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« THE PATRIOT », G. Washington, les loyalistes noirs.

publié le 8 sept. 2011, 02:14 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 3 janv. 2016, 15:23 ]

    Suite à la critique sur le film « The patriot » les chemins de la liberté», je complète quelques informations sur le sort réservé aux Noirs durant cette guerre. Guerre entre Blancs ai-je envie de dire. On se demande en effet quel intérêt les Noirs avaient à prendre partie pour les Insurgés et surtout les Insurgés du sud -qui commence avec la Virginie de Washington- qui sont des esclavagistes bon teint et n’ont jamais envisagé l’abolition de l’esclavage. Beaucoup de Noirs ont, au contraire, pris le parti des Anglais, qui tactiquement et de façon très opportuniste avaient proclamé le droit à l’indépendance pour chaque Noir qui opterait pour le camp de sa majesté.


Les Noirs : un enjeu durant la guerre


    Les Noirs peuvent fournir des soldats. Ils représentent un peu moins de 20% de la population des Treize colonies. Des soldats pour quel camp ?

    Au départ, la future armée des Etats-Unis excluait rigoureusement les Indiens alliés, les noirs affranchis, les serviteurs blancs sous contrat et même les Blancs libres sans domicile précis. Confrontée à la maigreur des effectifs, la colonie du Connecticut vota une loi rendant le service militaire obligatoire excluant quelques fonctionnaires et les pasteurs ainsi que les Noirs, les Indiens et les mulâtres[1].– mais pas les esclaves - pourront être armés. Lorsqu’il prit la direction de l’Armée continentale – dénomination qui sera changée en Armée des États-Unis après l’indépendance – Washington refusa toute entrée de Noirs dans ses effectifs. Fussent-ils libres. Son adjoint, H. Gates, envoie les instructions (juillet 1775) : « n’enrôler aucun déserteur de l’armée anglaise, ni aucun nègre ou vagabond ». Décision surprenante et grave : Washington ajoute le racisme à son esclavagisme. Les deux notions ne se recoupent pas totalement : on peut être esclavagiste, à cette date, et accepter la présence de Noirs libres par ailleurs. En manque d’effectifs, l’Armée continentale devait accueillir ces soldats. Faute de combattants, le comité révolutionnaire du Massachusetts où les Noirs étaient peu nombreux et le plus souvent libres, décida que les Noirs libres – mais pas les esclaves - pourront être armés.

    C’est alors que, à la surprise générale, en novembre 1775, le gouverneur royal de Virginie, Lord Dunmore, offrit la liberté aux esclaves qui accepteraient de prendre les armes aux côtés des Anglais. Puis, le gouverneur de Caroline du Nord fit lui aussi un appel à la population en faveur de la Couronne. Voici G.Washington complètement pris de court. Il doit effectuer une reculade dégradante : il annule sa première décision et accepte l’admission des Noirs libres dans l’armée américaine (décembre 1775). On assiste ainsi à une surenchère entre Anglais et Américains pour s’attirer l’adhésion des Noirs. Certaines colonies autoproclamées "États d’Amérique" acceptent d’affranchir les esclaves pour grossir les rangs de l’Armée continentale, etc.…Un coup fort est porté contre "l’institution particulière"[2] au Sud. Seuls deux États sur les treize nouveaux qui se sont émancipés de l’Angleterre refuseront toujours le recrutement de Noirs : la Géorgie[3] et la Caroline du Sud.

    Quant aux Anglais, voyant qu’ils étaient en train de perdre la guerre, ils promirent par la proclamation de Philipsburg du commandant en chef des forces britanniques à New York, sir Henry Clinton, que tous les esclaves noirs qui déserteraient la cause des rebelles recevraient une protection totale, leur liberté et des terres. Il y eut par conséquent plusieurs milliers de Noirs qui rejoignirent les rangs des Loyalistes, c’est-à-dire le camp de ceux qui restaient loyaux à l’égard du roi d’Angleterre.


Qui sont les Loyalistes noirs ?


    Les Loyalistes noirs sont arrivés en Nouvelle-Écosse (Canada) entre 1783 et 1785, fuyant la Révolution américaine. C’est le groupe le plus important d’immigrés d’origine africaine qui ne soit jamais arrivé en Nouvelle-Écosse.

