Par Jacques Teyssier, homme de goût.
Lyon aime à se prévaloir du titre envié de «capitale mondiale de la gastronomie» que lui décerna Edmond Saillant, ce journaliste gastronome plus connu sous son pseudonyme de Curnonsky ! Un propos que récusa Christian Millau : «Dire que la meilleure cuisine de France est lyonnaise est aussi puéril que de dire que la meilleure cuisine du monde est française». Mais au diable les polémiques ! Dans la ville des gones, des canuts, de Monsieur Paul, autrement dit Bocuse, et des trois fleuves, Rhône, Saône et… Beaujolais, pour reprendre une plaisante expression attribuée à Daudet, la gastronomie a toujours été une valeur sûre ! À moins de rechercher le boui-boui de service, il est bien dur de mal manger. Rabelais le savait bien, lui qui y publia son Gargantua, adepte s’il en est de la bonne chère ! Les raisons de cette renommée sont à chercher dans l’histoire et l’environnement. Cité prospère déjà sous les Gaulois, grand centre de commerce et de foires, carrefour d’influences avec, notamment, celle de la Renaissance italienne –c’est dans l’ancienne Lugdunum que Marie de Médicis épousa fastueusement Henri IV–, Lyon bénéficie d’une proximité tout ce qu’il y a de gourmande ! Entre la Bresse et ses grasses volailles, les seules à s’honorer d’une AOC, le C de «contrôlée» étant aujourd’hui remplacé par le P de «protégée», le Charolais et sa viande, la vallée du Rhône et ses primeurs ou encore la Dombes et ses poissons, sans parler des fromages et des vins des alentours, tous les ingrédients se trouvent réunis pour régaler nos gosiers… Et que dire de cette truculente débauche de charcuteries, plus savoureuses l’une que l’autre, cervelas truffé et pistaché, tablier de sapeur, andouille, rosette ou sabodet, composant joyeusement cet en-cas du matin avant la cervelle de canut, ce fromage blanc en faisselle rehaussé d’oignon, d’ail, d’herbes et de poivre, le tout accompagné de quelques pots de beaujolais. C’est le fameux mâchon ! Mais il serait impardonnable de passer sous silence l’irremplaçable rôle joué par les «mères lyonnaises». De Célestine Blanchard à Eugénie Brazier, en passant par Mlle Rose, Tante Paulette ou encore Françoise Fillioux, ces maîtresses femmes ont merveilleusement su marier la grande cuisine bourgeoise et celle des bouchons. Gâteau de foie de volaille, gras-double, poulet au vinaigre, cardons à la moelle, fonds d’artichaut au foie gras, langouste Belle-Aurore ou encore poularde demi-deuil sont leur création… Autant de mets ne cessant du reste de provoquer cette même jouissance qui faisait dire au poète Clément Marot qu’un «séjour à Lyon est plus doux que cent pucelles» ! Les quenelles au gratin font partie de ces plats de légende. Les meilleures sont sans conteste celles préparées avec la chair du brochet, soigneusement pilée, au mortier s’il vous plaît, enrichie de lait, de beurre et d’œufs. Pour ce roi des carnassiers, une sauce Nantua, à base d’écrevisses, ne sera jamais de trop !
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