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A propos de la shoah : la Pologne antisémite...

publié le 2 avr. 2015, 07:45 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 6 oct. 2019, 06:29 ]

    Ce film terrible sur la Shoah est à voir et revoir. La machine allemande aux mains des nazis a été d’une efficacité monstrueuse. On ne cessera de le répéter. Il est effrayant de lire que LePen reprend son mot de "détail", aujourd’hui, en avril 2015, pour qualifier l’utilisation des chambres à gaz. Autant que de constater que le FN obtient des scores altitudinaux dans un pays comme la France, pays de la Révolution de 1789 qui libéra les juifs en en faisant des citoyens ordinaires. Mais la France a ceci de commun avec la Pologne, c’est qu’elle est un pays catholique et que l’antisémitisme y est consubstantiel puisque la première forme de l’antisémitisme a été le reproche fait par les catholiques aux juifs d’avoir tué le fils de Dieu, crime de déicide…   

    En Pologne, l’antisémitisme fut et est monnaie courante. Pas toujours cependant, au Moyen-âge, avant l’apparition de la Réforme, "(le) catholicisme (polonais) n’entrait guère, pour l’instant, en conflit avec la foi hébraïque. Les synagogues se multipliaient dans les quartiers juifs prospères, (…), et l’image d’une Pologne paradisium judeorum, opposée à l’Europe occidentale intolérante, était parfaitement justifiée"[1]. Le grand virage est pris au XVI° siècle quand arrivent les contre-réformés, les Jésuites, qui font de la Pologne leur proie.

"La physionomie (des) bourgades et des villes royales était de plus marquée par une population juive en augmentation depuis le XV°siècle. Gérés de manière autonome par un kahal (conseil) élu au sein des communautés en vertu de privilèges royaux, les Juifs ne se mêlaient pas aux chrétiens, mais, dans l'ensemble, malgré quelques rares écrits judéophobes, vivaient en paix avec eux. Leur accroissement semble dû à une natalité plus forte que chez les chrétiens. Il n'existe aucun recensement précis, mais on estime que le nombre de Juifs en Pologne passa ainsi de 2 ou 3 % de la population totale en 1550 à 4 ou 5 % en 1650, soit environ trois cent cinquante mille personnes. La mentalité nobiliaire, qui tenait toute espèce de commerce et d'artisanat en grand mépris, favorisa l'abandon de ces activités aux Juifs qui, sans s'intégrer socialement, s'intégraient économiquement. Leur rôle était d'autant plus nécessaire que la bourgeoisie, on l'a vu, avait été sans cesse abaissée. De nombreuses bourgades se dotèrent alors de superbes synagogues, dont celle, baroque, de Tykocin (1642) (…)".

    Beauvois parle, alors, du "retour en force de la religion catholique" qui "malgré la tolérance proclamée, redevient le pôle le plus attractif, par sa hiérarchie bien structurée, par son rayonnement mondial, par la richesse de l’Église. En quelques décennies, les jésuites vont ramener la plupart des calvinistes et luthériens dans leurs églises pleines de faste baroque". "Ce succès de la Contre-réforme" poursuit-il "contribue à affaiblir la position de la Pologne en Europe en la plaçant trop nettement dans la dépendance de Rome"[2]ce succès explique aussi que "l’intolérance est reparue plus vite à l’égard des autres religions"

"Malgré la réussite économique de quelques marchands qui entraient dans les sociétés financières nobiliaires, la bourgeoisie restait faible. Cela s'explique par la structure de la population urbaine : c'est elle qui accueillait les Juifs, lesquels représentaient 10 % des neuf millions d'habitants de la République, mais constituaient un corps séparé. La suppression, en 1764, de l'autonomie totale des Juifs, les réductions mises à leur installation dans les villes et à l'ouverture de commerces ne donnaient aucun résultat. Des théoriciens souhaitaient en faire des agriculteurs et supprimer les kahals. Cette masse, indispensable lorsqu'elle était riche, devenait un fardeau lorsqu'on considérait sa majorité pauvre. Un très petit nombre avait, depuis le début du siècle, adhéré au mouvement de ralliement au catholicisme lancé par Jacob Frank, mais la mouvance hassidique, très intégriste, propagée par Israël ben Elieser, surtout dans l'Est, prédominait. Le blocage semblait insurmontable".

    Il l’est resté.

