I. débat MELENCHON-LE PEN : Où l'on voit que Marine n'est pas une lumière…

publié le 27 juin 2011, 02:29 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 7 déc. 2016, 06:18 ]
  15/02/2011  

    Dans son débat avec Jean-Luc Mélenchon, la présidente du FN a promu l’héritage chrétien de la France et a déclaré : "Notre pays est fondé sur un apport chrétien laïcisé par le siècle des Lumières". Elle aurait mieux fait de se taire.

    Déjà, au XVII° siècle -qui n’est pas le siècle des Lumières mais "le siècle des saints" qui conduit à la Révocation de l’Édit de Nantes- l’évêque Bossuet, idéologue de Louis XIV, avait déclaré : "je vois un grand combat se préparer contre l’Église sous le nom de philosophie cartésienne"[1]. L’Église catholique a pris position contre le cartésianisme dont on dit pourtant qu’il est l’essence de notre esprit français. Et Jean-Paul II a repris cette réfutation de la démarche de Descartes.

    Mais au siècle des Lumières, avec des D’Holbach et des Helvétius, loin de "laïciser" leur pensée, l’Église va déclarer une mobilisation générale contre ce qu’elle appelle les "incrédules" et va organiser une Assemblée générale du clergé de France spécialement consacrée à la réfutation des thèses incrédules (1770). L’Église se dresse contre les Lumières.

    L’assemblée adopta un "Avertissement du clergé de France, assemblé à Paris, par permission du Roi, aux fidèles du Royaume, sur les dangers de l’incrédulité"[2]. Pourquoi ce texte solennel ? Parce qu'en 1770 est paru, sous le boisseau, un texte du philosophe matérialiste, le baron d'Holbach, "Système de la nature"[3]. Le "Système" fut précédé par "le christianisme dévoilé" (1767) et par "la contagion sacrée" (1768) –également sous pseudonymes- écrits par le même d'Holbach qui reprend des thèses du livre d'Helvétius "De l'esprit" lequel avait déjà soulevé la tempête. On part pour un nouveau cyclone. D'Holbach affiche carrément son athéisme. Tant Helvétius que d'Holbach adoptent une démarche matérialiste –l'homme est le produit de son environnement naturel et humain- l'âme n'est pas immortelle. Les deux encyclopédistes cherchent une morale nouvelle, non basée sur la Révélation, mais sur l'athéisme, sur les lois de la nature. Mais, chercher les lois –car, dit Helvétius, le législateur n'est rien s'il n'est moraliste- chercher les lois qui assureront le bonheur des peuples, c'est nier le rôle de la religion, c'est dire que celle-ci n'est plus utile ! C'est proprement sacrilège. Les hommes, écrit Helvétius, sont dans une quête inlassable du bonheur. "L’homme vertueux n’est point celui qui sacrifie ses plaisirs, ses habitudes et ses plus fortes passions, à l’intérêt public, puisqu’un tel homme est impossible, mais celui dont la plus forte passion est tellement conforme à l’intérêt général, qu’il est presque toujours nécessité (voué, poussé, JPR) à la vertu".[4] Cette "morale du bonheur" est fondée sur l'intérêt majeur de l'homme qui est le désir du "bien public" défini comme "le plus grand bien pour le plus grand nombre". C'est pourquoi, il faut créer "les conditions propres à faire que tout individu trouve son plaisir à concourir au plaisir d'autrui, c'est-à-dire au bonheur commun"[5]. D'accord avec ces thèses, d'Holbach vitupère le rôle de la religion qui n'a, selon lui, établi que des rapports personnels, "égoïstes", entre l'individu et Dieu.

    Le Clergé y répond et c'est une vraie mise au point, un condensé de l'idéologie de l’Église à la veille de la Révolution. L'Assemblée générale du clergé de France oppose la Raison et la Révélation. On sait que les Philosophes font et que les révolutionnaires feront un culte à la "déesse Raison". Ce qui n'est pas très raisonnable. L'affrontement entre Raison et Révélation est vécu comme antagonique par le clergé de France. Et là, le clergé de France retrouve des accents de Bernard de Clairvaux- "ce qui nous importe c’est de savoir ce que nous devons croire". Après Bernard de Clairvaux, avant Henri Bergson, le Clergé de France de 1770, relève que "ce que l'homme le plus instruit ne peut atteindre par ses recherches, devient simple et familier à celui qui est éclairé par la foi"(page 502). La Révélation est donc le guide suprême. L'assemblée du clergé entreprend dès lors de préciser ce que celle-ci nous apporte, d'une part, en termes de comportement individuel, et c'est l'ordre moral, d'autre part, en termes de conduite sociale, et c'est l'ordre social.

