Je présente aujourd’hui un
article de Serge Laurent, Président de la Société populaire de
Villefranche-sur-Saône. En prenant ce libellé, la société qu’il dirige montre
que l’héritage de la Révolution française est bien vivant et qu’il est
entretenu. Autant que purent le montrer les manifestants qui défilent pour la
bataille des retraites revêtus du costume des Sans-culottes, costume connu dans
le monde entier. La Société populaire de Villefranche est née, en effet, en
1792.
Ceci est une page d’histoire
locale. Loin d’être anecdotique, cette renaissance du passé démontre une idée
fondamentale : la Révolution n’eût pas réussi si elle n’avait été que
l’affaire de Robespierre, du Comité de salut public, de la Convention et des
sections parisiennes. Paris a joué un rôle majeur, nul ne le nie, et on lui en
sera toujours reconnaissant mais sans l’appui des sans-culottes de milliers de
municipalités de province, la Révolution aurait eu une base trop étroite et
n’aurait pas survécu.
Serge Laurent nous donne les noms
de ces révolutionnaires de Villefranche-en-Beaujolais qui méritent d’être
connus, et les portraits qu’il trace font des sans-culottes des êtres de chair
et de sang. Albert Soboul a décrit de manière définitive les sans-culottes
parisiens de l’an II mais leurs frères de province méritent tout autant de
sortir de l’anonymat. Villefranche-sur-Saône partage avec d’autres
municipalités de France, le fait assez rare d’avoir connu une « seconde
révolution municipale » avec la prise du pouvoir local par des militants montagnards.
On voit dès lors par cet article forcément trop court que les grands gestes
révolutionnaires comme la réquisition des blés, la déchristianisation, la
collecte du bronze des cloches ou de métaux précieux pour les besoins de la
guerre, etc… sont le fait des sans-culottes de « la base » comme nous
disons aujourd’hui, et que le succès final est dû à ces milliers d’initiatives
locales qui n’avaient pas besoin de contraintes du pouvoir central pour être
mobilisées. Toutes choses que Michel Vovelle a parfaitement montrées dans ses
publications.
Cela ramène aussi à sa juste
place la thèse sur la soi-disant ‘dictature’ de Robespierre.
Jean-Pierre RISSOAN.
LA SOCIETE POPULAIRE DE VILLEFRANCHE-SUR-SAONE SOUS LA REVOLUTION.
Par Serge LAURENT,
Président de la Société populaire de Villefranche-sur-Saône.
A.
Les Sociétés Populaires sous la Révolution
Dès le début de la Révolution,
dans toute ville d'une certaine importance, il existe une société bourgeoise
qui se réunit régulièrement pour débattre de la situation politique et des
grands problèmes de l'heure. Cette société devient la correspondante du Club
des Jacobins qui est le seul club à avoir créé et fait vivre une telle
structure que certains historiens ont pu comparer à une première ébauche de
parti politique national.
Au début de la Révolution, ces
sociétés réunissent les petite et moyenne bourgeoisies qui suivent avec intérêt
les événements politiques parisiens. Seuls les citoyens actifs et les électeurs
sont admis et la cotisation est élevée.
Au fur et à mesure de
l'infléchissement de la Révolution du côté des positions montagnardes, le Club
des Jacobins passe sous la direction de Robespierre et de ses amis et les
sociétés populaires locales s'ouvrent largement aux couches populaires des Sans-culottes.
Avec le suffrage universel, la cotisation de membre des sociétés populaires
devient modique.
Voici ce qu’écrit A. Soboul sur
les sociétés populaires :
« Les
sociétés populaires parisiennes avaient joué dès 1791 un rôle éminent dans la marche de
la Révolution. En l'an II, les sociétés sectionnaires apparaissent comme l'organisation de base
du mouvement populaire : par leur intermédiaire, les militants sans-culottes dirigent la
politique sectionnaire, contrôlent les administrations, donnent l'impulsion aux
autorités municipales et gouvernementales.
Tandis que les
modérés entendaient cantonner les sociétés dans un rôle simplement éducatif,
les patriotes
leur assignèrent dès l'origine un but politique. Lors du grand débat qui s'instaura à l'Assemblée constituante
en septembre 1791, au terme duquel toute activité politique leur fut interdite,
Brissot et
Robespierre s'accordèrent pour combattre cette limitation. Pour Brissot les
sociétés populaires doivent avoir trois objets : « discuter les lois à faire, s'éclairer sur les le qui sont faites, surveiller tous les
fonctionnaires publics ». Pour Robespierre, elles ont pour mission de veiller à la
sauvegarde des droits de la nation. Marat cependant, avec son sens aigu des nécessités politiques, avait
précisé dès le 7 février 1791 dans l'Ami du peuple, le rôle que les sociétés sectionnaires
assumeront effectivement en l'an II : les clubs populaires ne se contenteront
pas du simple rôle d'éducateurs ; les patriotes de chaque section y discuteront les arrêtés
soumis aux assemblées générales ; « ainsi les membres des clubs porteront dans
leurs assemblées respectives de section un jugement réfléchi et les meilleurs
citoyens ne se laisseront plus étourdir par le bavardage des marchands de
paroles » ;
les sociétés populaires surveilleront par ailleurs les fonctionnaires publics ; et jusqu'aux organes
du gouvernement.»[1].
