Je publie un second article de la journaliste, spécialiste de l’extrême-orient, Dominique BARI qui donne un point de vue complet sur la question du massacre de masse commis en 1965 par l'Occident et ses sbires indonésiens contre le PKI, l'un des plus importants partis communistes du monde, parti qu'ils réussirent à faire disparaître. Cette autre tache indélébile est, bien sûr, ignorée dans la presse du "monde libre". Je vous invite également à lire, 1965 : Génocide du PC indonésien... que je viens de fusionner avec l’article présent. J.-P. R. Condamnés à mort, livrés à la chasse aux
rouges, et autres "athées", entre 600.000 et 2 millions d'indonésiens
vont être massacrés, sans compter tortures, esclavage, viols... C'est un
prétendu coup d’État qui va permettre à l'armée et aux grands propriétaires
fonciers, avec le soutien de la CIA, d'éliminer un mouvement communiste dont l'influence
ne cesse de croître. L'Indonésie peut alors faire son retour au "monde
libre". Ce qui est l'un des pires bains de sang du XX° siècle reste
pourtant méconnu.
Le 30 septembre 1965, débutait en Indonésie "l'un des pires meurtres de masse du XX siècle"[1], aux propres dires de la CIA, instigatrice du massacre. Dix ans plus tôt, en avril 1955, l'archipel, ancienne colonie néerlandaise, s'était affirmé à l'échelle internationale : le président indonésien, Sukarno était l'un des initiateurs de la conférence afro-asiatique de Bandung, vécue comme le symbole de l'émergence politique du tiers-monde et l'affirmation d'une troisième voie possible dans le contexte de la guerre froide. Dans ces années-là, le régime indépendantiste de Sukarno, soutenu par le Parti communiste indonésien (PKI), constitue, selon Washington, un foyer "d'infection" susceptible de "s’étendre à l'Ouest", d'autant plus inquiétant que le PKI se renforce d'une élection à l'autre. Il compte à l'époque 3,5 millions de membres (sur une population d'une centaine de millions d'habitants) et d'importantes organisations de masse, parmi les paysans, les femmes et les jeunes, capables de rassembler quelque 15 millions de personnes.(Ci-contre : les fêtes du 45° anniversaire du PKI quelques mois avant le grand massacre) Pour évaluer les "inquiétudes" américaines, citons Richard Nixon, qui écrivait en 1967: "Avec ses 100 millions d'habitants et son arc insulaire de 4500 km renfermant le plus riche trésor de ressources naturelles de la région, l'Indonésie constitue le gros lot de l'Asie du Sud-Est".[2] Le silence qui s'est abattu pendant plusieurs décennies sur les événements du 30 septembre 1965, a contribué à épaissir le mystère de l'origine du déclenchement des massacres : cette nuit-là, l'enlèvement et l'assassinat de sept généraux de l'armée de terre, dont on ne connaît toujours pas les véritables commanditaires, ont permis au général Suharto alors commandant du KOSTRAD (la réserve stratégique de l'armée de terre) d'en faire porter la responsabilité au PKI. Débute alors une campagne de propagande minutieusement préparée, accusant les communistes d'être les auteurs du rapt et d'avoir projeté un coup d’État. S'enchaîne une méthodique et sanglante chasse aux "athées". Le PKI et toutes les organisations qui en étaient proches - syndicats, fédération des enseignants, organisations de jeunesse, etc… - furent anéantis en quelques semaines. En mars 1966, Sukarno fut écarté officiellement du pouvoir par Suharto, Dans un rapport datant de 1983, la CIA a estimé qu'il y eut 250.000 morts. Un bilan largement sous-évalué. Des généraux indonésiens comme Sudomo et Sarwo Edhie, proches de Suharto, ont avancé des chiffres allant de 500.000 à 2 millions de tués. Esclavage, disparitions, déportations dans des camps de concentration, torture, viols, prostitution forcée sont les autres volets de cette répression qui s'étend à tout l'archipel durant des années. L'historien Gabriel Kolko s'en émeut en ces termes: "La "solution finale" du problème communiste en Indonésie fut incontestablement l'une des actions les plus barbares d'un siècle qui n'en aura pas manqué; il s'agit à coup sûr d'un crime de guerre de même type que ceux perpétrés par les nazis. ".