Lundi, 16 Mai, 2016
«Refaire
la révolution », « La rébellion est justifiée », « Osez penser, osez
agir », « Bombardez le quartier général » ! C'est par de tels slogans
séducteurs que Mao Zedong enivre les jeunes instruits chinois corsetés
par un système hiérarchique étouffant, la pénurie, le conformisme et
provoque leur soulèvement contre l'appareil du Parti communiste. En ce
mois de mai 1966, il y a quarante ans (cet article a été écrit en 2006 et réédité en 2016, JPR), le Grand Timonier lance sa «
grande révolution culturelle prolétarienne », un mouvement de masse
répressif et réprimé qui déchire la Chine et amène le pays au bord de la
guerre civile. Elle allait faire des millions de victimes, pousser la
société et l'économie dans le gouffre et laisser ses stigmates sur toute
une génération. Le déclencheur en est le 16 mai 1966, une directive de
Mao fustigeant « les représentants de la bourgeoisie » ayant infiltré
tous les niveaux du Parti communiste. Le prétexte en est une pièce de
théâtre écrite par le vice-maire de Pékin, Wu Han, Hai Rui démis de ses
fonctions, jugée « déloyale » envers Mao car faisant référence à la
destitution de Peng Dehuai en faveur de Lin Piao à la tête de l'armée.
Peng avait ouvertement critiqué le Grand Bond en avant et la
personnalisation du pouvoir de Mao. Car les origines de la révolution
culturelle s'enracinent dans le constat d'échec du Grand Bond. Deux
lignes politiques s'affrontent. Schématiquement on parlera du
pragmatisme des uns, dont Deng Xiaoping fut plus tard le fer de lance
contre la collectivisation voulue par Mao. Le conflit se noue autour du
bilan du Grand Bond. Fortement critiqué dès juillet 1959, Mao quitte son
poste de président de la RPC, et le Congrès national populaire élit Liu
Shaoqî.
« éducation socialiste »
Restant aux rênes du PCC le Grand Timonier est peu à peu écarté de la
gestion des affaires économiques passée sous l'influence dominante de
Liu, Deng et de certains autres, qui entament des réformes économiques
dites de « réajustement » et rapidement dénoncées comme « révisionnisme »
par Mao, un terme qui fait écho à la détérioration radicale des
relations avec l'Union soviétique. En septembre 1962, il passe à
l'offensive pour reconquérir son pouvoir et son intervention au comité
central se résume en une phrase célèbre : « Camarades, n'oubliez pas la
lutte des classes », un concept qui selon lui trouve aussi son
expression au sein du Parti.
D'un mouvement d'« éducation socialiste » pour les campagnes (1963) à
peine remises du Grand Bond, à la publication du Petit Livre rouge
(1964) en passant par l'abolition des grades dans l'armée (1965) ou par
une radicalisation de la culture inspirée par sa femme Jiang Qing, tous
les fronts sont utilisés par Mao qui, retiré à Shanghai, s'entoure de
nouveaux « conseillers », issus d'une pseudo-intelligentsia gauchiste,
et dont le noyau dur formera « la bande des quatre ».
La purge contre ceux accusés d'emprunter « la voie capitaliste » se
transforme très vite en une déferlante de persécutions et de délations.
Les gardes rouges, battent les chemins. Ils détruisent des temples, des
instruments de musique, des antiquités... La plupart des Chinois jugés
contre-révolutionnaires sont exécutés en public à titre d'exemple ou
exilés dans les campagnes pour y être rééduqués par le travail manuel.
La phase insurrectionnelle de la révolution culturelle se termine en
avril 1969 avec le 9e Congrès du PCC. En prônant la poursuite de la
révolution culturelle, Mao impose alors ses théories d'une révolution
idéologique permanente au détriment de la production. Les luttes de
pouvoir et les purges continueront jusqu'à la fin officielle de la
révolution culturelle en 1976. Mao meurt en septembre. En octobre, son
successeur, Hua Guofeng, ordonne l'arrestation de la bande des quatre,
bientôt tenus pour principaux responsables de la décennie de terreur.
Quatre décennies plus tard et malgré une littérature abondante dite des «
cicatrices » sur les évènements, les zones d'ombre demeurent et les
débats ne sont pas clos. À peine ont-ils été ouverts. Deng Xiaoping,
revenu aux commandes du Parti en 1978, boucle la période maoïste en
proclamant que ce qu'avait fait le Grand Timonier contenait 70 %
d'éléments positifs et 30 % de négatifs. Cette manière de trancher pour
l'histoire la condamnation de la révolution culturelle ne satisfait pas
de nombreux membres de cette « génération perdue » que furent les jeunes
instruits de 1966. Parmi eux, Xu Youxu, ex-garde rouge devenu
professeur de philosophie, membre de l'Académie sociale de Chine et pour
lequel « La révolution culturelle a causé des blessures internes
invisibles et irréparables dans les esprits des gens. » Xu ne veut
laisser à la révolution culturelle aucun pouvoir de séduction. À ses
yeux, les zones d'ombre laissant entière la complexité des évènements
expliquent pourquoi certains Chinois, mécontents des réformes
économiques lancées et de l'accroissement des inégalités, ont tendance à
idéaliser ce passé sombre.
Documents secrets « Pour bien comprendre
le phénomène, il faudrait un important travail collectif s'appuyant sur
les documents, y compris les documents secrets du Parti, et sur de
vastes enquêtes d'histoire orale », avance pour sa part le sinologue
Michel Bonin (auteur douvrage, Une génération perdue). « Mais ce travail
est impossible à réaliser tant que les autorités s'y opposent, tentant
de préserver une image positive de Mao. »