Je me propose, ici, d’examiner l’origine des voix obtenues par le Front de Gauche en 2012, dans 10 communes des Hautes-Alpes, communes qui ont placé Jean-Luc Mélenchon en tête de tous les candidats. J’ai exploité les résultats de la présidentielle 2002 qui fut un grand défouloir, où toute la palette des partis était présente : les trois courants trotskistes dont LO et LCR -futur NPA-, PCF, PS, Radicaux, les Verts et une autre écologiste, Mme Lepage, Chevènement (MDC), le parti des Chasseurs CPNT, un centriste -Bayrou (MD) -, l’UMP, deux candidats de la droite extrême : Boutin et Madelin, enfin deux candidats d’extrême-droite : LePen et Mégret (MNR). Comme l’écrit dans sa profession de foi Madelin - qui avait déjà beaucoup d’éléments fournis par les instituts de sondage - : ce "premier tour, c’est celui du vrai choix. Celui du cœur ; (sic)". Bref, les Français se sont laissé aller mais, justement, cela permet de lire l’ampleur de l’éventail. Je vais d’abord fournir l’indispensable appareil statistique avec des tableaux venus de Word, ce qui n’est pas adapté au logiciel du site. Pardon. On fera mieux la fois prochaine. Pour chaque unité géographique, je donne les résultats des cinq candidats arrivés en tête plus le score du PCF, en 2002, parce que c’est un parti créateur du Front de Gauche. Puis, je procéderai à l’exposé de deux aspects fondamentaux du vote dans les Hautes-Alpes : l’impact de leur passé protestant : même si le vote catholique a été aussi important et si d’autres communes étaient indifférentes, le vote protestant est plus important qu’ailleurs : le département appartient au Grand Sud du protestantisme. Seconde originalité : l’importance du vote dit des "chasseurs", CPNT, vote qui a été dénigré par les élites parisiennes et autres et sur lequel il convient de revenir. Enfin, j’analyserais, les résultats commune par commune.
Vote à la présidentielle 2002 dans les communes où le FDG est arrivé en tête à la présidentielle 2012.
Vote 2012 dans les communes où le FDG est arrivé en tête au 1er tour
Avant de procéder à l’analyse commune par commune, il convient de mettre en avant deux tendances lourdes propres au département des Hautes-Alpes. Il s’agit de l’importance de la présence protestante, d’une part, et d’autre part, dans un tout autre registre, de l’importance du vote Chasse-Pêche-Nature & Traditions (CPNT) dont le candidat obtient 7,3% des voix en 2002, est placé 4° par les haut-alpins alors qu’au plan national CPNT est placé en 9ème position avec 4,3% des suffrages exprimés.
1. Les implications du vote protestant
Les Hautes-Alpes relèvent du croisant méridional de la géographie française du protestantisme qui s’étend de la Saintonge jusqu’au Sud des Alpes (Vaucluse, Alpes-de-Haute-Provence…).[1] Dans les communautés du Sud, en phase de vieillissement, la proportion de jeunes de moins de 35 ans (15%) est deux fois moins élevée que dans les grandes agglomérations (30%). En termes de catégories socio-professionnelles, on trouve un poids élevé des retraités dans les communautés du Sud (32% contre 28% en moyenne). Mesuré dès la IIIème République (voir André Siegfried, 1913), le penchant des protestants Français pour la gauche non-communiste et pour le centre est un phénomène ancien mais qui a tendance à s’estomper depuis plusieurs dizaines d’années. Aujourd’hui, on note toujours une attirance plus forte pour les formations socialistes (26,6% contre 24,9% chez les catholiques), écologistes (12,5% contre 9,3% contre chez les catholiques) et centristes (13,9% contre 11,5% chez les catholiques). Les protestants sont cependant loin d’avoir un comportement politique homogène à l’échelle nationale. A l’inverse du Grand Est [2] par exemple, chez les protestants du Grand Sud, l’extrême-gauche (hors PC selon la méthode IFOP) pèse deux fois plus qu’à l’échelle nationale (8,7% contre 4,6%) mais le poids de la gauche parlementaire (PC/PS/Radicaux) n’y est pas plus élevé que la moyenne