    Voici un extrait d’un cours d’agrégation du CNTE (France) diffusé aux candidats en 1976-77, cours sur la Pologne durant l’entre-deux-guerres :

"Parmi les principales mesures dirigées contre la minorité juive on peut citer : La résolution du 10 mai 1937 de l'Union des avocats polonais qui demanda que le nombre des avocats juifs ne saurait excéder le pourcentage de la population juive dans l'ensemble du pays ; L’Union des Médecins polonais n’admet à partir du 18 octobre 1937 que les seuls médecins chrétiens de naissance ; les autres ne pouvaient être admis en tant que membres que par une décision du Comité central de l'Union ; Des bancs spéciaux furent réservés aux écoliers Juifs dans les lycées et les écoles moyennes (octobre 1937). Pour protester contre l'institution du "ghetto" universitaire une grève fut proclamée le 19 octobre 1937 dans tout le pays par les organisations juives. A la même- époque des incidents se déroulaient à Varsovie, à Lódz et dans-les universités des villes polonaises". Et aussi "Mais comme l'antisémitisme se développa surtout à partir de 1939 les députés Juifs (sept seulement) entrèrent dans l'opposition et connurent soit l'exil soit la prison comme Herman Liberman du parti socialiste ou les communistes Roman Zambrowski et Adolf Warski-Warszawski".

    Ces campagnes s’inscrivent dans le cadre d’une politique de "La Pologne aux Polonais" lancée par les forces nationalistes hostiles à toutes les minorités vécues comme centrifuges, parmi elles, en tête d’entre-elles, les juifs.

"Une forte proportion de jeunes évoluait vers la vision d’un Etat mono-ethnique glorifiant le sang, le sol polonais. (Ils) se constituaient en groupes fascisants qui attaquaient très fréquemment les magasins juifs ou la population juive, faisant de l’antisémitisme un mot d’ordre". (Beauvois).


ci-dessous : Entrée principale du camp de concentration d'Auschwitz Birkenau

  

 Cet antisémitisme banalisé, très répandu dans les masses paysannes -mais pas seulement, on vient de le voir- explique certains séquences du film de Lanzmann.

"La douloureuse question «Avons-nous fait assez ?» «Pouvions-nous faire plus ?» se pose encore. A propos des ghettos d'abord, dont l'organisation ne souleva pas de protestation notable dans la population polonaise, terrorisée certes, mais parfois indifférente, voire approbatrice. Cette idée de complicité fut jetée à la face du monde en 1985 par le film de Claude Lanzmann, Shoah, que la télévision polonaise ne montra qu'en 1997 et qui ne sortit en salle qu'en 2003, et seulement pour un mois. L'immense scandale des trains qui partaient pour les camps de la mort se passa, en effet, sous les yeux de nombreux Polonais - et Lanzmann en trouva, quarante ans plus tard, qui semblaient ne rien déplorer".(Beauvois)

    Effectivement, les programmes TV peuvent écrire, pour présenter le film :

"Un ancien gardien SS fredonne paisiblement un chant terrible que devaient apprendre les déportés juifs en arrivant à Treblinka. Le même s'émerveille encore que ses chefs aient pu "traiter" dix-huit mille personnes par jour. Un paysan polonais raconte, sans émotion, la routine des convois qui arrivaient quotidiennement à Treblinka et déversaient sur le quai leur chargement de survivants, affamés, transis et épouvantés, que, tout au long du chemin, d'autres paysans avaient regardés passer en faisant le signe de se trancher la gorge. Revenu aux commandes d'une locomotive, un conducteur de train parcourt à nouveau le chemin Jusqu'à Treblinka. Il raconte et, spontanément, refait à son tour le geste terrible de se couper le cou. Des nazis expliquent sans ciller qu'à leurs yeux l'extermination des juifs était devenue la seule solution".

    Sous la Pologne du bloc soviétique, ce mal séculaire n’a pu être éradiqué d’autant que le catholicisme était une forme de résistance au régime. Voici les mésaventures qu’Henri Krasucki, secrétaire général de la CGT, d’origine polonaise, eut à subir de la part du gouvernement pro-soviétique de Varsovie [3].

"Henri n'ignore rien, dans le détail, des vagues successives d'antisémitisme qui, en Pologne, frappent ses proches, ses camarades. Léa, sa mère, est revenue en 1961 pour des raisons familiales, elle a été forcément témoin de ce qui se passe. Son oncle, Julian Borszczewska, rentre en France dans l'urgence. Henri est là pour l'accueillir, l'entendre.

En 1996, avec Jérôme Pélisse [4], il revient sur la vague d'antisémitisme en Pologne communiste "organisée, hélas ! par la direction du POUP [5]. [ ... ] Période scandaleuse de calomnies et d'un climat pourri. [ ... ] De nombreux juifs, parmi lesquels des personnalités de valeur, parfois de réputation mondiale, au plan politique, culturel ou dans différentes disciplines de la connaissance et des activités humaines, ont été directement chassés, ou écœurés au point de quitter la Pologne, déchus de la nationalité polonaise, déclarés sionistes et exclus du Parti pour ceux qui en étaient membres, souvent vétérans et de haute responsabilité".