B.
La Société Populaire de Villefranche sur Saône
Ce vocable
apparaît en 1792. Auparavant la société a connu différentes appellations qui
permettent d'avoir une idée de l'évolution politique révolutionnaire. Le "Club des Amis de la
Constitution" fondé le 23 janvier 1791 devient "Société des Amis de
la République". Enfin, au moment où la patrie est proclamée «en
danger» en juillet 1792, le vocable "Société
Populaire" apparaît, à la suite de l'irruption des
Sans-culottes sur la scène politique.
C'est dans
cette société - longtemps présidée par Préveraud (voir ci-dessous) - que l'on
retrouvait les révolutionnaires caladois les plus convaincus[2].
Ils s'efforçaient de réveiller l'ardeur de leurs compatriotes ou de
contrecarrer la volonté contre-révolutionnaire des opposants.
Ainsi, pendant
la période très troublée de la Terreur, la Société fut à l'origine du «comité de surveillance» local, chargé de
détecter et d'arrêter les « suspects » : nobles, prêtres réfractaires ou tous
ceux que l'on soupçonnait d'avoir sympathisé avec la rébellion lyonnaise de
l'été 1793. Cette surveillance de la population incluait la délivrance de « certificats de civisme » indispensable pour prouver sa fidélité au régime
révolutionnaire.
La société organisa plusieurs fêtes civiques, dont celle qui célébra la prise de «l'infâme Toulon», le port qui s'était «donné» aux Anglais pendant la guerre opposant la France révolutionnaire au reste de l'Europe.
Pendant la manifestation, la société déploya une bannière sur laquelle on pouvait lire : «tremblez ennemis de la République, nous sommes là, nous vous surveillons ». Au cours d'autres cérémonies furent détruits les symboles de la monarchie et de la religion catholique : ainsi furent brûlés le 8 février 1794, «les mannequins du dernier tyran (Louis XVI) et du fanatisme (la religion catholique)».
A l'heure où
le gouvernement révolutionnaire fixait un prix maximum pour le blé, la société
lutta également pour améliorer l'approvisionnement de la ville en grains. Rare
du fait de mauvaises récoltes successives, le blé était devenu cher depuis
1790, rendant le pain de moins en moins accessible aux couches populaires. En
janvier 1794, la société populaire de Villefranche affichait ainsi sa volonté
de surveiller les « accapareurs »
soupçonnés de conserver chez eux de grandes quantités de blé en attendant de le
vendre à un prix très élevé.
La Société populaire fut en général à l'origine des mesures de déchristianisation prises dans la ville : deux cloches furent descendues du clocher de la collégiale pour être fondues et transformées en canons, et l'église paroissiale fut dépouillée de son argenterie, envoyée à Paris.
La Société populaire voulut changer le nom
de la ville, en plein cœur de la Terreur. Sur son injonction, mais
non sans une vive
discussion qui témoigne d'une résistance non dissimulée,
le conseil de la commune de Villefranche adopta
pour la ville le nouveau (et très provisoire) nom de Mont-Buisante-sur-Saône[3].
La Société Populaire
prend le pouvoir municipal
La Société
Populaire de Villefranche intervient à plusieurs reprises directement dans la
vie politique locale. On peut même dire qu'elle joue le rôle politique majeur
et dicte ses décisions à la Municipalité « modérée » pendant le début
de la période. Puis, le 12
décembre 1793, à l’issue d’une authentique "journée révolutionnaire",
elle suspend la municipalité jugée trop modérée et les « vrais Sans-culottes » en
prennent la direction percevant « un
traitement proportionné à la cherté des denrées ».
Ces militants révolutionnaires
méritent d'être cités car leurs noms sont restés trop longtemps inconnus. Ce
sont : Pierre Boulot, menuisier, maire (voir ci-dessous) ; Ch. Bruchet,
fabricant ; Vincent aîné, débitant de tabac ; Brun-Sanlaville, marchand de vin
; Martinaud, maçon ; Caire, quincaillier ; Finat, plâtrier ; Thévenin, peintre
; Zolla, plâtrier ; Sicaire-Marin, procureur.
