Japon, le « Hinomaru », un emblème rouge-sang contesté

publié le 10 août 2020, 08:28 par Jean-Pierre Rissoan
    Le journal L’HUMANITÉ publié durant cet été2020 une série de vingt articles consacrés chacun aux origines du drapeau national de vingt pays.
     voici l'article sur la drapeau du pays du soleil levant : HINOMARU

   

    Des samouraïs aux habitants d’Okinawa, l’étendard au disque solaire connaît une histoire mouvementée. Au-delà des légendes et des frontières, le drapeau reste associé aux crimes de guerre et à l’oppression coloniale.

Au Japon, tout commence souvent par une légende. Ainsi, Amaterasu est-elle née de l’œil gauche d’Izanagi, le dieu cocréateur du monde. Son éclat était tel que son père la dépêcha au ciel où elle règne depuis en déesse du soleil. De ce mythe shintoïste descendent la dynastie impériale et l’étendard national. Si l’origine exacte du hinomaru - ou drapeau au disque solaire - reste incertaine, le Dit des Heike, la grande épopée du XII e siècle qui relate les luttes intestines pour le contrôle de l’archipel, dépeint plusieurs samouraïs brandissant des éventails ornés d’esquisses de soleil. Un autre récit indique qu’au XIII e siècle, le moine bouddhiste Nichiren aurait offert une bannière dotée du fameux disque rouge au shogun (le général qui administre l’empire) lors des tentatives d’invasion mongoles. L’hinomaru devra toutefois attendre l’ère Meiji (1868-1912) pour devenir le drapeau national, dont la validation officielle ne date cependant que de 1999.

Chaque soldat partait au front une bannière en poche signée par sa famille

Sa variante - un disque solaire doté de seize rayons - fut utilisée par l’armée et la marine impériales. Adopté en tant que drapeau martial en 1870, le drapeau sert jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale avant d’être interdit par le traité de San Francisco puis réintroduit pour les forces de défense en 1954. Pendant la guerre, chaque soldat partait au front une bannière en poche signée par sa famille en guise d’encouragement. En 1934, un film de propagande décrit les drapeaux étrangers comme des emblèmes de composition imparfaite comparativement à celle du Japon. Manière de dire que les autres peuples demeurent inférieurs. Alors que se profile le massacre de Nankin, un groupe d’Hiroshima illustre sa solidarité avec les soldats combattant en Chine en confectionnant des « repas-drapeaux », les bento hinomaru, composés de riz blanc avec une prune salée en son centre.

Le Hinomaru est utilisé par les groupes d’extrême droite et certains clans de yakuzas

    Le drapeau aux rayons garde depuis une forte connotation négative et reste associé aux crimes de guerre et à l’oppression. Il fait ainsi l’objet de polémiques récurrentes avec les pays voisins envahis et dépecés par l’empire. En vue des jeux Olympiques de Tokyo, et face aux velléités des organisateurs, la Corée du Sud demandait, l’an dernier, au Comité international olympique de proscrire son utilisation. Le ministère des Sports sud-coréen décrit « un symbole politique clair » qu’il compare aux « cauchemars que la croix gammée nazie donne aux Européens ».

    Conscients de ces tensions, les membres de l’équipe japonaise de base-ball des moins de 18 ans se sont rendus l’an dernier en Corée du Sud sans arborer aucun drapeau sur leur polo. Il s’agissait avant tout d’assurer leur sécurité, promet le staff. Une décision jugée « ridicule » par les commentateurs sportifs nationaux. « Le sport peut créer l’environnement ultime pour les mouvements pacifistes et améliorer des relations tendues entre les deux pays », argue le journaliste Masayuki Tamaki, omettant que le regain négationniste dans l’archipel contribue à crisper les positions et à entretenir la confusion entre les deux emblèmes. « Le drapeau du soleil levant est largement utilisé à travers le Japon comme c’est le cas avec les pêcheurs en symbole des « bonnes prises » ou en célébration des accouchements et des festivités. (…) Les affirmations selon lesquelles ce drapeau est l’expression d’affirmations politiques ou un symbole du militarisme sont absolument fausses », rétorque ainsi le ministre des Affaires étrangères Toshimitsu Motegi, faisant mine d’oublier que l’étendard aux rayons est toujours utilisé par les groupes d’extrême droite et certains clans de yakuzas.

Les  habitants d’Okinawa refusent toujours de lever le Hinomaru

    Il n’y a pas qu’en dehors des frontières japonaises que le drapeau officiel reste un symbole d’oppression. Lors des cérémonies officielles, certains habitants d’Okinawa refusent toujours de lever le hinomaru. Sur l’archipel méridional, qui demeure la tête de pont états-unienne dans la région, le drapeau japonais demeure honni. Complètement détruit lors de ce qui fut le combat le plus meurtrier de la guerre du Pacifique, l’ensemble d’îles entretient un rapport complexe avec Tokyo. Sacrifié par l’empereur afin de retarder le débarquement des Américains sur le reste du territoire, Okinawa fut également marqué par les suicides collectifs et forcés par l’armée impériale. Le sentiment de domination et de dépossession de leurs terres se perpétue jusqu’à aujourd’hui. Le pacifisme et le refus du drapeau aussi.

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