Des
samouraïs aux habitants d’Okinawa, l’étendard au disque solaire connaît
une histoire mouvementée. Au-delà des légendes et des frontières, le
drapeau reste associé aux crimes de guerre et à l’oppression coloniale.
Au Japon, tout commence souvent par une légende. Ainsi, Amaterasu
est-elle née de l’œil gauche d’Izanagi, le dieu cocréateur du monde. Son
éclat était tel que son père la dépêcha au ciel où elle règne depuis en
déesse du soleil. De ce mythe shintoïste descendent la dynastie
impériale et l’étendard national. Si l’origine exacte du hinomaru - ou
drapeau au disque solaire - reste incertaine, le Dit des Heike, la
grande épopée du XII e siècle qui relate les luttes
intestines pour le contrôle de l’archipel, dépeint plusieurs samouraïs
brandissant des éventails ornés d’esquisses de soleil. Un autre récit
indique qu’au XIII e siècle, le moine bouddhiste Nichiren
aurait offert une bannière dotée du fameux disque rouge au shogun (le
général qui administre l’empire) lors des tentatives d’invasion
mongoles. L’hinomaru devra toutefois attendre l’ère Meiji (1868-1912)
pour devenir le drapeau national, dont la validation officielle ne date
cependant que de 1999.
Chaque soldat partait au front une bannière en poche signée par sa famille
Sa variante - un disque solaire doté de seize rayons - fut
utilisée par l’armée et la marine impériales. Adopté en tant que
drapeau martial en 1870, le drapeau sert jusqu’à la fin de la Seconde
Guerre mondiale avant d’être interdit par le traité de San Francisco
puis réintroduit pour les forces de défense en 1954. Pendant la guerre,
chaque soldat partait au front une bannière en poche signée par sa
famille en guise d’encouragement. En 1934, un film de propagande décrit
les drapeaux étrangers comme des emblèmes de composition imparfaite
comparativement à celle du Japon. Manière de dire que les autres peuples
demeurent inférieurs. Alors que se profile le massacre de Nankin, un
groupe d’Hiroshima illustre sa solidarité avec les soldats combattant en
Chine en confectionnant des « repas-drapeaux », les bento hinomaru,
composés de riz blanc avec une prune salée en son centre.
Le Hinomaru est utilisé par les groupes d’extrême droite et certains clans de yakuzas
Le drapeau aux rayons garde depuis une forte connotation
négative et reste associé aux crimes de guerre et à l’oppression. Il
fait ainsi l’objet de polémiques récurrentes avec les pays voisins
envahis et dépecés par l’empire. En vue des jeux Olympiques de Tokyo, et
face aux velléités des organisateurs, la Corée du Sud demandait, l’an
dernier, au Comité international olympique de proscrire son utilisation.
Le ministère des Sports sud-coréen décrit « un symbole politique clair » qu’il compare aux « cauchemars que la croix gammée nazie donne aux Européens ».
Conscients de ces tensions, les membres de l’équipe
japonaise de base-ball des moins de 18 ans se sont rendus l’an dernier
en Corée du Sud sans arborer aucun drapeau sur leur polo. Il s’agissait
avant tout d’assurer leur sécurité, promet le staff. Une décision jugée
« ridicule » par les commentateurs sportifs nationaux. « Le sport peut
créer l’environnement ultime pour les mouvements pacifistes et améliorer
des relations tendues entre les deux pays », argue le journaliste
Masayuki Tamaki, omettant que le regain négationniste dans l’archipel
contribue à crisper les positions et à entretenir la confusion entre les
deux emblèmes. « Le drapeau du soleil levant est largement utilisé à
travers le Japon comme c’est le cas avec les pêcheurs en symbole des
« bonnes prises » ou en célébration des accouchements et des festivités.
(…) Les affirmations selon lesquelles ce drapeau est l’expression
d’affirmations politiques ou un symbole du militarisme sont absolument
fausses », rétorque ainsi le ministre des Affaires étrangères
Toshimitsu Motegi, faisant mine d’oublier que l’étendard aux rayons est
toujours utilisé par les groupes d’extrême droite et certains clans de
yakuzas.
Les habitants d’Okinawa refusent toujours de lever le Hinomaru
Il n’y a pas qu’en dehors des frontières japonaises que le
drapeau officiel reste un symbole d’oppression. Lors des cérémonies
officielles, certains habitants d’Okinawa refusent toujours de lever le
hinomaru. Sur l’archipel méridional, qui demeure la tête de pont
états-unienne dans la région, le drapeau japonais demeure honni.
Complètement détruit lors de ce qui fut le combat le plus meurtrier de
la guerre du Pacifique, l’ensemble d’îles entretient un rapport complexe
avec Tokyo. Sacrifié par l’empereur afin de retarder le débarquement
des Américains sur le reste du territoire, Okinawa fut également marqué
par les suicides collectifs et forcés par l’armée impériale. Le
sentiment de domination et de dépossession de leurs terres se perpétue
jusqu’à aujourd’hui. Le pacifisme et le refus du drapeau aussi.