publié le 18 sept. 2019, 01:37 par Jean-Pierre Rissoan
Épuisé par une vie de combats, dont la plus grande partie se fit dans la clandestinité, l’Oncle Hô décède le 2 septembre 1969. A l'occasion du 50° anniversaire de sa mort, L'Humanité consacre un dossier à celui qui a marqué l'histoire de son pays, l'histoire de la décolonisation et qui, par là-même, est une figure de l'histoire mondiale. J.-P. R.
ci-contre : Hô Chi Minh en juillet 1954, au moment des accords de Genève, qui mirent fin à l’emprise coloniale française en Indochine. DR
«L’Oncle Hô s’en est allé à la mi-automne »… Lorsque les lecteurs de
l’Humanité, en septembre 1969, lurent cette phrase de l’inoubliable
Madeleine Riffaud, ils eurent tous la gorge serrée. L’Oncle Hô, ce Hô
Chi Minh dont les peuples, et particulièrement la jeunesse, du monde
entier scandaient le nom à longueur de manifestations, avait quitté ce
monde avant de voir ce dont il n’avait jamais douté : la victoire de son
peuple face à la machine de guerre américaine. Quatre-vingts ans plus tôt, il était né en Indochine
française, qui devint le terrain de ses premiers combats patriotiques.
Cinquante ans plus tôt, il était devenu communiste, au sein du jeune
PCF. Et jamais, au grand jamais, il n’avait dissocié ensuite ces deux
combats, la libération de sa patrie et l’espérance en un monde meilleur,
qu’il eût voulu communiste.
Hô Chi Minh a consacré sa vie à rechercher la solution
pour sortir de l’enchaînement dans lequel était tombée sa patrie à
l’époque coloniale française. Et il a trouvé la voie. Il a été le père
de l’indépendance du Vietnam à l’ère moderne, celui qui a permis à son
peuple de retrouver sa fierté d’être vietnamien, la « rage d’être
vietnamien », comme l’écrivit un autre grand journaliste, Jean-Claude
Pomonti. C’est ce que les femmes et les hommes de son peuple ont retenu
et ce qui a créé le fondement de cet attachement, jamais démenti, à leur
Oncle. En même temps, le message a dépassé largement les frontières de
sa terre natale. Toutes les étapes de sa vie – la proclamation de
l’indépendance du Vietnam en 1945, la lutte victorieuse contre le
colonialisme français, puis contre l’impérialisme américain, le refus
des divisions entre Chine et Union soviétique – ont eu une signification
mondiale. Une signification internationaliste, un concept qu’il aimait
tant.
Ses écrits, lus aujourd’hui, donnent une curieuse
impression de familiarité, comme s’il s’adressait personnellement à
chacun. Hô Chi Minh n’a jamais théorisé comme ont pu le faire d’autres
dirigeants des grands mouvements révolutionnaires. Il était très
pratique, n’hésitant pas à traiter tous les aspects de la vie : en
recommandant par exemple aux gens de ne pas laisser une seule parcelle
de terre sans y semer des grains de riz dans les périodes de pénuries,
ou en rappelant aux cadres d’être toujours proches de la population et
non des « mandarins rouges ». De ces concepts très concrets, il se
dégage une grande réflexion sur ce que doivent être les liens entre un
parti au pouvoir et la population. Sans aucun doute, il y a là des
leçons très contemporaines.
Dans la dernière décennie de son existence, l’équipe qu’il
avait réunie autour de lui, dont « ses deux fils préférés », Pham Van
Dong et Vo Nguyen Giap, plus d’autres dirigeants, dont le secrétaire
général du PC Lê Duan, reprit le rôle de direction au quotidien de la
lutte, terriblement prenante, contre les incessantes attaques
américaines. Hô Chi Minh avait désormais un rôle particulier, moins
immédiatement concret, plus emblématique.
Et puis, le 2 septembre 1969, épuisé par une vie de
combats, dont la plus grande partie se fit dans la clandestinité,
l’Oncle Hô s’effaça. Cruelle grimace de l’Histoire : cet homme avait, un
autre 2 septembre, en 1945, proclamé l’indépendance de son peuple. Peu
de temps après fut rendu public un texte, dit « Testament du président
Hô Chi Minh », authentique, mais tronqué. Ce n’est qu’en 1989 que l’on
apprendra que le président avait souhaité être incinéré, qu’il était
opposé à toute idée de construction d’un mausolée, vœux qui n’avaient
pas été respectés. En 1969, en pleine guerre, il avait fallu que sa
figure tutélaire restât accessible pour tous. Ce fut un choix, que
certains contestent aujourd’hui.
