'islamisme n'est
que la troisième modalité d'un dispositif dont le communisme et le
nazisme avaient été les précédentes versions ». Islamo-fascisme après l'islamo-communisme ! Ces gens-là ne savent ni ce qu'est le nazisme (pouvoir absolu des Konzerns), ni le communisme (idéologie de la désaliénation).
[1]
Et où il y eut une tentative révolutionnaire en 1918, centrée sur la ville de
Kuopio.
[2]
Selon le mot de Reagan « j’ai gagné la Guerre froide ! ».
[3]
Je rappelle les propos de G. Pompidou tenus devant l’Assemblée nationale en
1963 : « l'immigration est un
moyen de créer une certaine détente sur le marché de l'emploi et de résister à
la pression sociale ».
[4]
MAILLARD DE LA MORANDAIS, « l’honneur est sauf » Seuil, 1990.
[5]
Leader d’un mouvement « Algérie
française » qui participera à l’assaut du GG d’Alger, le 13 mai 1958.
[6]
Appel feutré à l’acceptation de la mort.
[7]
On aura reconnu le signe de ralliement des Cordiculteurs, le signe des Chouans
de Vendée… les cordiculteurs valorise le cœur
de Jésus, le cœur-muscle, siège absolu de sa divinité.
[8]
"Comme a fait Franco en partant des colonies espagnoles"
(sic).
[9]
Appel tout aussi feutré à une dictature militaire soutenue par un catholicisme
fondamentaliste.
[10]
R. MARTEL, "l'esprit de Croisade".
C'est lui qui souligne. Livre : « la
contrerévolution en Algérie », Diffusion de la pensée française,
Vouillé, 1972, 680 p..
[11]
L’association Les amis de Jeanne d’Arc
était présidée par le général Weygand, pétainiste avéré, catholique
traditionaliste.
[12]
Dans son livre « l’espérance trahie ».
[13]
Cité par Jacques DELARUE, "Tuer De
Gaulle !", revue L'Histoire, n°102. Son fils est actuellement
responsable de la section FN du Vaucluse et régulièrement candidat aux
élections.
[14]
En 1940, l'Allemagne d'Hitler victorieuse, "déborde de vie, d'énergie,
de combativité" alors que "La France offre le visage hideux de
la décadence"… (Page I de son livre, « La décadence, l'imposture
et la tragédie »).
[15]
C’était, bien entendu, le cas de Jean-Marie Le Pen, à cette date.