Paris a été alimenté en vins du Beaujolais bien avant la construction du chemin de fer et l’invention du moteur à explosion et du camion. Contrairement à ce que l’on pourrait penser ce n’est pas par la Saône, le seuil de Bourgogne et l’Yonne que ce ravitaillement parisien s’est effectué, mais par la LOIRE. j'utilise pour ma démonstration, le compte-rendu d'une étude d'un immense géographe de son temps, Cholley, sur "la géographie beaujolaise". le Beaujolais est un massif ancien, hercynien, qui appartient à la bordure orientale du Massif central : à l'est, il domine la vallée de la Saône. et il est limité, à l'ouest, par la plaine du Forez, fossé d’effondrement, où coule la Loire. Il a été entaillé par des rivières - l'une d'elles s'appelle la "Creuse" ce qui dit bien ce que cela veut dire - et il est possible, en remontant le val de l'une, de passer dans le val de l'autre en franchissant un col, bien sûr, et donc de joindre la Saône à la Loire. Cela est la clé de l'explication de la vente de vins du Beaujolais (versant oriental du massif) par la Loire (versant occidental) (cf. la première carte). Le seconde carte donne une seconde clé : la construction du canal de Briare (idée du bon Sully) achevée au cours de la première moitié du XVII° siècle, explique la chaîne logistique Beaujeu - Paris et explique aussi que Louis XIV a pu boire de ce bon vin. Voici le texte du compte-rendu de lecture.
"Ce très intéressant article, consacré aux genres de vie et à l’économie agricole et industrielle du Beaujolais mérite pour deux raisons, une mention dans la revue des Études rhodaniennes. D'abord, parce que c'est la seule étude régionale d'ensemble qui ait été faite sur une de ces régions du rebord oriental du Massif Central, à bien des égards encore assez mal connues. Et d'autre part le grand intérêt de cet article réside en ce que l'influence de la cité lyonnaise y est nettement déterminée, soit dans ses phases conquérantes, soit dans les périodes de recul. Orographiquement, le Beaujolais peut être ainsi défini (sans tenir compte des limites historiques) : la portion du « voussoir montagneux qui s’allonge du Sud vers le Nord, entre les vallées de la Saône et de la Loire » limitée au Nord par la vallée de Beaujeu et au Sud par la trouée de Tarare. La géographie physique nous enseigne que le Beaujolais est caractérisé par deux traits : - Un double et vigoureux contraste entre l'Ouest et l’Est, contraste topographique d'une part (pente douce du côté de la Loire : 25 kilomètres pour une descente de 300 mètres, pente abrupte sur la Saône : 9 kilomètres pour 600 mètres), contraste climatique d'autre part (Versant ligérien humide et relativement froid - versant séquanien beaucoup p1us sec et bien abrité). - L'existence de deux voies de communication naturelles, aux extrémités Nord et Sud du massif montagneux : I° Au Sud, le passage de Tarare (col des Sauvages, 725m) entre la vallée de la Turdine, affluent de la Brévenne, et le Rhins, affluent de la Loire, utilisé par la grande ligne ferrée Lyon-Tarare, Roanne et Paris. 2° Le passage de Beaujeu au Nord, dû à la remontée de l’érosion jusqu’à l’intérieur du massif, le long de la petite rivière de l’ Ardière, faisant communiquer Belleville-sur-Saône avec Pouilly-sous-Charlieu par le col des Echarmeaux. Ces conditions physiques expliquent d’abord comment sont nés les genres de vie, ensuite comment ils ont évolué. La partie orientale du Beaujolais, c’est-à-dire le versant montagneux dominant la vallée de la Saône, éminemment favorable à la culture de la vigne par son soi et son climat, est devenue très tôt une région viticole. Les plateaux occidentaux habités par une population beaucoup trop dense pour un pays de rendement du sol limité, se sont créé un genre de vie complexe, fondé à la fois sur l'exploitation agricole initiale, et l'activité industrielle complémentaire. Enfin, il faut ajouter que l’existence des voies commerciales, en bordure du pays (plaines de la Saône et de la Loire) ou à l'intérieur, telles que les passages naturels qui viennent d'être indiqués, ont contribué à faire évoluer ces genres de vie, (…). Prenons d'abord la Côte beaujolaise. Cette Côte beaujolaise, ou Beaujolais proprement dit, est constituée par le rebord