Le PEKIN des empereurs.

publié le 4 févr. 2015, 15:46 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 10 oct. 2018, 08:55 ]
   

    Pékin - Beijing officiellement - est la capitale du nord de la Chine, plus exactement de la Chine du nord. Nanjing (autrefois Nankin) est la capitale de la Chine du sud. Pékin est capitale depuis le X° siècle, date à laquelle elle apparaît comme ville fortifiée au cœur de la plaine alluviale menant au golfe de la mer Jaune.




























 

  

Pékin est marquée en son centre par l’ensemble de la Cité impériale et par l’axe monumental nord-sud autour duquel s’organise un rigoureux quadrillage de rues et de venelles. En 1949, année de la victoire, la capitale tient encore à l’aise dans ses murailles comme à la fin du XVIII° siècle.

    "Le vieux Pékin est peut-être la plus chinoise des villes chinoises : il est carré, muré, et capitale de l'Empire du Milieu depuis le X° siècle. Pékin est le centre de cet empire, et en son centre s'organise la Cité interdite -ou Palais impérial - elle-même au sein de la Cité impériale.

    Le site de Pékin n'est pas un hasard. Il doit beaucoup à la tradition géomantique chinoise, le fengshui, "art du vent et de l'eau", ou comment composer la ville en harmonie avec la nature et la géomancie (lire l’article wiki sur ce point, JPR). La plaine de Pékin s'ouvre en effet au sud, permettant ainsi une orientation idéale selon l'urbanisme chinois : elle s'adosse contre les défenses naturelles que représentent les chaînes de montagnes du nord et de l'ouest. Au moins aussi important est le fait que la ville chinoise est une ville murée. Ce n'est pas un mince symbole que de voir le même caractère cheng désigner à l'époque à la fois la ville et la muraille qui l'entoure. A la fonction militaire classique du rempart -que le contexte féodal chinois explique aisément-, il faut ajouter la fonction symbolique, puisque la ville intra-muros est avant tout le lieu du pouvoir, qui ne se mélange pas aux tâches plus humbles du commerce et de l'artisanat" (G. ANTIER). 

    D’ailleurs le Pékin des empereurs n’avait aucune fonction économique productive, à part l’artisanat de luxe destiné aux courtisans et aux fonctionnaires. "Ce n’était qu’un gigantesque consommateur" (E.U.).

 

LES CARRÉS DE PÉKIN

  

 "Les carrés successifs formés par la ville ne sont pas une originalité en soi, au moins dans la Chine du Nord, comme l'a bien démontré Sen Dou Chang [1]. L'origine s'en trouve en effet là aussi dans la cosmogonie chinoise traditionnelle, qui représentait le monde comme une grotte dont la base carrée était la Terre. La Chine, Empire du Milieu, étant donc au centre du monde géométrique de ce carré : l'ensemble de l'Empire prenait l'allure d'une série de carrés emboîtés autour d'un noyau carré, la capitale.

    Entre beaucoup d'autres références, je renvoie aux travaux de P. de Roo [2] pour l'analyse de l'influence du Zhou Li, le Livre des rites de Zhou, sur l'organisation de la cité. Contentons-nous d'en garder ici les principes fondamentaux : une ville carrée, orientée au sud, où une grille de rues s'étend à partir d'un axe dominant nord-sud. Le tout se réfère constamment au nombre trois et à ses multiples, du fait des trois catégories de l'univers chinois le Ciel, la Terre et l'Homme. D'où les neuf portes de la ville, ou les neuf rues d'est en ouest, et autant du nord au sud".

    "Cela dit, le carré pékinois s'est déplacé au cours des siècles" (fig. 1 -G. ANTIER).

    La fonction de capitale impériale de Pékin est fixée dès 907 : Yanjing - son nom sous les Liao (907-1032) - ne s'étend que sur cinq ou six kilomètres carrés, dans la partie sud-ouest de la ville actuelle.

    Les XII°-XIII° siècles voient sa surface quasiment quadrupler, lorsque, sous le nom de Zhongdu, elle est capitale des Jin (1115-1234).

    Marco Polo ne trouvera pas la capitale tout à fait au même endroit : Khoubilai a fondé sa grande capitale (Dadu) au nord-est de Zhongdu, complètement hors des anciens murs. Pour cette capitale des Yuan (1279-1368), on a vu encore plus grand : près de 50 km2. Sur la carte Westermann, Dadu est indiquée "Chanbalik" (dynastie mongole)..

