26/05/2010 L'Ardèche est bien connue pour être un département où le comportement électoral s’explique avant tout par une variable majeure : la religion. Est-ce toujours valable ? Est-ce que l’éruption/irruption du F.N. a changé la donne ? Contrairement à son image, le département de l’Ardèche (le Vivarais d’autrefois) est industrialisé : la population active ouvrière (INSEE) est de 29,8% pour 25,6% en France métropolitaine. Il y a beaucoup d’ouvriers en milieu rural c’est sans doute ce qui donne cette fausse impression. Autre aspect essentiel : si l’Ardèche appartient à la région Rhône-Alpes, sa partie la plus méridionale, au sud du plateau des Coirons, a une sensibilité provenço-languedocienne. Je vais évoquer les Régionales 2010 mais un retour sur 1984 et 2004 est nécessaire.
Tableau 1 FN 1984 (européennes) et FN 2004 (régionales, 1er tour) dans quelques communes d'Ardèche
Source : établi à partir des statistiques du ministère de l'Intérieur et A.D. Ardèche. TGA = total gauche + extrême-gauche. XDR = FN + MNR. % Ouvr. = pourcentage d'ouvriers dans la pop. active (INSEE, 1999). 1. Sur le tableau n°1Les Communes ont été choisies - la plupart- pour leur petite taille, à l’écart de la vallée du Rhône et donc moins sensibles aux changements. Mais j’ai choisi également des communes riveraines du fleuve parce qu’elles relèvent d’un autre « comportement politique » comme dit A. Siegfried, c’est le cas du Teil et de La Voulte. Ce comportement politique est conditionné par une moindre influence de l’Eglise catholique et une sensibilité aux agitations de l’extrême-droite : dans les années Trente, le P.P.F. de Doriot y était très influent. Les deux autres comportements fondamentaux sont d’une part le vote catholique fortement teinté de traditionalisme (l’Ardèche du nord fut le fief de Xavier Vallat, commissaire aux questions juives sous Vichy) et d’autre part, le vote protestant, ces derniers étant qualifiés de « rouges » par les catholiques et sont des républicains déterminés. L’échantillon des communes du tableau est classé en fonction du vote pour l’extrême-droite lors des élections régionales de 2004. C’est presque un classement du nord au sud du département et les communes du bas de tableau sont protestantes (ou possèdent une forte minorité ‘réformée’). Elles sont sur-lignées en bleu. 1. Le vote Le Pen en 1984Les élections européennes de 1984 ont marqué l’irruption du FN dans l’espace politique national avec presque 11% des suffrages exprimées. L’Ardèche ne lui donne que 8,3%. A cette date, la droite traditionnelle tient encore bien ses troupes en main. A Pailharès, fief historique de feu X. Vallat, la droite fait 63,5%. Ses scores dépassant 70% sont légion. Le Pen n’a pas percé. Il a encore moins bien réussi dans les communes protestantes où il n’obtient parfois aucune voix. Seul Privas se distingue. Globalement, les communes protestantes votent nettement à gauche. La colonne qui indique le pourcentage d’ouvriers dans la population active montre que nous avons un vote de droite des ouvriers. On serait tenté de dire que plus le pourcentage d’ouvriers est important plus le vote à droite est élevé. Ce vote de droite va se transformer en vote d’extrême-droite. Pour résumer, en 1984, le FN obtient des scores pouvant aller de 10 à 14,1% (c’est-à-dire égaux ou supérieurs à son score national) dans trois types de régions d’Ardèche : - la « montagne ». C’est celle de Siegfried et non pas celle de J. Ferrat ! La montagne d’A. Siegfried est représentée par les cantons qui tiennent la ligne de crêtes, la ligne de partage des eaux entre le versant rhodanien et le versant ligérien[1]. Ainsi sont le canton de Coucouron et des communes haut-perchées du canton d’Annonay-sud. - un axe L’Argentière - Privas. L’INSEE classa ces cantons dans la catégorie « pôles d’emplois avec habitat collectif » caractérisés par un habitat collectif important et un chômage important, MAIS on y compte également le canton de Vals-les-bains -station touristique- qui a les caractéristiques sociologiques d’une « couronne résidentielle » (peu d’habitat collectif, peu de population étrangère) et celui de Privas qui a le type de « banlieue de cadres »[2]. - deux cantons méridionaux de la vallée du Rhône : Bourg-St-Andéol et Viviers. Classés par l’INSEE d’abord en « pôles d’emplois avec habitat collectif » puis en « cantons ouvriers », MAIS il y a là deux petites villes de 8.000 habitants : Le Teil et Bourg-St-Andéol. Cette dernière ville avec 14,1% bat tous les records et annonce un comportement politique nouveau. J’y reviendrai mais je précise tout de suite que dans le canton de St-Andéol, la catégorie INSEE « ouvriers » est sous représentée (25% au lieu de 29 en Ardèche) alors que la « bourgeoise patronale » est supérieure de 3% à la moyenne départementale. 