    Après la guerre, gagnée par les Américains, et la signature du traité de Paris, les forces britanniques et leurs sympathisants – les Loyalistes - durent quitter les États-Unis. Ils furent rassemblés à New York en attendant d’être évacués. Il y eut débat entre Anglais et Américains car il se trouvait parmi eux des milliers de Noirs dont le départ vers le (futur) Canada constituait une hémorragie de capital pour les propriétaires des (nouveaux) Etats-Unis. Aussi bien, les Américains, toujours soucieux de leurs intérêts, tentèrent de se faire restituer leurs biens (leurs esclaves) ; leur porte-parole fut George Washington. Le commandement en chef britannique refusa de rendre aux Américains les esclaves qui s’étaient - avant le 30 novembre 1782, date d’ouverture des préliminaires de paix entre Américains et Anglais - rangés aux côtés des Anglais. Il fut convenu que les Américains seraient indemnisés en argent. C’était sans doute pour eux une condition pour réussir la quête du bonheur…

    La commission anglo-américaine identifia les Noirs qui étaient entrés dans les rangs britanniques avant la reddition et leur remit à chacun un «certificat d’affranchissement». Ceux qui décidèrent d’émigrer furent évacués par bateau. Afin qu’aucun Noir en attente d'émigration ne puisse partir sans certificat d’affranchissement, la commission consigna dans un registre, appelé le Book of Negroes, le nom de tous les Noirs (esclaves, engagés ou libres) qui se trouvaient à bord des navires, ainsi que les dates de leur asservissement, de leur évasion et de leurs services militaires. D’avril à novembre 1783, 114 navires furent inspectés dans le port de New York, mais bien d’autres (on n’en connaît pas le nombre) quittèrent New York et d’autres ports avant et après ces dates. Il y a plus de 3000 Loyalistes noirs dans le Book of Negroes, mais un nombre bien plus important de Noirs – peut-être 5000 – ont quitté New York pour la Nouvelle-Écosse, le Québec, les Antilles ou l’Europe


G. Washington, grand propriétaire esclavagiste


    Né en Virginie, G. Washington est un grand propriétaire foncier. Son domaine de Mount-Vernon s’étend sur 8000 acres (soit plus de 3200 hectares) dont 3500 (1400 ha) sont en culture et la propriété longe le Potomac sur 10 miles (16 km). G. Washington est un propriétaire tourné vers l’innovation agronomique. Il possède un grand nombre d’esclaves (317 à la fin de sa vie) comme toutes les first families de Virginie. 41 esclaves pour sa seule demeure principale. Ces esclaves travaillent soit comme ouvriers agricoles, soit comme ouvriers des ateliers, soit comme domestiques de maison. Mount-Vernon est en effet aussi un centre de production de cidre, de whisky, de tonneaux. On y fabrique la charpente et les briques pour les nombreux bâtiments d’exploitation. Des esclaves filent et tissent la laine et le lin produits in situ mais aussi le coton importé des West Indies [4]. Cette valorisation des productions, ce mixage agriculture/industrie ne sont pas sans rappeler l’activité de la gentry anglaise ou des hobereaux prussiens. Washington est également actionnaire de sociétés capitalistes : la Ohio land Company, la James River Company, la Bank of Columbia, la Bank of Alexandria. La Ohio Company a des visées colonisatrices par derrière les Appalaches, c’est déjà la conquête de l’Ouest. Cela peut aider à comprendre le comportement du généralissime Washington à l’égard des Iroquois. Comme cela aide à comprendre le soutien du très traditionaliste Burke aux Insurgents, aristocrates de haut vol. 


Le père fondateur, son testament et sa dernière adresse aux Etats-Unis.


    On oppose fréquemment le testament de G. Washington aux accusations d’esclavagisme qui lui sont portées. G. Washington s’est comporté sur ce point comme un Virginien ordinaire, achetant et vendant des esclaves à sa convenance. Il écrit le 9 septembre 1786 : « there are two debts which press hard upon me. One of which, if there is no other resource, I must sell land or Negroes to discharge» [5]. Alors, certes, il désire que ses esclaves soient affranchis à sa mort. Il demande aussi que ceux-ci soient bien traités jusqu’à leur propre mort, etc.… En réalité, on est en présence d’un croyant qui désire respecter les canons de son église protestante tels qu’ils ont été posés lors des synodes, par exemple celui d’Alençon en France :

« (le synode) exhorte les fidèles à ne pas abuser de cette liberté (de vendre les esclaves) d'une manière qui soit contraire aux règles de charité chrétienne et de ne pas remettre ces infidèles au pouvoir des barbares qui pourraient les traiter inhumainement, ni entre les mains de ceux qui sont cruels mais de les donner à des chrétiens débonnaires et qui soient en état d'avoir principalement soin de leurs âmes précieuses et immortelles en tâchant de les instruire dans la religion chrétienne ».