    Les Ming (1368-1644) et les Qing (1616-1911) lui donneront sa forme actuelle : une "ville intérieure" (Innere Stadt sur le plan

Westermann, ville tartare pour les Occidentaux), lieu du pouvoir impérial, occupe à peu près les deux tiers de l'ancienne Dadu. Elle est précédée au sud par une "ville extérieure" d'artisans et de commerçants (AuBere Stadt ou ville chinoise pour les Occidentaux), qui dispose elle aussi de murailles plus modestes.

    Au début du XV° siècle, le cadre urbain de Pékin est ainsi fixé. Carré reposant sur un rectangle, il dessine un espace sommairement quadrangulaire ceint de murailles. Hors de celles-ci, peu ou pas de faubourgs avant la fin du XIX° siècle. Le plan de Pékin en 1949 en montre simplement quelques-uns à peu de distance des principaux axes de la ville intérieure.

   







   

    La capitale ainsi fixée a, plus qu'un centre, une colonne vertébrale, d'où tout part et où tout vient aboutir. Sur cet axe s'accroche la Cité interdite (le palais impérial, Kaiser Palast). Large de 2 km sur 2,5 km, elle est si vaste que l'on dira vite qu'elle sépare une ville de l'Est et une ville de l'Ouest. On ne gagne pas le Palais comme on pénètre dans le Louvre à la même époque. Au contraire, on y progresse depuis l'entrée sud, et plus on est élevé dans la hiérarchie, plus on franchit de portiques. Ce rite de passage était particulièrement impressionnant et l'arrivée jusqu'au "saint des saints" terrorisait les visiteurs. Ainsi, désireuse de ridiculiser aux yeux de ses sujets les ambassadeurs étrangers, l'impératrice Tseu-Hi ,fit insérer dans la Gazette de Pékin l'article suivant : (dans J. Isaac, 1961).

    " Les ambassadeurs des nations étrangères, ayant sollicité une audience impériale, voulaient entrer au palais portés en palanquin et demandaient que l'empereur descendît de son trône pour recevoir leurs lettres de créance en mains propres. Le commissaire Wensiang fut si indigné de leur audace qu'il brisa sa tasse à thé contre terre et les rabroua sévèrement. On convint enfin que, le 5 de la sixième lune, ils verraient l'empereur dans la salle des Tributaires. La veille, au ministère des Affaires étrangères, on leur fit faire une répétition des cérémonies. A cette occasion, ils montrèrent un dédain hautain, rirent, badinèrent et ne se donnèrent aucun mal. Le lendemain, ils furent introduits. Ils portaient leur épée..., ils saluèrent l'empereur non en se prosternant, mais en inclinant seulement la tête. A côté du trône était une table devant laquelle chacun devait, à son tour, lire sa lettre de créance; l'ambassadeur d'Angleterre commença. A peine eut-il lu quelques mots qu'il se mit à trembler de tous ses membres, en sorte qu'il ne put continuer sa lecture. Vainement l'empereur le questionna avec bonté : pas de réponse. Les autres vinrent à leur tour, ils furent tous saisis d'une telle terreur qu'ils laissèrent tomber leurs lettres et ne purent lire ni parler. [Le premier ministre] ordonna alors aux gens du palais de les prendre sous les bras pour les aider à descendre l'escalier. Mais les ministres étaient tellement effrayés qu'ils ne purent remuer le pied, et haletants, couverts de sueur, ils s'assirent par terre. Invités au festin ils n'osèrent s'y rendre et s'enfuirent au plus vite dans leur logis. Le Premier ministre leur dit : « Ne vous avais-Je pas avertis que voir l'empereur n'est pas une petite chose ? Vous ne vouliez pas me croire. Maintenant vous savez ce qui en est".  Et pourtant la réception s'était faite avec le petit cérémonial. Les ambassadeurs ont avoué que c'est un fluide émané de l'empereur qui les a terrifiés.... Les voilà bien ces hommes vains, fanfarons de loin, poltrons de près".  (Texte cité dans G. MASPERO, La Chine, Delagrave éd.). Fin de citation.

  

    Fichier: mur de la ville de Beijing map.jpgUne fois franchie la porte de Yondingmen, le visiteur passait entre les temples du Ciel (Heaven) et de l'Agriculture. Puis il accédait à la ville intérieure par Zhengyangmen (ou Qianmen), et, selon son grade dans la nomenclature locale, franchissait un ou plusieurs portiques du Palais. Au nord de celui-ci, après la colline de Charbon, les tours du Tambour et de la Cloche (Bell Tower) venaient fermer cet axe monumental.