protestante française (40,9% contre 41,7%). A ces observations qui font autorité, j’ajouterai cependant quelques perfectionnements. D’abord, le protestantisme du Grand Sud est un protestantisme rural qui concerne à la fois les artisans et les paysans. C’est ce qui explique que, naguère, le parti radical faisait des scores remarquables dans ces régions : Ainsi, en 1973 et en 1978, aux élections législatives, les Radicaux étaient nettement en tête devant les Socialistes en Hautes-Alpes. De plus, les protestants du Grand Sud ont poussé leur attachement à la République jusqu’à ne pas hésiter à voter communiste. Je pense au canton vivarois de Vernoux-en-Vivarais, aux Vans (07). On retrouve cette tendance dans le vote communiste ici ou là dans le département des Hautes-Alpes (21,4% en 1973). L’attachement au centre, comme il est dit dans cette note IFOP, est confirmé par les bons scores obtenus par F. Bayrou dans le département. Enfin, concernant le vote FN, les protestants votent moins que les catholiques pour cette orientation. C’est cependant variable selon les régions. Si, au niveau national, les protestants votent FN à hauteur de 7,9%, ceux de la Région parisienne ne le font que pour 2,8% mais ceux du Grand Est montent à 16,6% et ceux du Grand Sud redescendent à 7,1%.
2. Le vote Chasse-Pêche-Nature & Traditions : au-delà des idées reçues
Cette liste a eu fait rire le frère Duhamel quand il a prononcé pour la première fois son libellé en donnant les résultats des élections européennes, il y a longtemps. Face aux écolos incarnant la modernité d’une jeunesse urbaine sensible à la dégradation de l’environnement et à l’avenir de la planète TERRE, les chasseurs étaient caricaturés comme des viandards, rétrogrades, paysans archaïques repliés sur leur mode de vie suranné. En réalité, cette apparition de la liste CPNT est due à une déficience du PCF qui, ce n’est un scoop pour personne, a traversé une crise violente depuis 1981. Dans un article scientifique [3], un solide rappel à l’activité des militants communistes dans le milieu de la chasse est effectué. Petite citation : "Grâce à des travaux précédents menés sur le même espace local, on peut en effet donner de la profondeur historique à la protestation des chasseurs et montrer comment les revendications des chasseurs ont été portées par le PCF avant de l’être par CPNT". Et encore "La situation change sensiblement à la fin des années 1990 avec une réorientation stratégique du vote des chasseurs vers CPNT lorsque les communistes participent à la coalition gouvernementale de « gauche plurielle » avec les Verts puis s’abstiennent lors du vote de la loi chasse du 28 juillet 2000. Celle-ci, suivant les recommandations de la Commission européenne, réduit davantage les dates de chasse et instaure le mercredi sans chasse. « Ce jour-là le groupe communiste a enterré la chasse populaire » martèlent alors les cadres locaux de CPNT. Selon le secrétaire de la société de chasse de Saint-Joachim : « On a été trahi par le PC, avec la loi Patriat [4]. Alors depuis, on a compris. Ça c’est resté en travers de la gorge. Jusqu’à présent, nous aussi on soutenait le maire de Saint-Joachim, tout se passait bien. Mais avec la trahison, alors là… » ". Il ne faut pas juger CPNT uniquement à partir du ralliement de son dernier leader à la candidature Sarkozy en 2012. Ici, nous intéresse la candidature Saint-Josse de 2002. La lecture de la profession de foi Saint-Josse de 2002 - un quatre-pages - ne laisse en rien penser qu’il s’agit-là d’une candidature crypto-FN, encore moins crypto-fasciste. Il n’en est rien. La profession de foi -nationale- est intitulée "La France des différences". Quelle est la clé ? elle est donnée en bas de la page 3 : "la construction communautaire actuelle est incompatible avec le respect des démocraties et des différences. (…) l’uniformité est la religion des technocrates (de l’Europe supranationale et centralisée)". En revendiquant plus de "subsidiarité", CPNT opte pour la "construction d’une Europe des peuples où chacun conservera son identité". Autre thème très fort : la défense de la ruralité. Refusant "une désertification du monde rural", CPNT veut "une politique agricole qui préserve le maintien des exploitations", le mouvement refuse "un aménagement de l’espace (…) par des textes contraignants tels que les « directives oiseaux et habitants » (Natura 2000)". Les ruraux veulent rester "les principaux acteurs de la protection de l’environnement et de l’aménagement de l’espace". De plus, CPNT propose des mesures pour "Revitaliser le tissu économique", et surtout "Rétablir et maintenir les services de proximité publics et privés, maternités, cliniques, crèches, écoles, postes, gares, gendarmeries, aides aux personnes âgées, petits commerces, etc... ". En voulant "Promouvoir une meilleure répartition des ressources afin que chaque citoyen retrouve sa place dans la société", on peut, peut-être, deviner chez CPNT une (très) timide volonté de redistribution des richesses. Si le paragraphe sur le respect des traditions est quelque peu ringard, "coutumes, (…), métiers traditionnels", on ne trouve en revanche aucun mot sur l’immigration et donc aucune tentative de piétiner les plates-bandes de LePen ou Mégret. Au total, on peut admettre qu’un chasseur en colère vote pour ce candidat, de même qu’un paysan alarmé par la désertification de son « pays ». En tout cas, les électeurs communistes de Molines-en-Queyras, par exemple, n’ont pas hésité : le vote communiste est passé de 18 électeurs en 1995 à 1 (un) en 2002, le parti des chasseurs se plaçant en pôle-position avec 35 voix (absent en 1995) dans cette commune fortement marquée par le protestantisme. Mais le discours pour une autre Europe -non anti-européen on l’aura constaté - peut convenir aussi à des chevènementistes dont une tendance a d’ailleurs rallié l’étendard du Front de Gauche.
3. Analyse par commune Analyse difficile. D’une part, le nombre d’électeurs inscrits a progressé -pas toujours- et, d’autre part, partout le nombre de suffrages exprimés a augmenté grâce à une très fort mobilisation. Il est vrai que 2002 fut catastrophique sur ce plan. Si bien que la plupart des "grands partis" progressent pas rapport à 2002 et il est difficile de dire avec précision d’où viennent les voix Front de Gauche (FDG). Le recul en voix et en pourcentage de certains partis est alors un indice précieux. L’influence relative, donnée par le pourcentage des voix exprimées, est aussi un indicateur important. Châteauneuf-de-Chabre 42 suffrages exprimés supplémentaires. Tous les principaux partis gagnent des voix. Le FDG s’empare de la 1ère place. CPNT disparaît (23 voix en 2002). NPA [5] et LO qui obtenaient ensemble 30voix et 16% passent à 2 voix. Compte-tenu du renouvellement de l’électorat en dix ans, on ne peut exclure que le FDG ait obtenu des voix au sein des 42 exprimées supplémentaires. Salérans 20 suffrages exprimés de plus, considérable dans ce petit village de 85 inscrits. En 2002, forte abstention et 24 électeurs sur 50 avaient donné leur voix au FN (48%). En 2012, le FN tombe à 16 voix et baisse de 25%. Ces voix sont vraisemblablement allées sur Sarkozy. On ne peut exclure un vote FDG. Le potentiel - c’est-à-dire le nombre de voix 2002 susceptibles d’aller sur le FDG en 2012 - était de 10 voix (somme de PCF + LO-NPA + CPNT + Chevènement). Mélenchon obtient 19 voix, double donc ce potentiel. Saint-Auban-d’Oze 12 exprimés supplémentaires. Village très à gauche qui avait placé dans son tiercé de 2002, LO, le PS et le NPA ! CPNT n’avait obtenu qu’une voix et le PCF, trois. En 2012, avec 15 voix et 25,4% des suffrages exprimés, le FDG vire en tête. LO perd 3 voix, le NPA en perd 3 sur 6. Éva Joly n’obtient aucune voix là où Corinne Lepage et Noël Mamère en avait obtenu cinq. Ventavon Avec 86 voix supplémentaires, tous les grands partis gagnent des voix. Ce village avait placé « les chasseurs » en tête, en 2002. NPA et LO avaient obtenu ensemble 26 voix, le PCF 24 et presque 9% -beaucoup plus que son score départemental et national-. On a donc ici un village de « gauche ». D’ailleurs, le PS passe de 10,5 à 21,3% : bonjour, le vote utile. En 2012, les voix d’extrême-gauche passent de 26 à 6, les chasseurs disparaissent -électoralement parlant, bien sûr ! - Moydans Petit village qui perd des habitants. Mais l’abstention passe de 25% à 7,7 ! Il y a donc 4 suffrages exprimés supplémentaires… le "potentiel" FDG se montait à 18 voix (CPNT + PCF + LO), il n’en obtient que 13 mais se place en tête. LO fait zéro voix. Il est probable que tous les chasseurs n’ont pas voté FDG. Mais, la perte de 8 électeurs inscrits donne à penser que la mort à fait son œuvre. Abriès Perte d’habitants. Mais 35 exprimés supplémentaires. Le FDG est nettement en tête avec presque le tiers des suffrages alors que le PCF était en 12ème position en 2002. Commune marquée par le protestantisme. F. Bayrou ainsi que le FN perdent des voix par rapport à 2002. LO e NPA obtinrent 34 voix en 2002 et plus que 13 en 2012. Mélenchon a remis la plupart des chasseurs dans le droit chemin (humour) avec son discours vigoureux pour une autre Europe, pour l’égalité d’accès des Français aux services publics y compris ceux des cantons montagnards. Ristolas Petit village du Queyras, le long de la frontière italienne, qui perd quelques habitants malgré son dynamisme. L’abstention passe de 30% à 19 soit 11 voix exprimées de plus. Le FDG obtient exactement le tiers des inscrits. En 2002, Jospin avait obtenu 1 voix : condamnation vigoureuse d’une politique qui délaisse les campagnes. Bayrou passe de 4 à 11 voix et l’on retrouve l’analyse de l’IFOP sur le goût des protestants pour le centrisme. Outre les voix CPNT, celles de LO et NPA, on peut penser que les 4 voix du Mouvement des citoyens (MDC) de Chevènement se sont portées sur Mélenchon. Puy-Sanières 43 électeurs inscrits supplémentaires et 50 voix exprimées de plus. Tous les grands partis gagnent des voix. Le FN perd sa 1ère place au profit du FDG. 6 voix aux chasseurs, 17 à l’extrême-gauche, 6 au PCF en 2002, avec ses 40 voix et 24,2% en 2012, le FDG retrouve largement ses petits ! de nouveaux venus se sont joints aux anciens. Etoile-Saint-Cyr Très petit village. Pour l’essentiel, le FDG récupère la plupart des voix qui s’étaient portées sur les chasseurs et le NPA de Besancenot en 2002.
En conclusion, le FDG a récupéré - outre les fidèles du PCF - toutes les voix ou presque des "chasseurs", la plupart des voix LO et NPA, et parfois des voix chevènementistes et même écologistes. Avec plus de 14% des exprimés, J.-L. Mélenchon fait trois points de plus que son score national. C’est d’autant plus méritoire que, naguère, le score PCF des Hautes-Alpes était dans la moyenne sans plus. Cela confirme que l’influence du FdG va au-delà de l’influence communiste traditionnelle. Il reste à travailler pour atteindre les 21% de 1973…
[1] Pour ces informations, je m’appuie sur la note « Éléments d’analyse sur la sociologie, la géographie et le positionnement politique des protestants en France », IFOP, publié en 2009. Note élaborée à la demande de REFORME, publication de la Fédération protestante de France et dont je me suis déjà servi pour mes articles sur l’Alsace et la Moselle. Note disponible en ligne. [2] Alsace-Lorraine-Franche-Comté. [3] Julian MISCHI «Les militants ouvriers de la chasse», Politix 3/2008 (n° 83), p. 105-131. URL : www.cairn.info/revue-politix-2008-3-page-105.htm. [4] François Patriat fut chargé, en juillet 1999, d'une mission sur la chasse, auprès du ministre de l'environnement et de l'aménagement du territoire (Dominique Voynet, ennemie jurée des chasseurs, JPR) [5] En 2002, Besancenot se présentait sous l’étiquette LCR. Pour des raisons de commodité, je parle du NPA en 2002, le lecteur rectifiera de lui-même.
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