Le
24 octobre 1929, après dix ans d’euphorie financière, Wall Street – la
Bourse de New York – devient l’épicentre d’un krach sans précédent. On
donne à cet événement le nom de « jeudi noir », pour refléter
l’importance du choc. En réalité, deux ébranlements s’étalant sur trois
jours se succèdent. Le premier, en date du jeudi 24 octobre, est la
conséquence de la rumeur selon laquelle les gros investisseurs,
anticipant une baisse des cours, sont en train de prendre massivement
leurs bénéfices. Le mouvement enclenché est contenu grâce à
l’intervention des banques et des organismes de prêt qui vendent à
perte.
Les deux séances suivantes sont moins agitées. Mais les
lundi 28 octobre et mardi 29 octobre sont l’occasion d’un second
ébranlement. À l’ouverture des marchés, les petits porteurs paniquent. À
midi, l’indice boursier américain, le Dow Jones, a perdu près de 12 %
de sa valeur avec 16 millions de titres échangés. Les valeurs
industrielles vont, quant à elles, perdre 40 % en moins de 20 séances.
On semblait découvrir que croissance financière et économie réelle
n’avançaient pas au même pas.
Les années 1920 marquent une période de forte croissance
aux États-Unis, devenus la première puissance économique. En moins de
dix ans, la production industrielle augmente de 50 %. Le « boom »
boursier anticipait cette croissance, mais surestimait la capacité des
entreprises à fournir le taux de profit attendu. La financiarisation, en
recourant à de nouveaux montages spéculatifs, a pris corps. On
retrouvera ces montages spéculatifs à l’identique au cœur de la crise de
2008. À partir de 1928, un élément spéculatif devient prépondérant. Ce
ne sont plus les dividendes qui attirent les investisseurs, mais la
possibilité de revendre avec une importante plus-value beaucoup de
titres achetés à crédit. Les capitaux disponibles arrivent en Bourse au
lieu d’aller vers l’économie « réelle ». Peu d’économistes perçoivent la
réalité de la financiarisation. Irving Fisher déclare, par exemple,
quelques jours avant le krach : « Les cours ont atteint ce qui semble être le plateau perpétuel. »
Les gouvernements tentent de renflouer les institutions en péril
Le retournement de la conjoncture annonce pourtant la
crise financière. L’économie américaine donne des signes de faiblesse
dès le début de 1929 ; ainsi, la production automobile chute d’un tiers
entre mars et septembre. La production industrielle, elle, recule de 7 %
entre mai et octobre. Les cours des actions ont augmenté de 120 % entre
mars 1926 et octobre 1929. Une bulle spéculative se gonfle d’autant
plus qu’elle peut s’appuyer sur le call loan (prêt au jour le jour),
nouveau système d’achat d’actions à crédit. Les investisseurs peuvent
ainsi obtenir des titres avec seulement 10 % de leur valeur, effet de
levier considérable mais d’autant plus fragile. Le fonctionnement de ce
système dépend de la différence entre le taux d’appréciation des actions
et le taux d’emprunt. Le resserrement du crédit par les banques
centrales va prendre de front la construction de ce système.
Comme ce fut encore le cas en 2008, les banques, qui
avaient non seulement prêté des sommes considérables aux spéculateurs
mais qui s’étaient elles-mêmes mises à spéculer en mobilisant leurs
liquidités, diffusent la crise. Le cortège des faillites bancaires
s’allonge dès 1929. On passe de 600 faillites d’établissements bancaires
cette année à 1 300 en 1930 et 2 300 en 1931. Les conséquences de ce
krach se mesurent rapidement au niveau mondial. Toutes les grandes
puissances sont touchées. L’Angleterre et l’Allemagne accusent le coup.
Une grande banque autrichienne fera faillite. Les gouvernements tentent
de renflouer les institutions en péril. En vain ! Outre-Rhin, la
propagande nazie s’empare, hélas avec succès, du mécontentement
populaire.
La France, qui bénéficiait des effets de la très forte
dévaluation de sa monnaie en 1928 par Raymond Poincaré, semble dans un
premier temps échapper à la vague. Cela conduit à sous-estimer la portée
du choc qui secouait Wall Street. Les journaux de l’époque en
témoignent. Le Figaro du 26 octobre évoque « un dégorgement » qui
« réconforte notre marché » et nous permet « d’envisager l’avenir
immédiat sous de plus agréables couleurs ». Le Temps du 28 octobre
estime que, confrontés à la crise des marchés américains, « on doit s’en
féliciter plutôt que s’en plaindre ». On compare la France à « une île
heureuse ».
La plus grande crise du XXe siècle a débuté. Mais les
gouvernants, lancés dans une guerre monétaire et une course sans merci à
l’austérité, ne semblent guère en prendre la dimension. Ouvriers,
employés s’apprêtent à faire les frais d’un ébranlement majeur qui va
jeter au chômage 40 millions d’entre eux, en ruiner beaucoup d’autres,
menacer la démocratie et déboucher sur la Seconde Guerre mondiale.