B. LES REBEYNES : LYON, son identité et l'esprit de révolution...

publié le 27 juin 2011, 03:01 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 30 oct. 2011, 11:17 ]
  20/05/2011  

2ème partie : la rebeyne de 1436

Si les rebeynes du XIII°siècle s’inscrivent dans un siècle de croissance continue et mettent en scène les bourgeois avides de libertés communales, celle de 1436 est plongée dans un XV° beaucoup plus perturbé et voit arriver les pauvres et/ou les appauvris et leurs compléments : les "nouveaux riches" comme l’on ne disait pas encore.

XIV° et XV° siècles sont les siècles de la Guerre de Cent ans, de la peste, de la famine, de la mort. Quand la paix est signée -transitoirement, pour refaire ses forces- les soldats désœuvrés se mettent derrière un seigneur de la guerre qui vit, lui et son armée de bandits, sur le terrain, au grand désespoir des paysans et même des villes. Ces armées hors-la-loi ont suffisamment de forces pour battre l’armée royale comme à la bataille de Brignais aux portes de Lyon, en 1362. Lyon a connu tout cela : pestes, famine, sièges … Mais, l’élan de ses deux siècles du bas Moyen-âge n’est pas uniforme. Avant 1400, les décennies ont été plutôt belles du côté rhodanien. C’est la "guerre bourguignonne" -Philippe le Bon se retourne contre le roi de France après son alliance avec l’Anglais- qui replonge la ville dans les affres de la guerre. Après 1435, tout aurait dû aller mieux puisque la paix est signée entre France et Bourgogne mais les conséquences des épreuves subies provoquent au contraire la rebeyne de 1436, intéressante à plus d’un titre.

La rebeyne : son déroulement

Voici le texte de R. Fédou[1], professeur à Lyon II (1978) :

    "Disette et cherté, dépréciation incessante de la livre tournois, chômage et incertitude du lendemain firent plus lourdement ressentir le poids de la fiscalité et l'iniquité de sa répartition. Les petits contribuables reprochaient aux "aisés" d’esquiver leur juste part de taille ; avec les citoyens trop pauvres pour être soumis à l'impôt direct, ils détestaient toute forme de "gabelles" ou taxes indirectes, qui grevaient les budgets modestes. Un parti démocratique se forma, dont le notaire Jan de Condeyssie, assisté de quelques confrères, se fit l'ardent porte-parole au cours d'"assemblées" houleuses qui se tinrent pendant la guerre. Après la paix d'Arras (1435), l'exigence simultanée d'une taille élevée et des "gabelles" honnies eut l'effet d'un détonateur : deux mois d'agitation aboutirent, en juin 1436, a une grave "rebeyne".

Quatre jours durant, les "gens de baz estat" se livrèrent a des pillages, menaces de mort et voies de fait contre les riches, les spéculateurs, les représentants de l'ordre établi. L'énergie et l'habileté de ces derniers, la dérobade in extremis du notaire-tribun firent échouer l'entreprise, et la ville se le tint pour dit, lorsque Charles VII vint en personne prescrire, pour les principaux insurgés, un châtiment exemplaire : trois exécutions capitales, cent vingt incarcérations ou bannissements, un poing gauche coupé...

    Par son dénouement comme par ses origines et ses caractères, la rebeyne était lourde de sens. Elle ne marquait pas seulement l'emprise désormais irréversible du pouvoir royal sur des libertés urbaines que la guerre même avait développées. Elle n'était pas simple révolte de la misère. Antifiscale et anti-oligarchique, elle reflétait en outre toute l’évolution sociale parcourue depuis un siècle. Des reclassements, eux aussi irréversibles, s'étaient produits : l'ancien "patriciat", qui avait jadis procuré à Lyon ses franchises, avait subi des coupes sombres du fait des mortalités, ou de l'extinction naturelle de quelques familles ; l'accession des plus ambitieuses à la noblesse ou à de hautes fonctions les tenait éloignées de leur ville ; parmi celles qui demeuraient, certaines, très atteintes par les difficultés économiques, incapables de s'adapter, étaient, tels les Pompierre, au bord de la ruine. Ce n'est pas à ces survivants d'un glorieux passé et qui étaient parfois de connivence avec eux, que les insurgés de 1436 en voulaient le plus, mais aux "nouveaux messieurs" qui briguaient la relève : hommes d'affaires qui avaient misé, pour s'enrichir, sur la misère des temps et d'autrui; gradués en lois et officiers royaux, symboles vivants d'une autorité raffermie. Deux catégories sociales qui, à la faveur de structures politiques et administratives renforcées et du nouveau retournement de conjoncture qui s'annonçait, avaient pour elles l'avenir".Fin de citation.

    Ici encore, l’universitaire utilise un vocabulaire peu favorable aux révoltés : "pillages, menaces de mort et voies de fait" mais voyons les grains et délaissons la paille.

Sur les nouveaux riches

C’est moi qui utilise ce vocable, bien plus parlant que "nouveaux messieurs" comme on disait à l’époque. Fédou expose une donnée historique qui traverse toutes les grandes villes d’Europe. L’ancien patriciat est remplacé par les hommes d’affaires.

    "Entre eux et les riches patriciens du Moyen-âge, le contraste n’est pas moins éclatant qu’entre Fra Angelico et Raphaël" écrit Pirenne[2]. La masse des capitaux manipulés, la taille géographique des marchés n’ont plus rien à voir. Pour décrire ces hommes, H. Pirenne utilise les mots de "banquiers, courtiers d’affaires, exportateurs, commissionnaires, spéculateurs, âpreté, aventuriers, sans ancêtres, sans traditions de famille, individualisme". On parle autant des "énormes richesses accumulées" que des "retentissantes faillites". Si au Moyen-âge la vie économique était "réglementée, surveillée, protégée, cloisonnée en métiers figés", elle est maintenant "illimitée, impitoyable, sans scrupules, dédaigneuse des entraves et des usages séculaires".