Après la chute de Robespierre et
la réaction thermidorienne, les Sans-culottes sont pourchassés, les sociétés
populaires sévèrement épurées, pour finalement être interdites. Les registres de la Société populaire sont détruits, mais on sait qu'elle dura deux ans (juillet 1792 - juillet 1794). Elle ne fut véritablement active que pendant la Terreur : après Thermidor et la mort de Robespierre,
elle se transforma en Société
populaire régénérée, puis disparut
définitivement en mai 1795.
Après les
événements de la contre-révolution de Lyon, de mai à octobre 1793, des éléments
de la Société Populaire de Villefranche dont son président Préveraud, sont
fortement soupçonnés d'avoir aidé les insurgés lyonnais. Ils seront jugés.
La Révolution et le
peuple
Tout au long
de son déroulement, la Révolution française a progressé par le déroulement de
"Journées révolutionnaires", marquées par l'intervention directe du
peuple de Paris dans le débat politique pour imposer des décisions qui lui sont
chères mais aussi par le peuple de province comme le cas de
Villefranche-sur-Saône nous le démontre.
Cette
intervention est celle du petit peuple qui souffre des privations, des salaires
insuffisants, de la scandaleuse lenteur des décisions ou des positions de
certains députés, du peuple qui répond à l'appel de la Patrie en Danger et de
la levée en masse, du peuple qui entend bien défendre les acquis de la
Révolution. C'est toujours le peuple qui intervient dans une "journée
révolutionnaire". Mais de quel peuple s'agit-il ? Comme le montre le cas
concret de la municipalité montagnarde de Mont Buisante
sur Saône (Villefranche-sur-Saône),
c'est le peuple des Sans-culottes, c'est à dire les petits boutiquiers,
artisans et compagnons parisiens qui attendent beaucoup des Montagnards au
gouvernement. Ils sont organisés à Paris en sections. Ils sont membres de la
Garde Nationale et donc armés. Lorsqu'ils interviennent à l'Assemblée, c'est
avec leurs armes et, la plupart du temps avec leurs canons. Une méthode
radicale de démocratie directe !
C. Deux personnages de
la Société Populaire de Villefranche : Pierre Boulot et Préveraud.
Pierre Boulot
Le 12 décembre
1793, au moment où les Montagnards prennent la direction de la municipalité
caladoise, Pierre Boulot, menuisier, est installé comme maire par la Société Populaire. Il est secondé par
quatre artisans, deux commerçants et un fabricant. Les « vrais patriotes » sont désignés par la Société Populaire. C'est seulement dans cette période que l'on voit
la municipalité se préoccuper du sort des petites gens et des indigents. Pierre
Boulot incarne la Révolution jacobine : ces artisans, boutiquiers et ouvriers
qui, en intervenant dans la vie politique en 1792-93, sauveront la France et la
Révolution en lui donnant son originalité. Mais après Thermidor et la chute de
Robespierre, Pierre Boulot et ses amis ne seront guère récompensés, la
bourgeoisie reprendra seule et sans pitié le pouvoir : les conseillers
montagnards sont chassés en septembre 94. La bourgeoisie marchande et
financière revient à la direction de la municipalité avec plusieurs des élus de
1790-91-92 dont le nouveau maire Escoffier Oncle.
Il nous reste
à retrouver ce que devinrent alors Pierre Boulot et ses amis, ancêtres du
mouvement populaire caladois.
Préveraud
De son vrai nom, Préveraud de Pontbreton, ce
montagnard caladois fut d'abord un notable royaliste. Né dans la capitale du Beaujolais le 20 février 1754, Préveraud
de Pontbreton était, du côté maternel, parent de Jean-Marie Roland de la Platière,
comme lui issu d'une famille influente du Beaujolais (Thizy). Avant 1791, il appartient sans conteste possible à la catégorie des notables. C'était un ancien «garde du corps du roi Louis XVI». II fut plus tard titulaire d'un office royal, hérité de son père, « receveur à l'entrepôt du tabac de Villefranche»
On le retrouve avec sa femme parmi les premiers souscripteurs de la Société philanthropique fondée en 1788 à Villefranche par le duc d'Orléans ; or cette « maison philanthropique » ne recevait que des notables. Quelques mois plus tard,
en mars 1789, il représente Ouilly[4] à l'Assemblée du Tiers Etat du Beaujolais. Enfin, lorsque la milice bourgeoise de Villefranche se transforme en garde nationale, il en devient 1'un des principaux officiers, ces derniers étant tous choisis parmi les notables.