               Pékin était donc une ville murée, fortifiée, pour faire face aux ennemis intérieurs -révoltes paysannes - ou extérieurs - les Mongols - On sait que contre ces derniers, les empereurs ont fait construire la Grande Muraille dont des vestiges importants se trouvent à proximité de Pékin, qui est une ville de contact, ici entre steppe et prairie cultivée. Mais, comme dans toute fortification, le ou les points sensibles sont les portes dont le système de défense est renforcé. Ainsi, sont-elles surmontées de plusieurs étages percés de fenêtres par où peuvent être utilisés des canons.Ici la porte de Fuchengmen (supprimée faute de place; visible dans mon article Les 55 jours de Pékin (1963)  qui se trouve dans la muraille séparant la ville tartare (ou ville intérieure) de l'extérieur. On constate qu'en effet, à la date de la photographie, il n'y a pas de faubourgs. (extrait du livre de V.-L.Tapié, Hatier - 1945). 


LES HUTONG

   

De part et d'autre de l'axe Nord-Sud décrit plus haut, s'est tramée une grille de rues principales, d'orientation est-ouest. Elle nous dévoile encore aujourd'hui une suite de ruelles = les hutong (lien wiki : ville tartare), au long desquelles s'alignent des suites de maisons à cour carrée, closes de murs aveugles : les siheyuan. Ce sont des maisons basses, en rez-de-chaussée : un édit impérial leur interdisait de dépasser en hauteur les murs rouges de la Cité interdite (Red forbidden city). Des ruelles nord-sud relient les hutong : un homme étendant les bras peut souvent toucher les murs bordant les deux côtés de ces venelles. L'ensemble dessine une suite de parcelles laniérées de 70m de profondeur en moyenne.

 <= un hutong aujourd'hui. Ci-dessous : plan d'une siheyuan

    Au stade ultime de ce morcellement est l'habitation, la maison à cour carrée. Une siheyuan est un ensemble fermé sur l'extérieur, dont on préserve jalousement l'intimité en en décalant l'entrée par rapport à l'axe de la maison. Par la porte ouverte, on ne voit qu'un "mur-écran", sur le côté duquel on accède à une avant-cour précédant la cour d'habitation principale. Chacune de ces maisons basses, orientée au sud, abrite tout à la fois la famille élargie et les domestiques.


    Pour l'essentiel, ce "gros village" qu'était Pékin demeurera tel jusqu'à l'entrée des troupes communistes en 1949. Le tissu de la "ville intérieure", si régulier, y tranchera longtemps avec le lacis des ruelles de la "ville extérieure". La seule modification notable y interviendra après les "traités inégaux" de 1842/1844 peu à peu s'établit en effet un quartier de légations (ci-dessous) dans la partie sud-est de la ville intérieure. Ce sera la seule enclave, temporaire, dans un espace globalement figé depuis le XV° siècle.

   

    Au sud de la Dutch Legation et d’autres, on peut lire : "Southern wall of the Tartar city" : mur de la ville tartare - ville intérieure. Dans le sens nord-sud, à l'ouest, on voit le grand axe  qui conduit à la place Tienanmen. Cela permet de bien situé le "quartier des légations", théâtre des fameux "55 jours de Pékin". source : http://www.lib.utexas.edu/maps/historical/history_china.html

    A la nuance près de ce quartier étranger, Pékin reste en effet au début du XX° siècle le reflet immuable des lendemains de Khoubilai, mis à part une forte dégradation de l'habitat des citadins. Quelques tentatives d'architecture d'influence étrangère ont émergé ponctuellement (banques, magasins ou théâtres). Mais ils représentent une part négligeable dans l'ensemble urbain de Pékin, qui n'est d'ailleurs plus la capitale après l'effondrement de l'Empire en 1911. Elle n'est plus "la capitale du Nord", mais simplement "la ville du Nord" (Beiping), tandis que le lieu du pouvoir se déplacera plusieurs fois jusqu'en 1949 entre Nankin, et, plus ponctuellement, Canton et Chongqing

 

 Ce travail doit beaucoup à l’article de Gilles ANTIER, publié dans la revue HÉRODOTE, 2° trimestre 1988, n°49 et intitulé "Pékin et Shanghai".

VOIR AUSSI LA CRITIQUE DU FILM "Les 55 jours de Pékin (1963)"

[1] SEN Dou Chang, "Some Observations on the Morphology of the Chinese Walled Cities", EKISTICS, 182, janvier 1971, p. 91-98, note de G. Antier.

[2] "La ville chinoise traditionnelle", Architecture aujourd'hui, 201, février 1979, p. 22-25. Note de G. Antier.

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