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1955, Montgomery (Alabama - USA) : Rosa PARKS, la lutte pour les droits civiques commence (Ch. Deroubaix, Chloé Maurel)

publié le 9 févr. 2013, 03:05 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 12 déc. 2020, 02:26 ]

Je fais suivre l'article de Ch. DEROUBAIX  par une analyse historique de Chloé MAUREL parue le 4 décembre 2020 dans le journal L'Humanité.


  "Si nous baissons les bras, nous sommes complaisants envers les mauvais traitements, ce qui les rend encore plus oppressifs".

Rosa PARKS



    Aujourd’hui, alors que sort, selon la tradition hollywoodienne - c’est-à-dire Barnum tonitruant - le film sur Lincoln-qui-a-aboli-l’esclavage, c’est le centième anniversaire de la naissance d’une ouvrière du textile afro-américaine. Anonyme, inconnue, invisible, comme toutes les ouvrières du textile afro-américaines, elle sort de l’anonymat par un geste héroïque : elle refuse de se lever pour donner sa place assise à un homme blanc, dans l’autobus qui la ramène chez elle après une journée de labeur. Rosa Parks -c’est son nom - entre dans l’histoire de la pire des façons : arrestation, emprisonnement. Mais elle ouvre un chemin qui deviendra une grand-route. J.-P. R.


 Rosa Parks, la femme qui s’est tenue debout en restant assise

ROSA PARKS, la femme qui s’est tenue debout en restant assise.

 

    Par Christophe DEROUBAIX

    Journaliste à L’Humanité.

 

 

    Née il y a cent ans, cette jeune couturière a participé au basculement de l’histoire des États-Unis en refusant, en 1955, de céder sa place à un Blanc dans un bus de ­Montgomery (Alabama).  À cette époque, l’apartheid à l’américaine réprime mais l’apartheid à l’américaine s’effrite. 

 

    «Elle s’est assise pour que nous puissions nous lever. Paradoxalement, son emprisonnement ouvrit les portes de notre longue marche vers la liberté» déclara Jesse Jackson. Le 1er décembre 1955, à Montgomery, en Alabama, dans le Sud profond, Rosa Parks, couturière de quarante-deux ans, s’est, en effet, assise. Elle a, plus exactement, refusé de se lever pour céder la place à un Blanc. Voici le témoignage qu’elle en a livré : «D’abord, j’avais travaillé dur toute la journée. J’étais vraiment fatiguée après cette journée de travail. Mon travail, c’est de fabriquer les vêtements que portent les Blancs. Ça ne m’est pas venu comme ça à l’esprit, mais c’est ce que je voulais savoir : quand et comment pourrait-on affirmer nos droits en tant qu’êtres humains ? Ce qui s’est passé, c’est que le chauffeur m’a demandé quelque chose et que je n’ai pas eu envie de lui obéir. Il a appelé un policier et j’ai été arrêtée et emprisonnée ».

 

Ségrégation inconstitutionnelle

    L’apartheid à l’américaine réprime mais l’apartheid à l’américaine s’effrite. En mai 1954, dans l’arrêt Brown versus Board of Education, la Cour suprême a déclaré inconstitutionnelle la ségrégation raciale dans l’éducation. Le Sud raciste résiste, évidemment, tandis que le pouvoir fédéral regarde ailleurs, pour l’instant.

    Rosa Parks, née en 1913 à Tuskegge, à cinquante kilomètres de Montgomery, ne fut pas la première à «désobéir». En 1944, Jackie Robinson, le premier joueur noir de la ligue professionnelle de base-ball, avait refusé d’être cantonné dans la partie du bus réservée aux «non-Blancs». Traduit devant une cour martiale, il fut acquitté. À Montgomery même, en mars 1955, une adolescente de quinze ans, Claudette Colvin, outrepasse l’interdit raciste. Mais c’est l’acte d’une couturière anonyme qui sert de déclencheur et de catalyseur. Dès le lendemain de son emprisonnement, les Noirs boycottent la compagnie de bus. Les différentes associations et églises se fédèrent au sein du Mouvement pour le progrès de Montgomery. Elles placent à sa tête un pasteur de vingt-sept ans venu d’Atlanta, Martin Luther King. Le mouvement formule trois revendications immédiates : la liberté pour les Noirs comme pour les Blancs de s’asseoir où ils veulent dans les autobus ; la courtoisie des chauffeurs à l’égard de tout le monde ; l’embauche de chauffeurs noirs.

 

        K.K.K.