Préveraud avait de l'aisance : en 1793, le prix du blé et du pain était élevé ; soixante-seize citoyens souscrivirent pour acheter du blé afin qu'il soit distribué « aux citoyens dans le besoin ». Seules six personnes versèrent une somme supérieure à celle de Préveraud, 1000 livres (deux fois plus que le maire), alors que d'autres se contentèrent de 50. Tel est l'homme qui abandonna
la particule compromettante
qui marquait la fin
de son nom ; il ne s'appelait
plus désormais que Préveraud, et devint, pendant les années
1792 et 1793, 1'un des jacobins les plus en vue
de Villefranche.
Préveraud était donc devenu un Sans-culottes caladois. Avec d'autres citoyens, il avait présenté le 23 janvier 1791 à la municipalité caladoise
le projet de formation d'un Club des Amis de la constitution, transformé par la suite en Société populaire. Il en devint vite le
président. Il y prononça en de nombreuses occasions des discours enflammés ; le 20 novembre 1793, il dirigea la cérémonie qui voulait mettre fin à la féodalité et au prestige de l'Eglise catholique : il mit lui-même le feu aux terriers[5]
et aux emblèmes religieux entassés sur une place de la ville. Il fit également brûler le portrait de son cousin, «l'infâme Roland»[6].
A la tête de la légion du district, il participa activement aux combats qui eurent lieu dans les bois d'Alix contre les Lyonnais insurgés, mis en fuite par la victoire de l'armée révolutionnaire. Enfin, il fut le contrôleur des finances du district.
Cela n'empêcha pas Préveraud d'être arrêté en janvier 1794. Peut-être
fut-il la victime de la jalousie ou de la haine d'un « patriote » local ? On l'accusa en tout cas d'avoir reçu une délégation de Lyonnais rebelles.
Condamné à mort le 6 février, il ne fut sauvé que par un ordre suspendant l'exécution, ordre confirmé par les représentants en mission à Lyon, puis par la Convention elle-même (5 mai 1794). Apres la mort de Robespierre, il quitta la région, mais fut de nouveau arrêté à Paris en 1795 : il lui fallut cette fois-ci se justifier de décisions prises à Villefranche pendant la Terreur, terreur que l'on condamnait à présent. Pour l'instruction de ce second procès, un rapport fut demandé à Villefranche. II se révéla accablant pour l'ancien sans-culotte : « Adjoint pendant deux mois au Comité révolutionnaire,
il s'est entouré d'êtres qui ne respiraient que désordre, meurtres et pillages ; il a coopéré par sa présence et sa signature à huit délibérations portant mandat d'arrêt contre trente-cinq individus, tous gens de bien, dont huit ont péri victimes innocentes de sa tyrannie».
Il ne
nous a pas été possible de trouver d'autres archives permettant de connaître
l'épilogue de cette affaire.
Serge Laurent
Président de la Société Populaire[7]
societepopulaire@free.fr
Certaines de ces "journées révolutionnaires"
sont bien connues, d'autres le sont moins. Ainsi, le 14 juillet et la prise de
la Bastille. Ainsi les journées d'octobre 89 où le roi est ramené à Paris aux
Tuileries. Ainsi le 20 juin 1792, lorsque le roi qui refuse de signer certains
décrets de l'Assemblée Législative est invectivé par des parisiens qui ont
envahi les Tuileries. Ainsi le 10 août 1792 que certains historiens appellent
"la seconde Révolution" et qui amène l'arrestation du roi, la perte
de crédit des Girondins, la fin de l'Assemblée Législative et la mise en place
de la politique révolutionnaire de Salut Public.
[1] Albert Soboul, « Les
sans-culottes », Seuil,
coll. Points histoire, 1968.
[2] Caladois est le nom donné
aux habitants de Villefranche sur Saône, la Calade.
[3] Buisante
est le nom de la colline qui domine la ville.
[4] Paroisse de Gleizé,
limitrophe de Villefranche-sur-Saône.
[5] Un livre terrier,
ou terrier, est un registre contenant les lois et usages d'une seigneurie,
la description des biens-fonds, les droits et conditions des personnes, ainsi
que les redevances et obligations auxquelles elles sont soumises (Wikipaedia).
[6] Leader girondin bien connu
(25 mars 1754-15 novembre 1793).
[7] Créée en 1987, notre
association traite de l'histoire ouvrière et sociale de Villefranche-sur-Saône
et du Beaujolais, créneau historique qui n'existait pas encore en Calade. Nous travaillons sur les
archives syndicales et politiques qui nous ont été confiées et sur les archives
municipales, départementales et journalistiques. Nous avons édité trois livres
: sur l'usine Vermorel, sur l'industrie textile caladoise et sur les métallos
caladois. Nous avons publié à ce jour treize Gazette pour rendre compte de nos travaux. Nous faisons deux
conférences annuelles. La dernière, le 28 mai 2010, avait pour sujet l'histoire
du Morgon à travers les âges, la petite rivière qui traverse la ville.