de la montagne au-dessus de la Saône, et se divise suivant une classification locale en Haut-Beaujolais au nord du Nizerand et en Beaujolais bâtard ou Beaujolais calcaire au Sud de cette même rivière. Le Haut-Beaujolais est le pays des grands crus, l'autre, le Beaujolais calcaire, donne des vins plus ordinaires. La vigne y est connue depuis très longtemps, depuis l'époque romaine. Au reste, ces terres ne sont pas exclusivement occupées par la vigne, celle-ci escalade les pentes et couvre les replats supérieurs, tandis que les prairies s'étendent sur les sols humides des fonds de vallées et qu'enfin, entre vigne et prairie, s'intercalent des champs cultivés. NB. Cette carte artisanale date de 1930. j'ai surimposé -en vert fluo- le trajet Saône-Loire emprunté au XVII° siècle. En rouge, Beaujeu, capitale historique du Beaujolais, qui a donné son nom au "pays" - et le port fluvial sur le canal de Digoin à Roanne point d'embarquement des "pièces" de vins qui allaient "monter" à Paris et, pour cela, 'descendre' la Loire, jusqu'au canal du Loing. Retour au compte-rendu. C'est dans ce Haut-Beaujolais, en bordure de la montagne que se créa une petite mais puissante unité politico-économique. La célèbre principauté de sires de Beaujeu occupait en effet les deux débouchés de la route qui conduisait à la Saône et à la Loire par le col des Echarmeaux. Outre cette position stratégique, le Haut-Beaujolais dut son importance à la vigne. Celle-ci était devenue la culture prépondérante dés le XV° siècle. Prospérité redevable à l'influence de Lyon. Le début du XVI° siècle marque la belle période des foires lyonnaises. Commerce et banque enrichissent les bourgeois lyonnais, qui viennent acheter des propriétés en Beaujolais. Ils font fabriquer leur vin et le vendent ensuite facilement sur le marché lyonnais. A ce moment, le Haut-Beaujolais constitue le « bon pays » par excellence. C'est un centre d'attraction autour duquel se groupent et la montagne et la plaine, formant ainsi une petite province dont Beaujeu est la capitale. Le XVII° siècle et une partie du XVIII° voient disparaître cette remarquable prospérité. La vigne perd sa prépondérance, les cultures se développent à ses dépens; dans certains endroits même, elles la réduisent à un rôle tout a fait secondaire dans l'économie agricole. Mais dès la fin du XVIII° siècle se produit une véritable régénération sous le coup de deux événements, décisifs pour l'histoire de la viticulture en Beaujolais, et solidaire l'un de l'autre : a) ouverture du marché parisien ; b) amélioration des voies de communication. La vigne reconquiert alors la place qu'elle avait perdue. Cette fois seulement, c'est le courant commercial de la Loire vers Paris qui l'emporte. Il faut donc transporter à dos de mulets ou par charrois les pièces de vin à travers la montagne depuis Beaujeu jusqu'à Charlieu sur la Loire. Aussi est-il nécessaire d'améliorer les routes et même d'en créer de nouvelles, telle la route de Belleville à Pouilly sous-Charlieu entre 1760 et 1770. Le genre de vie de la côte beaujolaise est désormais fixé : la vigne a définitivement pris possession, jusqu'à nos jours au moins, de tout le Haut-Beaujolais, du Beaujolais bâtard également. Seule la création des chemins de fer viendra modifier le mode d’expédition des vins. Les routes de montagne sont abandonnées, les marchés aux vins s'installeront dans la plaine le long de la grande voie ferrée. Conséquence non moins importante, le renversement du courant commercial fera passer la capitale du Beaujolais de Beaujeu â Villefranche, autrement dit la plaine de la Saône, région de prairies et de cultures où se concentrent au XX° siècle le commerce et l’industrie, prendra l'avantage sur la Côte et deviendra le centre économique du Beaujolais oriental, les gros villages et les bourgs se transformant en petites villes (Belleville, Villefranche)"[1].
Pour les amateurs, rien ne remplacera jamais la célèbre "HISTOIRE DE LA VIGNE ET DU VIN de R. DION. (mais je ne l'ai pas sous la main au moment de la rédaction de ce court article).
[1] CHOLLEY (A). « Notes
de Géographie beaujolaise ». Annales de Géographie, XXXVIII, 15 janvier
1929, pp.26-46.Compte-rendu de J.-G. Ebersolt. En ligne, version complète. |