    L'assemblée du clergé en faisant le constat que "le plus grand nombre d'entre (les hommes) gémit dans l'indigence et dans la douleur" (504) pose d'emblée la question : l'homme est-il donc né pour être malheureux ? Faudrait-il croire alors les utopies des Incrédules ? Que nenni. Le clergé de France expose alors ce qu'il faut bien appeler l'utilité de l'opium du peuple[6] : "Vous les Incrédules, venez donc offrir vos froides consolations à ce misérable habitant de la campagne…à cette mère seule… à cet homme puissant qui a étonné l'univers par sa chute…à ce malade languissant…dites à celui qui manque de tout qu'il n'est point d'autres biens que ceux qu'on possède sur la terre… dites surtout à ce malheureux étendu sur son lit de mort que le néant va devenir son partage, qu’il perd tout et n’a rien à espérer" (507). (…). "L'homme est moins heureux parce qu'il possède que parce qu'il espère (511). Les biens de ce monde sont fragiles et périssables, mais il est des biens d'une éternelle durée que Dieu promet à ceux qui sont fidèles à ses commandements (505). L'espérance dans la vie éternelle est la clé du bonheur, "peut-il être de vrais malheurs pour celui qui croit son âme immortelle ? "A ces promesses, à ces espérances, à ces consolations, que peut substituer l’incrédulité ?" Quelle ressource peut avoir l’impie pour se réconcilier avec lui-même et apaiser ses remords ? Nulle ressource. Et "ce qui est un écueil pour l’incrédulité fait le triomphe de la Religion" car "cette (dernière) ramène l’homme coupable par l’espoir du pardon"(510). Saint Paul, pécheur, a reçu la miséricorde, "je suis un grand pécheur mais miséricorde m’a été faite (Ad. Tim. Cap. 1, v.13.), …, (510). 

    Vient alors l'exposé sur l'ordre social.

    Peut-on vivre sans religion ? et l’Église s’indigne que l’on eût pu poser cette question. (D’Holbach affirme que oui !). Évidemment non. "Les peuples où il n’y a point de religion sont en même temps sans police, sans véritable subordination, et entièrement sauvage" (514). Une société de tels peuples serait-elle tranquille et florissante ? Les mœurs y seraient-elles pures ? Les services réciproques et abondants, (…), les gouvernements respectés, les lois observées ? Les moyens que la société peut employer pour obliger l’homme à remplir ses devoirs sont au nombre de trois : jouer sur l'intérêt personnel, l'autorité du gouvernement, les lois. L'exposé du clergé sur le rôle de l'intérêt personnel est le plus édifiant.

    Dans un premier temps, le Clergé de France condamne résolument l'individualisme. "Les Incrédules en rappelant l’homme à son intérêt n’ont pas craint d’énerver le respect filial, l’amour paternel, les liens du sang, ceux de l’amitié, la probité, le courage et le désintéressement, …, ils n’ont pas rougi de justifier l’avarice, la volupté, les plaisirs désordonnés des sens, bref sous le vain prétexte de rétablir l’homme dans tous ses droits, les Incrédules ont détruit ceux de la société (517). La condamnation des droits de l'homme n'est pas loin. Puis, l'assemblée se livre à une curieuse critique des théories impies qui l'amènent à une réhabilitation, nolens volens, de ce même individualisme.

A suivre…



[1] Jean-Paul II n'a pas désavoué Bossuet. Pour le pape, la crise de la tradition chrétienne, en Occident, part de Descartes qui rompt avec la philosophie thomiste. "Pour mieux illustrer un tel phénomène, (la crise de la tradition chrétienne) il faut remonter à la période antérieure aux Lumières, en particulier à la révolution de la pensée philosophique opérée par Descartes. Le «cogito, ergo sum» -«Je pense donc je suis»- apporta un bouleversement dans la manière de faire de la philosophie. Dans la période pré-cartésienne, la philosophie, et donc le cogito, ou plutôt le cognosco ("je connais"), étaient subordonnés à l'esse (l'être), qui était considéré comme quelque chose de primordial. Pour Descartes, à l'inverse, l'esse apparaissait secondaire, tandis qu'il considérait le cogito comme primordial. Ainsi, non seulement on opérait un changement de direction dans la façon de faire de la philosophie, mais on abandonnait de manière décisive ce que la philosophie avait été jusque-là, en particulier la philosophie de saint Thomas d'Aquin : la philosophie de l'esse. Auparavant, tout était interprété dans la perspective de l'esse et l'on cherchait une explication de tout selon cette perspective. (…). Le «cogito, ergo sum» portait en lui la rupture avec cette ligne de pensée. L'ens cogitans (être pensant) devenait désormais primordial. Après Descartes, la philosophie devient une science de la pure pensée : tout ce qui est esse — tout autant le monde créé que le Créateur — se situe dans le champ du cogito, en tant que contenu de la conscience humaine. La philosophie s'occupe des êtres en tant que contenus de la conscience, et non en tant qu'existants en dehors d'elle". Jean-Paul II, "Mémoire et identité", pp. 20-21.

[2] Procès-verbal de l'assemblée générale du clergé de France. Édité par Guillaume Desprez, imprimeur ordinaire du Roi et du Clergé de France, 1771, 854 pages et annexes. Comme je l'ai pratiqué fréquemment, les chiffres entre parenthèses indiquent la page d'où est extraite la citation. Cela afin d'éviter la multiplication des notes infrapaginales.

[3] Sur d'Holbach "Histoire littéraire de la France… (1715-1789)" pp.482-501; Sur Spinoza : http://www.yrub.com/philo/ spinozanature.htm

[4] "De l'esprit", discours 3, chapitre 16. Lire aussi Discours 2, chapitre 15.

[5] Guy BESSE, "histoire littéraire de la France" article "Helvétius".

[6] Et l’on reconnaîtra les thèses de Nicolas Sarkozy (cf. l’article Sarkozy, La Croix à porter…mois de septembre 2010).

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