[3] L'Indonésie vécut une sorte de génocide dans la quasi- indifférence mondiale, tandis que le crime ravit le monde occidental, à en croire sa presse dite "libre" d'octobre 1965. Pour l'hebdomadaire américain "Time", il s'agit de "The West's best new for years in Asia", -La meilleure nouvelle pour le camp occidental depuis des années-. L'"US News & World Report" n’est pas en reste avec ce titre : "Indonésie : de l’espoir là où il n'y en avait plus". Le rôle politique des États-Unis, sans être mis en doute, est longtemps resté sans confirmation. II faudra attendre la fin des années 1980 pour que certains acteurs admettent officiellement l'implication directe de Washington. Une journaliste américaine, Kathy Kadane, réussit à obtenir à cette époque des révélations reprises par la presse américaine [4]. Celles de Robert Martens, diplomate en poste à Jakarta, sont éloquentes. Il confirme que, depuis 1963, une liste avait été établie de 5.000 responsables communistes, locaux, et d'organisations diverses (jeunes, femmes, syndicalistes), lesquels furent nommément désignés comme cibles aux militaires. En retour, l'ambassade recevait des putschistes la liste des personnes assassinées, permettant "un pointage systématique par la direction de la CIA à Washington des exécutions qui avaient été menées à bien". "Vers la fin de janvier 1966, les noms rayés sur les listes étaient si nombreux que les analystes de la CIA ont conclu à la destruction de la direction du PKI" a expliqué Joseph Lazarsky, ancien chef adjoint de la CIA en Indonésie. L'enquête de Kathy Kadane précise enfin qu'il n'a jamais pu être prouvé que les communistes indonésiens ont été impliqués dans l'assassinat des généraux, le 30 septembre. SUHARTO et ses (pol) potes au pouvoir de 1968 à 1998, à l'évidence bien plus fréquentables que Fidel Castro aux yeux des Américains. A gauche, destruction de la maison du PKI à Djakarta. (JPR) Plus d'un million de personnes furent incarcérées ou déportées dans l'île de Buru (Moluques). Emprisonnées sans jugement durant dix à quinze ans. Estampillées ensuite "ex-prisonniers politiques" (les "tapols"), elles restèrent complètement marginalisées au sein de la société indonésienne. Ce sont des millions d'Indonésiens qui furent concernés par cette exclusion durant trois décennies, en vertu du décret de 1966 pris par l'Assemblée constituante interdisant le "communisme". Tous les condamnés politiques pour "faits de communisme", leur famille et leurs descendants ont été frappés d'indignité nationale et interdits de recrutement dans la fonction publique et dans de nombreuses activités relevant du secteur privé. Ces victimes ont représenté une catégorie de "sous-Indonésiens", exclus de la citoyenneté, juste autorisés à survivre comme ils le pouvaient dans le cadre d'une étroite et permanente surveillance. Tout au long des 33 années de dictature, la répression n'a jamais faibli. Entre 1985 et 1990, Suharto a fait exécuter dans la clandestinité 22 dirigeants communistes, syndicalistes et militaires progressistes qui croupissaient en prison depuis 25 ans. Condamnés à mort après la prise du pouvoir du dictateur, aucune grâce ne fut accordée. Aujourd'hui : RECHERCHE DE LA VÉRITÉ ET DE LA JUSTICE En octobre 1986, alors que nous apprenions de nouvelles exécutions de dirigeants communistes emprisonnées depuis 20 ans, "l'Humanité-Dimanche" décida d'exprimer sa solidarité avec leurs familles en allant recueillir sur place leurs témoignages. Je fus cette envoyée spéciale à Jakarta, où je rencontrai dans la clandestinité les veuves, les enfants des victimes. En dépit de l'ordre qui leur avait été donné de se taire sur les assassinats de leurs proches censés n'avoir jamais eu lieu, ces familles ont eu le courage de me recevoir et de parler. Nous apprîmes alors que, quelques jours avant l'assassinat programmé de nos camarades, la dictature se livra à une morbide comédie, envoyant ses émissaires dans les cellules des condamnés leur faire miroiter une prochaine libération ! Je rencontrai aussi l'écrivain Pramudya, tout juste élargi du camp concentrationnaire de Buru, plusieurs fois nobélisable et interdit de publication en Indonésie. Deux autres rescapés des massacres et des geôles, Arief et Ali, évoquèrent le bain de sang de 1965, décrivant l'atrocité des scènes dont ils furent témoins. "Dans les prisons, nous étions réduits à l'état de squelettes (…) indiscernables les uns des autres". "C'était la revanche du monde "libre" sur la conférence dé Bandung et l'éveil des peuples" [5]. La chute de Suharto, en mai 1998, à la suite d'un mouvement populaire, suscita de nombreux espoirs, vite déçus. En