    Cette mutation est en cours à l’époque qui nous intéresse mais elle est sensible. Les Consuls de Lyon l’avaient exprimée : dans une lettre adressée au Roi pour lui demander de payer moins d’impôts eu égard aux difficultés éprouvées par la ville, ils dénoncent déjà -en 1399- les pratiques usuraires : "pour supporter ces épreuves, les manants et habitants de Lyon ont dû engager beaucoup de frais et de dépenses, car ils sont endettés vis-à-vis des Lombards et des autres usuriers demeurant en la ville... ". Les Lombards étaient des marchands et changeurs italiens domiciliés dans le royaume de France. L'opinion publique de ce temps leur reprochait des pratiques usuraires. Fédou donne d’autres exemples plus extravagants. Les chefs des bandes armées que j’ai évoquées ont besoin d’argent pour tenir leurs hommes : ce sont des bourgeois de Lyon qui se font leurs banquiers ! On cite même un Sénéchal -office royal de haut-rang comme nos préfets - "qui spécula sur les blés". Crime économique passible de la mort en ces temps de disette voire de famine. Le sens féodal de l’honneur est en voie de disparition. "Bénéfices assurés à tous les détenteurs de métaux usuels ou précieux : armuriers, dont les rangs se grossissent, à Lyon, de spécialistes allemands; maîtres-mineurs et ferratiers ; changeurs qui tirent parti et des remuements monétaires et du libre accès à Lyon, des espèces étrangères" (Fédou).

Sur les officiers royaux

    Là aussi nous avons une « nouvelleté » que détestent les gens du Moyen-âge.

    Il faut rappeler que l’Eglise, lato sensu, reste à l’écart : elle est un État dans l’État avec ses impôts, ses tribunaux. En revanche, elle ne paie pas d’impôts au Consulat lyonnais. Les couteux remparts que la ville doit édifier pour se protéger des Grandes compagnies des seigneurs de la guerre ou des Bourguignons, sont édifiés sans l’argent de l’Église.

    La ville de Lyon, pour tenir ses registres fiscaux, ses livres de comptes, rédiger les procès-verbaux des séances embauche des personnels qualifiés "qu’entourent de multiples scribes et que complètent des procureurs et avocats mandatés auprès des cours souveraines".

    Mais là-dessus se superpose "la panoplie complète d’une administration royale tentaculaire" (R. Fédou). "Une telle extension de la bureaucratie fit proliférer un type social nouveau : l’administrateur"."La comparaison du capital fiscal de Lyon à la fin du XIV°siècle et au milieu du XV° montre que juristes et officiers ont pu investir une plus forte proportion de leur avoir en biens-fonds urbains ou ruraux que les marchands, tenus de conserver un fonds de roulement et un stock minimum de marchandises".

    Bref, la population se sent placée dans un filet, une nasse, dont elle pense ne pas pouvoir s’échapper et, surtout, qui lui coûte cher…

    Tout cela est très intéressant et parfaitement transposable à la situation parisienne. On sait que Paris connaîtra une terrible guerre civile avec la Sainte Ligue (objet du chapitre 2, vol. I de mon livre) dont une des explications réside dans cette opposition entre une moyenne et petite bourgeoisie d’officiers municipaux heurtées par l’envahissement des nouveaux maîtres de l’administration royale prolifique et autoritaire.

    Au contraire, la rebeyne de 1436 a éclaté dans un environnement mental, si j’ose dire, porté sur l’égalitarisme. En 1421, dans les Monts du Lyonnais, les paysans voulaient « détruire toute noblesse, après les prêtres, sauf un par paroisse et puis après tous les bourgeois, marchands, gens de conseil et autres notables des bonnes villes ». en 1431, en Forez, les jacques exigeaient que « les nobles travaillent pour vivre ».

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 *   *

    Je rappelle les mots de l’historien : révolte de la misère, gens de bas-état vs aisés, fiscalité directe lourde, à la répartition inique -c’est-à-dire inégalitaire-, riches qui se soustraient au paiement de l’impôt, multiplication des impôts indirects qui sont par définition injustes socialement, spéculation sur les produits de première nécessité comme le blé, pratiques usuraires, arrogance des nouveaux riches face à la misère du plus grand nombre.

Les petits Identitaires qui parlent de rebeyne seraient bien inspirés de s’en prendre comme leurs anciens à tout cela : QUI N’A PAS DISPARU et, même, qui continue de prospérer !

Parlez-nous des nouveaux riches, du Bling Bling ! des spéculateurs, des traders, des Golden boys, des hommes du CAC40 ! et vous serez fidèles à vos racines ! et cessez de parler des Musulmans et du saucisson qui ne sont en rien responsables de cette situation. Ou alors ne parlez plus de rebeyne !

Soyez honnêtes ! mais, au fond, vous ne pensez - vous le dîtes vous-mêmes - qu’à la libre entreprise.

Voilà ce que sont nos racines identitaires lyonnaises : le droit de vivre dans la dignité et l’égalité.

(à suivre)     C. Les REBEYNES : LYON, son identité et l'esprit de révolution...



[1] Histoire de Lyon et du Lyonnais, PRIVAT éditeur.

[2] H. PIRENNE, Les anciennes démocraties des Pays-Bas. J’emprunte beaucoup de ce qui suit à son livre, synthèse admirable.

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