2. Vingt ans après…Le vote FN (en réalité FN plus MNR) a bondi de 8,3 à 18,4%, ce score demeure inférieur à celui de l’ensemble Rhône-Alpes. La droite classique a perdu 16% soit le tiers de son influence. Ces 16% se répartissent en 10 points supplémentaires pour le FN et 6% pour la gauche qui progresse. Les ouvriers qui votaient à droite votent pour l’extrême-droite (ou partiellement pour la gauche). On retrouve le phénomène mosellan que j’ai présenté dans un autre article. Ce ne sont pas des ouvriers communistes qui ont abondé le vote FN. Il faut le répéter une fois de plus. Les communes protestantes votent de deux à trois fois moins pour l’extrême-droite que les communes catholiques de la « montagne » même si le FN y progresse aussi. Dans la vallée, au Teil et à La Voulte, le FN dame le pion à la droite. C’est un autre « comportement politique » : le type méditerranéen. Le vote aux Régionales 2010 le confirme avec netteté. 3. L’influence méditerranéenneLe type méditerranéen peut être défini de la manière suivante : une gauche qui « tient le coup » même si elle ne retrouve pas ses audiences de naguère ; une droite qui se tasse et qui est talonnée voire dépassée par le Front National. Ainsi pour la région P.A.C.A. la distribution des suffrages exprimés au second tour s’effectue de la manière suivante : FN = 26,5% ; Droite = 30,5% ; Gauche = 42,9%. L’Ardèche appartient pour partie au monde méditerranéen des géographes. La description qu’en fait A. Siegfried reste parfaitement valable. C’est encore plus vrai au plan historique. Les paroisses protestantes du sud du département (canton de Vallon-Pont d’Arc) appartiennent au foyer protestant languedocien. Jusqu’en 1789, le Vivarais relevait de la généralité-intendance du Languedoc et du gouvernement (circonscription militaire) de Montpellier. Comme en pays méditerranéens, il y a une forte tradition républicaine : Bourg-St-Andéol fut un des principaux foyers révolutionnaires en 1789 avec une société populaire particulièrement dynamique. Mais l’Ardèche avait aussi, comme en Provence, ses « pénitents » que l’ont vit resurgir après Thermidor. Bref, le midi n’est pas que « bleu » -couleur républicaine- et « rouge » couleur révolutionnaire, il est aussi « blanc » et à Bourg St-Andéol, au Teil jusqu’à La Voulte même, la sensibilité est provenço-languedocienne. Or, il y a dans ces régions, un courant provincialiste, « fédéraliste », que le FN n’est pas seul à propager. Le FN ne parle pas dans ses circulaires électorales consacrées aux Régionales de « régions » mais de « nos provinces », c’est très bonaldien. Georges Frèche avec sa « Septimanie » renvoie à un passé plus lointain, et Bompard, avec sa Ligue du Sud joue sur la même corde. …
Tableau 2 Le tempérament politique méditerranéen en Ardèche
L’apogée du FN se situe en 2004. Sauf à La Voulte la gauche perdit même des points. En 2010, il ne retrouve pas ce niveau mais fait bien mieux qu’en 1984. La Gauche consolide ses positions et progresse fortement lors de ces dernières Régionales mais n’est pas majoritaire absolue à Bourg St-Andéol (49,1%). La droite classique connaît une déperdition de voix tout à fait considérable (la moitié de son influence à La Voulte entre 1984 et 2010). 4. 1984 : un vote de classe (mais pas celle qu’on croit)Contrairement à ce qu’on pourrait croire (à ce que l’on nous a fait croire), le vote FN de 1984 - si important parce qu’il a déclenché le phénomène ultérieur - n’est pas dû aux ouvriers mais à la bourgeoisie patronale (vocable qui recouvre les catégories INSEE de chefs d’exploitation agricoles, artisans, commençants, chefs d’entreprises, cadres et professions intellectuelles supérieures). Au nord de l’Ardèche, Annonay est une ville moyenne (18.000 hab.) qui a connu une industrialisation importante et non importée mais issue des initiatives locales. Le salariat modeste est sur-représenté mais on observe toutefois dans le tissu urbain un « zonage » sociologique, les quartiers sont distincts : il y a un centre-ville qui concentre les commerçants et services, des quartiers « bourgeois » et des quartiers très ouvriers. En 1984, Annonay possède une grosse usine de Renault V.I. (2.000 salariés) qui a eu recours à l'immigration étrangère. L'habitat traduit cette réalité avec des quartiers où cette population ouvrière est concentrée et l’habitat collectif type H.L.M. dominant (bureaux de Font-Chevalier et Ripaille). Tableau 3 FN et PC à Annonay en 1984
Base 100 : score obtenu par les partis sur l’ensemble de la ville. Dans le tableau 3, j’ai disposé les huit bureaux de vote - des Cordeliers à Ripaille - en fonction décroissante du vote pour la droite classique. Pour chaque bureau de vote, j’ai calculé l’indice obtenu par le FN et le PCF par rapport à leur résultat respectif sur l’ensemble de la ville. Exemple : aux Cordeliers, le PCF a un indice de 51 pour une base 100 sur Annonay ; cela signifie que son influence dans ce quartier est de moitié inférieure à celle qu’il a sur tout Annonay. A Ripaille, son indice est de 132, etc… Le bureau Cordeliers partage avec celui du Centre les électorats de l'hypercentre annonéen : commerçants, professions indépendantes. Le bureau Cordeliers de mémoire annonéenne n'a jamais voté à gauche. La Croisette correspond au quartier de l'hôpital, avec maisons individuelles et intégrait, en 1984, un hameau paysan. Prématré est un bureau de la vieille ville avec bâtiments anciens non ou mal entretenus. On
observe la concrétisation
locale d'un phénomène général à l'échelle du pays. Ce sont les
bureaux les
plus à droite qui donnent le meilleur score au Front National. Le
P.C.F.