avril 1999, un comité d'anciens tapols (ex- prisonniers politiques) créa un "institut d'études sur les massacres de 1965-1966", dont le but était de rassembler toutes les informations pouvant être collectées à travers le pays et de déterminer au plus juste le nombre des victimes. Des équipes ont repéré des charniers, mais les autorisations pour les examiner n'ont jamais été délivrées. Abdurrahman Wahid (surnommé Gus Dur), le premier président élu de la période post-Suharto, avait fait oeuvre, en 2001, à titre personnel, de repentance. Mais, en tant que président, il se montra incapable de lancer un débat national sur la période écoulée. Sa proposition au Parlement de lever l'interdiction frappant tout ce qui touche de près ou de loin au marxisme et au communisme - tous les livres sur le sujet sont interdits depuis plus de 30 ans - s'est heurtée à une puissante opposition, animée par les militaires. En juillet 2012, une Commission nationale des droits de l'homme reconnaissait enfin que les victimes de 1965-1966 avaient été ciblées pour leurs liens présumés avec le Parti communiste indonésien et pointait l'État indonésien comme instigateur des crimes. Malgré les données accablantes, le procureur général - appuyé par le ministre de la Coordination des politiques judiciaires et de sécurité - a rejeté le rapport, arguant que les conclusions de la Commission n'étaient pas juridiquement solides. Celle-ci a transmis le dossier à la Commission des droits de l'homme de l'ONU qui, en 2013, a proposé au gouvernement indonésien une médiation. II n'y a pas eu de réponse. Depuis, le travail de la Commission est bloqué, malgré les promesses électorales de Joko Widodo élu à la présidence en juillet 2014. Le nouveau chef de l'État s'est engouffré dans la même voie que ses prédécesseurs en signant, en juin 2015, un projet de loi de révision du Code pénal. Comme par le passé, l'article 219 stipule l'interdiction de diffuser la pensée communiste, marxiste-léniniste, et sanctionne toute diffusion, par quelque canal de communication que ce soit, verbalement ou par écrit. Toute infraction est passible d'une condamnation allant jusqu'à 7 ans de prison. Les politiques discriminatoires et les violences commises par des groupes anticommunistes contre les victimes, survivants du massacre, et leurs familles, persistent à ce jour. Une association basée aux Pays-Bas, constituée d'indonésiens, d’Européens, de chercheurs, de militants des droits de l'homme, a décidé d'organiser un "Tribunal international du peuple pour les crimes contre l'humanité de 1965" dans la lignée du "Tribunal Russell" [6]. En France, cette campagne été menée par le "Réseau Indonésie". Ce tribunal siégera à La Haye, du 10 au 13 novembre 2015. Le jugement sera présenté devant la Commission des droits de l'homme de l'ONU à Genève, programmée en 2016. Cinquante ans après le génocide, verra-t-on enfin Jakarta et ses alliés du monde libéral reconnaître ce crime, et mettre fin à la répression ? DOMINIQUE BARI POUR ALLER PLUS LOIN Deux documentaires de Joshua Oppenheimer : - The Act of Killing, 2012, disponible en DVD (ZED, 2013) ; - The Look of silence, 2015, actuellement en salles. - Lire l’interview de j. Oppenheimer dans « l'Humanité Dimanche » n° 480k, 1er octobre 2015. - LE RÉSEAU INDONÉSIE : Site https://reseauxindonesie.wordpress.com ; Adresse e-mail: reseau.indonesie2014@gmail.com
- Je signale le numéro, de décembre 2015 du MONDE DIPLOMATIQUE avec un article dont le titre reprend cette sentence : "l'un des pires meurtres de masse du XX siècle". [1] «The New-York Times », 22 décembre 1965. [2] «Asia after Vietnam », de R. Nixon, Foreign Affairs, octobre 1967. [3] «Confronting the Third World, United States Foreign Policy, 1945-1980", de G. Kolk, Pantheon Book, 1988 [4] L’enquête diffusée par le States News Service de Washington n'a pas eu aux Etats-Unis le retentissement qu’elle méritait, sauf dans le San Francisco examiner qui en a fait sa "une" le 20 mai 199o et le Washington Post". [5] « L'Humanité Dimanche », 14 novembre 1986, in reportage de Dominique Bari : « Clandestine en Indonésie, j’ai vu les proches des fusillés ». [6] Du nom du philosophe et mathématicien britannique Bertrand Russell, fondateur fin 1966 du «Tribunal international contre les crimes de guerre au Viêt-Nam » dont J.-P. Sartre deviendra le président en 1967. 1965 : Génocide du PC indonésien...