File:Ku Klux Klan members march down Pennsylvania Avenue in Washington, D.C. in 1928.jpg

Le Ku Klux Klan se démène comme jamais pour endiguer la vague montante du mouvement des droits civiques mais, le 4 juin 1956, la Cour fédérale de district condamne les règles ségrégationnistes en vigueur dans les transports. Le maire de Montgomery se tourne vers la Cour suprême. Le 13 novembre, la plus haute juridiction du pays confirme l’inconstitutionnalité de cette pratique ségrégationniste.

Rosa Parks a gagné. D’une flammèche, elle a embrasé la poudre dormante des consciences. Le mouvement des droits civiques est désormais sur son orbite. Dans son "Histoire populaire des États-Unis", l’historien américain Howard Zinn souligne que « Montgomery allait servir de modèle au vaste mouvement de protestation qui secouerait le Sud pendant les dix années suivantes : rassemblements religieux pleins de ferveur, hymnes chrétiens adaptés aux luttes, références à l’idéal américain trahi, engagement de non-violence, volonté farouche de lutter jusqu’au sacrifice »[1].

Marche des droits civiques

    Cette «longue marche» prendra presque une décennie avant d’atteindre sa destination, fera une étape décisive à Washington, en août 1963, pour la grande marche des droits civiques et le discours de Martin Luther King «I Have a Dream». En 1964 et 1965, le président démocrate Lyndon Johnson signe, respectivement, la loi sur les droits civiques puis la loi sur le droit de vote. Quant à Rosa Parks, elle poursuivit son engagement, travailla avec le représentant afro-américain du Michigan, John Convers. En 1987, elle créa le Rosa and Raymond Parks Institute for Self Development qui organisait des visites en bus pour les jeunes générations en leur faisant découvrir les sites importants du mouvement pour les droits civiques. En 1990, Nelson Mandela, tout juste libéré de prison, lui rend visite à Detroit, où elle a établi domicile.

    C’est là qu’elle décède le 24 octobre 2005. Dans tout le pays, les drapeaux sont descendus à mi-mât. Sa dépouille reste exposée durant deux jours dans la rotonde du Capitole pour un hommage public. À l’autre bout du Mall, trône la statue géante d’Abraham Lincoln, le président qui abolit l’esclavage, promesse d’une aube nouvelle pour les Noirs d’Amérique qu’il fallut encore un siècle pour entrevoir.

    De l’annonce de son décès à son enterrement, les premières places des bus de Montgomery restèrent vacantes. On y trouvait une photo de Rosa entourée d’un ruban et cette inscription : «La société de bus RTA rend hommage à la femme qui s’est tenue debout en restant assise».

    «L’arme de l’amour».  En 1956, un reporter du New York Times couvre l’une des réunions de boycott. Il est impressionné par le talent de tribun de Martin Luther King qu’il cite longuement : «Nous avons subi les humiliations ; nous avons supporté les injures ; nous avons été maintenus dans la plus profonde oppression. Et nous avons décidé de nous dresser, armés de la seule protestation. C’est une des grandes gloires de l’Amérique que de garantir le droit de protester. Même si nous sommes arrêtés chaque jour, si nous sommes piétinés chaque jour, ne laissez jamais quelqu’un vous abaisser au point de vous forcer à le haïr. Nous devons user de l’arme de l’amour. Nous devons faire preuve de compassion et de compréhension envers ceux qui nous détestent. Nous devons réaliser que tant de gens ont appris à nous détester et qu’ils ne sont finalement pas totalement responsables de la haine qu’ils nous portent. Mais nous nous tenons au tournant de la vie et c’est toujours l’aube d’un nouveau jour.»


Rosa Parks, la force tranquille de la lutte civique

    par Chloé MAUREL, historienne

    Le 1er décembre 1955, une femme, noire, africaine-américaine refuse de céder sa place à un passager blanc dans un bus de Montgomery. Son arrestation va changer la face du monde.

    Née en 1913 en Alabama, dans un État du sud des États-Unis où le racisme est alors très fort, dans un pays où la discrimination raciale est en vigueur, d’un père charpentier et d’une mère institutrice, la jeune Rosa étudie à la Montgomery Industrial School for Girls, un institut destiné aux jeunes Noires. La jeune fille est marquée par le racisme ambiant. Elle se souvient : « Enfant, je pensais que l’eau des fontaines pour les Blancs avait meilleur goût que celle des Noirs. » À deux reprises, elle voit son école brûlée par le Ku Klux Klan. La ségrégation raciale est alors codifiée aux États-Unis par les lois Jim Crow, datant de la fin du XIXe siècle et interdisant aux Noirs l’accès à certains lieux publics, notamment.