obtient ses scores les plus faibles dans les quartiers que je
qualifierais de
"bourgeois" faute de mieux. Contrairement à ce qui a été souvent
écrit et dit, le F.N. fait ses scores les plus faibles dans les
quartiers
ouvriers comme à Ripaille où la gauche résiste fort bien y
compris le
P.C.F.. La comparaison des pourcentages obtenus par le F.N. et le P.C.F.
est
intéressante : globalement, l'un est faible là où l'autre est fort :
le
graphique Excel - que le blog n’accepte pas ! -montrerait des courbes
en « ciseaux ». A cet égard, Croisette
et Ripaille sont à l'exact opposé
l'un de l'autre. la mise en graphique du
tableau 3 est visible dans l'article Le
FN et les ouvriers communistes : l'argument massue (cas d'ANNONAY et de
VILLEFRANCHE-sur-SAONE) Conclusion : en 1984, lors de l'entrée fracassante du F.N. dans la vie politique nationale, ce parti n'a pas "mordu" sur les couches populaires, beaucoup moins que sur les couches et catégories aisées qui lui donnent ses meilleurs scores. Le thème de l'immigration n'a pas perturbé l'électorat des quartiers populaires. Il n'y a pas, en 1984, de vote ouvrier en faveur du F.N., ce sont les quartiers huppés, sans immigrés mais sensibles aux thèmes ultra-libéraux de J.-M. Le Pen, qui se sont le plus mobilisés pour ce parti (NB. : cet aspect est général en France, j’aurais l’occasion d’y revenir[3]). C’est sans doute la part relativement faible de « bourgeoisie patronale » dans l’ensemble de sa population active et son vote protestant hostile qui explique la faible percée du FN en 1984 en Ardèche. * * *
Biblio : André SIEGFRIED, Géographie électorale de l’Ardèche sous la III° république, Cahiers de la F.N.S.P., A. Colin, Paris, 1949, 140 pages. Alain SABATIER, Religion et politique au XIX° siècle, le canton de Vernoux-en-Vivarais, publié à Vernoux chez Sabatier, 1975, 280 pages. L DUCROS et G. RUFIN, comité d'histoire de la seconde guerre mondiale, "Les Eglises et les chrétiens en Ardèche durant la seconde guerre mondiale", colloque de Grenoble, 1976, P.U.L., pp. 269-282. INSEE - RHONE-ALPES, la lettre n°30, novembre 2004, 4 pages, « Six grandes familles de cantons en Rhône-Alpes ». VOTRE SERVITEUR, cet article renvoie aux chapitres XVI (La Cagoule, le retour…) et surtout XXI (le coup de pouce du patronat).
Source : établi à partir des statistiques du ministère de l'Intérieur et A.D. Ardèche. TGA = total gauche + extrême-gauche. XDR = FN + MNR. % Ouvr. = pourcentage d'ouvriers dans la pop. active (INSEE, 1999).
N.B. en 2007, les voix de F. Bayrou n’ont pas été prises en compte (le total des trois colonnes est donc inférieur à 100). En 2010, en revanche, les voix MODEM se sont reparties sur les trois listes au second tour, le total est donc égal à 100%. [1] Alors que celle de Jean Ferrat est plutôt la « pente » définie par Siegfried, c’est-à-dire le plateau qui descend en pente douce de la crête à la vallée du Rhône (exclue). N.B. : dans la « montagne » définie par Siegfried, il faut bien noter l’exception du canton de St-Agrève qui est protestant et, donc, vote à gauche. [2] Ces informations sont tirées de « La lettre INSEE Rhône-Alpes », n°30 de novembre 2004. [3] Voir
le chapitre XXI qui aborde ce
thème, fondamental pour comprendre notre histoire récente. |