publié le 11 oct. 2019, 07:16 par Jean-Pierre Rissoan
[
mis à jour : 14 oct. 2019, 06:16
]
En 1961, Dag Hammarskjöld - secrétaire général de l'ONU - meurt dans un crash au Congo (ex-belge alors en pleine crise) . Françafrique,
décolonisation… Aujourd'hui, une enquête des Nations unies doute de la thèse de
l’accident. Voici un article de Maud VERGNOL.
ci-dessous : Le 13 septembre 1961, "Monsieur H", en visite à Léopoldville, actuelle
Kinshasa (R.D. Congo), aux côtés de Joseph Mobutu quelques jours avant sa
mort. (AFP)
Trop
d’ennemis pour un seul homme. Si son nom est tombé dans l’oubli, sa
mort avait pourtant secoué le monde entier : Dag Hammarskjöld. Un
patronyme si difficile à prononcer que ses contemporains le surnommaient "Monsieur H", un personnage clé de la diplomatie d’après-guerre. En
1953, dès le début de son mandat comme secrétaire général des Nations
unies, le Suédois (1) de 46 ans ne se fait pas que des amis. Fervent
opposant à l’apartheid, pacifiste – du moins affiché –, il cherche à
renforcer la capacité d’action de l’ONU et son indépendance vis-à-vis
des États-Unis notamment, en pleine furie maccarthyste. En 1961, Dag
Hammarskjöld s’engage personnellement dans les négociations sur l’avenir
du Katanga, cette riche province minière du sud du Congo qui attise les
appétits financiers des puissances coloniales. Patrice Lumumba a été
assassiné quelques mois plus tôt et la région est en sécession, soutenue
par la Belgique, dont le groupe industriel l’Union minière du Haut
Katanga finance et arme les séparatistes. Au mois de septembre, la
tension est telle dans la région que 15 000 casques bleus y sont
déployés pour mettre officiellement fin à la sécession. Alors que
l’offensive est en train de virer au désastre pour l’ONU, Dag
Hammarskjöld tente d’amorcer une solution politique en allant négocier
un cessez-le-feu avec le leader Moïse Tshombé. Un rendez-vous discret
est fixé entre les deux hommes le 18 septembre, à l’aéroport de Ndola, à
la frontière entre la Rhodésie du Nord (actuelle Zambie) et le Katanga.
Mais son avion n’atterrira jamais. À 0 h 12, l’Albertina, DC-6
quadrimoteur, disparaît des radars et vient s’écraser à 18 kilomètres de
l’aéroport, avec seize passagers à bord. Tous décèdent sur le coup, à
l’exception d’un seul qui ne survivra que quelques heures. Les
recherches ne sont lancées que sept heures plus tard et les secours
n’arriveront sur les lieux qu’à 15 heures.
L’une des plus grandes énigmes de la diplomatie internationale
L’annonce de la disparition du secrétaire général des
Nations unies fait l’effet d’une bombe. Dès le lendemain, beaucoup
doutent de la thèse de l’accident. Dans nos colonnes (celles du journal L'Humanité, JPR), Yves Moreau
interroge dans l’édition du 19 septembre "Comment est mort
M. Hammarskjöld ?" et annonce que Nehru avance l’hypothèse d’un
sabotage. D’autant que, le même jour, le siège de l’ONU à Libreville a
été mitraillé. Trois enquêtes sont menées. L’une conclut à l’erreur de
pilotage, les deux autres prétendent ne pas pouvoir déterminer les
causes du crash. Alors, accident ou assassinat ? Qui avait intérêt à se
débarrasser de lui ? Pendant plus de cinquante ans, tout le monde s’est
plus ou moins accommodé de cette omerta autour de l’une des plus grandes
énigmes de la diplomatie internationale. Mais en 2016, sous la pression
de la Suède, la "Maison de verre" (surnom du siège de l'ONU à New York, JPR) consent à rouvrir une enquête. Certains
pays, États-Unis en tête, rechignent à coopérer. Lundi, le juriste
tanzanien chargé des investigations en a présenté le rapport, reprochant
leur silence – voire leur hostilité – à Washington, Pretoria et
Londres. "L’Afrique du Sud, le Royaume-Uni et les États-Unis doivent
très certainement détenir d’importantes informations non divulguées"
regrette-t-il. C’est désormais l’Assemblée générale de l’ONU qui
décidera ou non d’une prolongation de l’enquête, avec les moyens
adéquats. Mais un autre protagoniste a joué un rôle clé pour que la
vérité soit faite. C’est le journaliste français Maurin Picard, et son
enquête minutieuse de trois ans, qui aboutit à une certitude : "Ils ont
tué Monsieur H" (2), titre de son livre publié en France en mai
dernier. Cette investigation rondement menée, façon polar, reconstitue
le puzzle d’une des plus grandes énigmes de l’après-guerre. "Des
témoins interrogés ont vu un autre avion dans le ciel qui a attaqué
celui de Hammarskjöld", révèle-t-il, ainsi que des traces de balles sur
la carlingue. "Il avait trop d’ennemis pour un seul homme, c’était un
poil à gratter dans la décolonisation", estime le journaliste. Au
premier rang desquels, la France de De Gaulle, qui qualifiait les
Nations unies de "machin".
Une affaire qui se heurte au mur du secret-défense
On apprendra par exemple bien plus tard qu’un certain
Jacques Foccart – encore lui –, homme clé des basses œuvres de la
Françafrique, avait envoyé barbouzes et mercenaires pour soutenir en
sous-main la sécession (du Katanga vis à vis du Congo belge devenu indépendant avec P. Lumumba à sa tête, JPR). Parmi eux, quelques noms tristement célèbres :
Bob Denard, Roger Faulques, ou encore Roger Trinquier (l’un des
protagonistes de l’affaire Maurice Audin), engagés à prix d’or par les
Katangais. La France gaulliste a-t-elle joué un rôle direct dans cet
assassinat ? Peut-on totalement exclure la thèse de l’accident ? Quelles
preuves sont susceptibles d’être apportées cinquante-huit ans plus
tard ? Comme pour de nombreuses autres affaires qui se heurtent au mur
du secret-défense, de nombreux témoins sont morts. Beaucoup d’archives
ont été caviardées.
Mais après ses investigations, reprises par l’enquête de
l’ONU, Maurin Picard avance sa conviction personnelle. Selon lui,
l’avion qui transportait Dag Hammarskjöld aurait été abattu par un autre
avion bimoteur, piloté par un ancien aviateur de la Luftwaffe, avec, au
sol, le soutien de mercenaires français. L’ONU, en choisissant de
poursuivre son enquête, parviendra-t-elle à extirper une
déclassification d’archives permettant de valider l’une ou l’autre des
hypothèses ? Pour l’instant, le mystère "Monsieur H" demeure, épaissi
par l’omerta des grandes puissances.
(1) en pleine Guerre froide, les États-membres de l'O.N.U. avaient à cœur de choisir un S.G. citoyen d'un pays neutre ou non-aligné (JPR).
(2) À lire "Ils ont tué Monsieur H. Congo, 1961. Le complot des mercenaires français contre l’ONU", de Maurin Picard (Seuil).
|
|