    Cette femme frêle et discrète exerce plusieurs métiers : couturière, mais aussi aide-soignante et secrétaire. En 1932, Rosa épouse Raymond Parks, qui est un militant de la cause des droits civiques et membre de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP), l’association historique de lutte contre la discrimination raciale aux États-Unis. Deux ans plus tard, en 1934, Rosa Parks achève ses études secondaires, qu’elle avait dû interrompre quelque temps à cause de la maladie de sa mère. Rosa Parks tient à finir ses études, car elle est convaincue que, pour faire avancer la cause des droits civiques, il faut être instruit. À cette époque, seulement 7 % de la population noire des États-Unis réussissent à atteindre ce niveau d’études.

    Rosa Parks et son mari s’engagent et militent : en 1940, elle adhère avec lui à la Ligue des électeurs (Voters’ League), qui entend promouvoir le vote des Noirs. En effet, à cette époque, les autorités les empêchent de s’inscrire sur les listes électorales. Elle va aussi avec son mari assister à plusieurs meetings du Parti communiste.

    Plusieurs éléments dans son parcours ont été déterminants pour la pousser à accomplir son geste de rébellion tranquille, ce jour de 1955. En 1943, en pleine Seconde Guerre mondiale, elle adhère au Mouvement pour les droits civiques et devient secrétaire de la section locale de la NAACP. Un autre élément déterminant est qu’elle a été, au début de l’année 1945, employée temporairement dans la base aérienne de Maxwell, à Montgomery ; or, dans cette zone fédérale, enclave militaire, la ségrégation n’était pas en vigueur. « On pourrait dire que Maxwell m’a ouvert les yeux », a-t-elle confié plus tard à son biographe. De plus, elle a été femme de ménage pour un couple d’Américains blancs antiracistes, Clifford et Virginia Durr : ce couple de gauche sympathise avec elle et l’encourage à intégrer la Highlander Folk School, un centre d’éducation situé dans le Tennessee et destiné aux militants des droits civiques, ce qu’elle fait à l’été 1955. Enfin, fin novembre 1955, Rosa Parks assiste à une grande cérémonie en hommage à un jeune homme noir de Chicago, Emmett Till, qui a été atrocement lynché par des Blancs racistes.

    C’est dans un autobus que tout va se jouer : en effet, les bus de Montgomery étaient des lieux ségrégés, les quatre premiers rangs étaient réservés aux Blancs, alors que les Noirs constituaient 75 % des utilisateurs du bus ; ils devaient aussi acheter leur billet à l’avant, puis sortir pour remonter par la porte arrière ; et parfois, le chauffeur, un Blanc raciste, démarrait avant qu’ils aient pu remonter ! « Le bus fut un des premiers éléments par lesquels je réalisais qu’il y avait un monde pour les Noirs et un monde pour les Blancs », a confié plus tard Rosa Parks.

La campagne de protestation et de boycott contre la compagnie de bus durera 380 jours

    Le 1er décembre 1955, elle refuse de céder sa place à un passager blanc. Le chauffeur appelle la police. Cela ne fait pas vaciller Rosa. Elle se fait arrêter et inculper pour violation des lois ségrégationnistes. Amenée au poste, elle est photographiée en portant un écriteau avec un numéro, comme une vulgaire délinquante. Elle garde la tête haute. Elle est inculpée pour désordre public et violation des lois locales. La police lui inflige une amende de 15 dollars. Digne, et logique avec elle-même puisqu’elle estime n’avoir rien fait de mal, elle fera appel de ce jugement.

    Un jeune pasteur noir inconnu de 26 ans, Martin Luther King, suivi par 50 dirigeants de la communauté afro-américaine, lance alors une campagne de protestation et de boycott contre la compagnie de bus qui durera 380 jours. Les habitants de la communauté noire s’organisent et distribuent des milliers de tracts.

    Le lendemain, le boycott est suivi à 100 % ! Les bus sont vides de passagers noirs. Pendant plus d’un an, les Noirs de la ville boycottent la compagnie de bus, ils font leurs trajets à pied, ou prennent des taxis conduits par des Noirs et proposant dans un geste militant le même tarif que le ticket de bus. Le mouvement a des répercussions internationales, des gens envoient de l’argent de partout pour soutenir la cause des militants de Montgomery, ce qui leur permet de mettre en place un service de bus parallèle. Elle témoignera en ces termes : « Au moment où j’ai été arrêtée, je ne savais pas ce que ça engendrerait. C’était juste un jour comme un autre. Ce qui a changé les choses, ce sont toutes les personnes qui se sont jointes au mouvement. » Le 13 novembre 1956, enfin, la Cour suprême des États-Unis casse les lois ségrégationnistes dans les bus de l’Alabama, les déclarant anticonstitutionnelles. Le boycott cesse dès la nouvelle connue.


[1] Page 512, extrait du chapitre XVII du livre de H. ZINN bien connu des lecteurs de ce site, chapitre consacré à la lutte pour les droits civils et politiques (JPR).

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