Qu’importe. Les dernières phrases de l’Oncle étaient un
résumé de sa vie, de sa personnalité : « En fin de compte, je laisserai
des milliards et des milliards de sentiments d’amour à tout le peuple, à
tout le Parti, à tous nos combattants, à mes neveux et nièces, les
jeunes et les tout-petits. J’adresse également mon affection fraternelle
à tous mes camarades, à mes amis, aux jeunes et aux petits enfants de
tous les pays. Mon souhait ultime : tout le Parti, tout le peuple
doivent s’unir et faire tous leurs efforts afin d’édifier un Vietnam
pacifique, réunifié, indépendant, démocratique, prospère et contribuer
dignement à la révolution mondiale. » Étranges phrases, lues en ce début
de XXIe siècle. Mais, à la réflexion, phrases d’actualité. Alain Ruscio Historien (NB. Vient de paraître : Écrits et combats, textes d’Hô Chi Minh présentés
par Alain Ruscio, préface de Joseph Andras. Éditions du Temps des
cerises, 390 pages, 20 euros).
L’Oncle Hô inspire le Vietnam modernetexte de Lina Sankari , journaliste à l’Humanité
Depuis le début de l’année, le Vietnam a anticipé le cinquantenaire de la
mort du président Hô Chi Minh en organisant une série de colloques et
d’expositions. Le dirigeant continue d’exercer une influence qui dépasse
largement le cadre politique. En
contrebas du mont Bà Nà, en plein centre du Vietnam, la famille Nguyen
vit encore la guerre par ricochet. Tam et Hung, respectivement 21 ans et
19 ans, n’ont jamais connu le fracas des bombes. Ils sont pourtant la
première génération de la lignée à présenter une série de troubles
physiques et mentaux liés à la guerre chimique lancée sur le Vietnam
entre 1961 et 1971. Huê, leur grand-mère, s’occupe patiemment d’eux, les
nourrit, les redresse sur le lit, se rend deux fois par mois à
l’hôpital, situé à une quinzaine de kilomètres, pour récupérer les
médicaments. Dans son salon, comme dans tant d’autres foyers, trône
paisiblement un portrait de l’Oncle Hô. Comme une présence
bienveillante, un soutien dans le combat qu’elle mène contre la maladie
de ses petits-enfants. « Nous lui devons tellement », sourit-elle. Son
mari, ancien soldat du Front national de libération du Sud-Vietnam, qui a
participé à la bataille de Hué durant l’offensive du Têt en 1968,
acquiesce : « Son action, sa vie simple nous guident encore. » Il n’est à
cet égard pas exagéré de considérer que l’Oncle Hô fait presque partie
de la vie spirituelle des Vietnamiens. Ou tout du moins qu’il continue
d’exercer une influence qui dépasse largement le strict cadre politique.
Un testament politique qui résonne à l’heure de la lutte contre la corruption
Depuis le début de l’année, le pays a anticipé le
cinquantenaire de la mort du président Hô Chi Minh, le 2 septembre à
Hanoï, en organisant une série de commémorations, expositions et
colloques sur son héritage. Onze millions de jeunes ont ainsi participé à
la campagne intitulée « La jeunesse vietnamienne applique le Testament
de l’Oncle Hô ». « Suivre les enseignements de l’Oncle Hô revient pour
chacun non seulement à les retenir et apprendre par cœur mais à les
faire imprégner dans ses veines, dans son cœur, à les transformer en ce
qui le tourmente, le fait réfléchir et le motive à suivre les pas de
l’Oncle Hô », a expliqué le secrétaire général du Parti communiste du
Vietnam (PCV) et président de la République, Nguyen Phu Trong, lors
d’une rencontre organisée le 27 août. En clair, poursuivre la
révolution. Ce n’est pas forcément chose aisée pour une jeunesse qui a
parfois la consommation comme seule antienne et ne se soucie que très
peu de politique. « À chaque période de l’histoire, les jeunes ont
toujours été une force importante qui a apporté de nombreuses
contributions au processus de construction et de défense de la patrie.