    Traiter les esclaves de façon chrétienne sans abolir l’esclavage.

    Cela est une position individuelle de la part de Washington. On est en droit d’attendre autre chose de la part de cet homme politique éminent qui a produit l’histoire. Or, il avait un moyen de faire avancer les choses. Durant ses deux mandats présidentiels d’abord. Ensuite par sa Farewell Address, son discours d’adieu. Devant toute l’opinion américaine, il aurait pu poser les termes du problème de l’esclavage et poser des jalons pour le résoudre. Précédemment, dans une lettre privée – mais ce n’est qu’une lettre privée – il disait son souhait de voir adopter un plan par lequel « slavery in this Country may be abolished by slow, sure & imperceptible degrees »[6]. Son discours d’adieu n’en fait nullement état. Rien. Et cela seul compte chez un homme d’État : ses déclarations publiques.

    Lors de la quasi-guerre de 1798 entre la France et les Etats-Unis - aspect singulier du conflit maritime plus grandiose entre la France et l’Angleterre - Washington écrit à son successeur à la présidence : « avec les Français, nous devrons attaquer sans cesse - G. Washington envisage un débarquement français avec tête de pont, JPR - pour leur ôter la facilité de soulever les mécontents et les esclaves qu’ils chercheront sans doute à armer »[7]. Outre le fait que Washington reconnaît l’existence de "mécontents" - ce qui contrarie le portrait social idyllique que fait H. Arendt des Etats-Unis au moment de leur révolution - on observe que l’ex-président n’envisage toujours pas d’abolir "l’institution particulière" et que sa lettre est un hommage du vice à la vertu : à cette date, la France vit encore, officiellement, sous le régime de l’abolition de l’esclavage votée par la Convention jacobine en 1794 [8].

    Et on ne peut oublier son comportement à l’égard des Indiens ni son refus d’intégrer des Noirs dans l’Armée révolutionnaire, fussent-ils libres, même si les circonstances l’ont obligé à faire machine arrière.

    En réalité, le principal Père fondateur des Etats-Unis d’Amérique est très « anglais ». Lorsqu’il déclare en 1779 : « Notre cause est noble, c’est la cause de l’humanité », son humanité exclut les Indiens et les Noirs. Il parle du droit des Anglais, devenu en l’occurrence le droit des Américains. Le droit des vrais Anglo-saxons protestants. Lorsqu’il évoque « la pureté de (sa) conduite durant tout le cours de (sa) vie » (sic) on constate que sa formation intellectuelle, morale et religieuse, lui ferme l’accès à la réalité. Cela relativise beaucoup l’élection divine, le choix de Dieu :

« Aucun peuple, plus que celui des Etats-Unis » dit Washington dans son discours d’inauguration « n’est tenu de remercier et d’adorer la main invisible[9] qui conduit les affaires des hommes. Chaque pas qui les a fait avancer dans la voie de l’indépendance nationale semble porter la marque de l’intervention providentielle ».

    Dieu peut-il ainsi oublier les Indiens et les Noirs ? Le Dieu des Américains, oui.

 





[1] D’après H. ZINN.

2] Pudibonderie puritaine pour éviter de parler d’esclavage.

[3] Géorgie célèbre aussi pour sa « purification ethnique » à l’égard des indiens Cherokee quelques décennies auparavant (Cf. « Terres indiennes, épisode 3 : la piste des lames ».) 

[4] L’égreneuse à coton n’est pas encore inventée et le coton américain n’est pas encore la monoculture du Sud qui exigera les millions d’esclaves que l’on sait. Le coton travaillé à Mount-Vernon vient alors de l’importation à partir des Antilles anglaises (West Indies). 

[5] « Deux dettes pèsent actuellement lourdement sur mes épaules. Pour l’une d’elles, si je n’ai pas d’autres possibilités, je devrais vendre des terres ou des nègres afin de l’honorer ». C’est également pour ‘honorer’ des dettes que le propriétaire de « l’oncle Tom » décide de le vendre.

[6] « Où l’esclavage serait aboli par degrés, de manière lente, sûre et imperceptible », lettre à J. F. Mercer, 9 septembre 1786.

[7 Lettre au président John Adams, datée du 25 septembre 1798.

[8] Il sera rétabli par Bonaparte.

[9] La « main invisible du marché » serait donc celle de Dieu ? Comment dès lors oser l’encadrer par des mesures politiques ?




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