publié le 16 nov. 2012 20:30 par Jean-Pierre Rissoan
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mis à jour : 26 oct. 2015 12:54
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En 1965, je venais d’adhérer au PCF. C’est avec surprise que je découvrais la rigueur mauvaise des ennemis de mon idéal. Je découvrais aussi le caractère mondial de notre lutte. L’Huma -que je découvrais aussi- faisait le compte-rendu de ces massacres que je ne pensais pas possibles d’ailleurs, tant je ne pouvais penser que l’homme puisse être si méchant. J’étais très jeune, il est vrai. Cette volonté d’exterminer le parti communiste indonésien, comme quelque temps plus tard, le parti communiste soudanais relève du génocide politique. Ce fut un succès pour les Américains. Un grave recul pour toute l’Asie du Sud-Est. Aujourd’hui, l’Indonésie est réputée plus grand pays islamique du monde. A qui la faute ? Merci à Pascal Lederer de ranimer la flamme du souvenir. J.-P. R.
SOLIDARITÉ AVEC LES VICTIMES DU MASSACRE DE 1965 !
par Pascal LEDERER physicien Directeur de recherche émérite au CNRS.
En 1965, la fraction anticommuniste de l'armée indonésienne, téléguidée par le gouvernement des Etats-Unis, renversait le régime de Sukarno, soutenu par le Parti communiste indonésien (PKI), à l'époque le plus grand parti communiste au monde en dehors du "camp socialiste". C’était l'époque où les Etats-Unis du démocrate Lyndon Johnson s'engageaient dans une escalade militaire massive contre le Front de libération national au Sud-Vietnam, qui était aidé par la République du Vietnam de Hanoï et par le camp socialiste. Les États-Unis développaient la doctrine de I' "endiguement" du communisme, et voulaient empêcher l'«effet domino» de contagion communiste dans toute l'Asie du Sud-Est. Un complot fut fomenté par la CIA avec l'appui des éléments anticommuniste de l'armée indonésienne pour accuser le PKI d'être à l'origine d'un coup d'État contre leur allié, le président Sukarno. En quelques semaines, près de 850000 communistes et démocrates, avec souvent leurs proches ou leurs amis, étaient assassinés dans le plus grand massacre politique de tous les temps. Au cours des années suivantes, la dictature pro-américaine de Suharto envoya, sans procès, des centaines de milliers de membres du PKI dans des camps de concentration, telle la sinistre île de Buru. La famille, les amis. les enfants des déportés furent persécutés, chassés de leur emploi, interdits d'école, d'université, ostracisés, dans le silence terrorisé de toute la société. La libération des prisonniers politiques en 1978 permit de vider les camps des survivants. En 1998, la fin de la dictature de Suharto permit certains développements de la démocratie en Indonésie. L'année 2015 verra le 50° anniversaire de ce massacre. Malgré les efforts de l'ancien président Abdurrahman Wahid, qui a ouvertement demandé, au nom de son parti politique, pardon aux survivants mais qui n'a pas eu le temps de changer la politique du pays, l'injustice continue. Une commission nationale des droits de l'homme a présenté, fin juillet 2012, à Djakarta, un rapport qualifiant de crime contre l'humanité la répression anticommuniste de 1965-1966. Mais le gouvernement indonésien ne reconnaît pas aux survivants leur statut de victimes. Sans moyens matériels de survie, épuisés par de longues années de détention, des centaines d' "ex-Tapol" (anciens prisonniers politiques) âgés végètent dans la misère, quand ils ne sont pas en butte aux vexations policières. La solidarité avec nos camarades indonésiens est indispensable. Solidarité politique d abord : il faut exiger que le gouvernement indonésien reconnaisse leur statut de victimes de la dictature Suharto, débloque des fonds d'indemnisation pour eux, pour leurs enfants, pour toutes les victimes du massacre politique de 1965 et de ses suites. Solidarité matérielle ensuite. Iba Sudharsono, fille du secrétaire national du PKI assassiné en 1965, vit en France (son adresse mail : tambora@club-internet.fr). Avec son association Solidarité Indonésie, elle collecte des fonds pour rendre moins pénible, à Surabaya, à .Djakarta, Manado. Sumatra, etc., la survie des vieillards rescapés des camps. Un versement mensuel sur le compte de la Solidarité Indonésie (compte Société générale 01816/37262694/23), même d'une somme modique (comme 20 euros), représente une aide inestimable, en attendant les indispensables réparations que l'État indonésien, désormais plus démocratique, doit consentir à toutes les victimes. N’attendons pas ! |