L’Oncle Hô a toujours réservé des sentiments profonds à quiconque, en
particulier aux jeunes », insiste le chef de la Commission centrale de
la propagande et de l’éducation du Parti, Vo Van Thuong.
Ce cinquantième anniversaire est également l’occasion pour
le PCV de remettre au goût du jour le testament de Hô Chi Minh, entamé
en mai 1965 et achevé en mai 1969, de le faire résonner avec les combats
actuels dont la lutte contre la corruption. De l’exemplarité comme
mission politique. « Chaque membre du Parti, chaque cadre doit
s’imprégner de la moralité révolutionnaire, véritablement faire preuve
d’application, d’économie, d’intégrité, de droiture, d’un dévouement
total à la chose publique et d’un désintéressement absolu », écrivait
l’Oncle Hô en guise de dernière volonté. Une nouvelle loi anticorruption
est entrée en vigueur en juillet dernier afin de regagner la confiance
de la population. À Thu Thiêm, un nouveau quartier d’habitation de Hô
Chi Minh-Ville (sud), l’inspection gouvernementale a ainsi fait grand
cas des sanctions prises contre les infractions constatées lors de la
construction. Car l’urbanisation intensive a entraîné son lot de
dérives. On ne compte plus les dérogations accordées aux investisseurs
qui transforment des projets d’usine en luxueuses villas ou ne
respectent aucune obligation environnementale. De quoi semer la colère
populaire. Le cinquantenaire est donc l’occasion pour le PCV de regagner
en légitimité et en unité. « Le testament du président Hô Chi Minh a
été d’une importance capitale pour l’édification du Parti communiste du
Vietnam. Il donne des directives précises en matière de pouvoir,
d’organisation, de déontologie et d’idéologie. Le Parti se doit
aujourd’hui de l’adapter à la nouvelle conjoncture », a affirmé Nguyên
Xuân Thang, directeur de l’Académie nationale de politique Hô-Chi-Minh.
« Le Yankee battu, nous bâtirons le pays dix fois plus beau ! »
Cette année, le premier livre en anglais et en vietnamien
contenant le testament du président Hô Chi Minh a été publié par
l’agence de presse vietnamienne (VNA), dont le fonds photographique
recèle de véritables pépites historiques, l’Institut politique national
Hô-Chi-Minh et le musée Hô-Chi-Minh. Intitulé 50 ans de mise en œuvre du
testament du président Hô Chi Minh, 1969-2019, le livre est parsemé
d’une centaine de photographies dont l’une montre le dirigeant, pieds
nus, en train de travailler la terre pour y planter des légumes dans le
maquis pendant la guerre contre le colonisateur français. À l’époque,
« la question agraire est la question sociale par excellence », confirme
l’historien Pierre Brocheux. Pression démographique, accaparement des
terres par les colons, survivance du féodalisme, la redistribution
presse. Également une façon de faire valoir un président « qui se
démarquait par sa simplicité, sa modestie et sa sincérité », selon VNA.
La photographie illustre surtout l’aspect « pratique » de l’Oncle Hô,
qui n’hésitait pas à s’emparer de toutes les questions quotidiennes en
recommandant aux Vietnamiens de ne laisser aucune parcelle de terre sans
semence dans les périodes de pénurie.
À propos de son testament, l’écrivain anticolonialiste
Jean Lacouture dira : « Au moment de dire adieu à son peuple, M. Hô ne
plastronne pas, ne prend pas le ton de héros à mots historiques et à
posture tragique : il parle des tâches immédiates à accomplir – la
libération du territoire – sur le ton d’un chef en pleine activité, d’un
patron au travail. On retrouve là une des constantes du personnage, la
primauté donnée à l’action, aux réalités, à la praxis. »
Lorsqu’il meurt, à 79 ans, le pays n’est pas encore sorti
de la guerre, pas encore réunifié mais le vieil « Oncle » trace la ligne
d’horizon : « Nos fleuves, nos monts, nos hommes toujours resteront /
Le Yankee battu, nous bâtirons le pays dix fois plus beau ! »
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