C'est Henri Krasucki qui écrit la note préparatoire du courrier du PCF destiné à la direction du POUP. Il y évoque le départ de Pologne d'environ 18000 juifs sur 25000. Parmi les 200 qui arrivent en France, Louis Gronowski-Brunot, dirigeant communiste de la MOI [6], en contact avec la direction du Parti communiste en septembre 1940, à l'origine de la réorganisation de la MOI juive, retourné en Pologne à la demande expresse du PC polonais, malgré les réticences du PCF, et "qui revient en France comme un banni et un paria, déshonoré". Et plus largement le cas des communistes résistants, brigadistes, partis en Pologne à la fin des années 1940, "traités indignement, contraints de rentrer en France, privés de retraite". Cette lettre qui demande l'intervention du parti polonais reçoit une réponse d'Edward Gierek, premier secrétaire du Parti ouvrier unifié polonais : "Nous n'avons chassé personne. Ceux qui sont partis l'ont fait d'eux-mêmes, de leur plein gré, qu'ils supportent les conséquences de leurs actes".

Henri reste en relation directe avec Louis Gronowski-Brunot, "avec la fraternité et la considération qui lui étaient dues, [...] toujours communiste de droit, avec tous les mérites d'une vie militante exemplaire". Il l'aide à se loger et à disposer de moyens d'existence.

Lors des grèves des années 1970 et 1980, certains dirigeants communistes polonais lui en garderont rancune : "On sait très bien que les juifs sont derrière tout ça. [ ... ] Nous avons les preuves qu'Henri Krasucki était en 1976 sur les quais de Gdansk" [7]. Ça rentrait totalement dans cette campagne antisémite. Alors que la CGT devenait déjà très critique au sein de la FSM (Fédération syndicale mondiale), c'était un argument de plus. "Dès que tu critiquais, tu étais suspect et d'autant plus si tu étais d'origine juive. Le POUP t'énumérait tous les camarades d'origine juive au bureau politique du PCF. Henri n'a jamais mesuré ça. Il pensait qu'ils le respectaient. Ils avaient un certain respect mais le blocage était toujours sur ses origines. Et ça, tu ne pouvais pas lui dire".[8]

    Cet antisémitisme invétéré est parfaitement rendu par les propos de Zofia Kossak (1890-1968) retranscris par Daniel BEAUVOIS, historien de droite mais honnête :

L’écrivaine connue Zofia Kossak (1890-1968), fondatrice du beau mouvement Zegota, déclarait, à cette date (1942), dans l'organe du Front catholique de renaissance de la Pologne : "Nos sentiments concernant les juifs n'ont pas changé. Nous ne cessons pas de voir en eux les ennemis politiques, économiques et idéologiques de la Pologne. Plus même, nous nous rendons compte qu'ils nous haïssent plus que les Allemands, qu'ils nous rendent responsables de leur malheur". Qui, après cela, pouvait aider ces prétendus ennemis ? Et en mai 1943, dans La Vérité des jeunes, la même Zofia Kossak nourrissait un incroyable et monstrueux espoir pour les survivants, assorti de ces considérations : peut-être allaient-ils enfin embrasser la foi chrétienne ? "Les Juifs ne vont-ils pas se purifier, dans l'actuel holocauste, de leur image d'éternels errants et de parasites gênants ? ". Il fallait "prier pour ceux qui meurent, les convaincre que, de leurs souffrances actuelles, ils peuvent faire un grand bûcher expiatoire qui hâtera leur régénération, qui ôtera de ce peuple, jadis élu, la malédiction qui pèse sur lui, apprendra aux Juifs que, par la force de leur aspiration, ils peuvent être sauvés à l'article de la mort, en désirant le baptême et la vraie foi".

    Ite missa est.

    Aujourd’hui, les catholiques polonais ont retrouvé le pouvoir. Certains bombent le torse et, accueillant avec chaleur les troupes américaines de l’OTAN, ne dédaigneraient pas -dans le cadre de l’alliance de la puce et de l’éléphant - croiser le fer avec l’ennemi héréditaire russe. Que Dieu les en préserve…

PS. à compléter par qui a libéré le camp d'Auschwitz ?



[1] Daniel BEAUVOIS, La Pologne des origines à nos jours, SEUIL, édition de 2010.  

[2] Ce sera, en revanche, un outil dont Jean-Paul II sera habilement se servir dans sa croisade anti-soviétique.

[3] Extraits du livre de Christian LANGEOIS, "Henri Krasucki, 1924-2003", Le Cherche-midi, Paris, 2012.

[4] Henri Krasucki, entretiens avec Jérôme Pélisse, 1997.Cités par Christian LANGEOIS.

[5] Parti Ouvrier Unifié Polonais, résultat de la fusion entre le PS et le PC polonais. En fait, c’est le PC polonais.

[6] MOI : main-d’œuvre immigrée. Organisation de résistance mise en place par le PCF et qui compta le groupe Manouchian.  

[7] Entretiens avec Alain Simon, 28 avril 2011. Alain Simon est secrétaire de la Fédération internationale des mineurs puis secrétaire général de l'Organisation Internationale de l'énergie et des mines.

[8] Alain Simon, cf. Note 7.

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