La Moselle fait parler d’elle à cause de ce gauchiste passé
de la CGT au FN. Il ne faut pas écarter l’hypothèse de l’entrisme du FN. Ce parti d’extrême-droite, dont j’ai montré la
filiation avec l’idéologie maurrassienne, est prêt à utiliser "tous les moyens"[1]
pour arriver à ses fins. Le FN est parfaitement capable de faire entrer ses hommes à la CGT pour en
détourner le cours.
Mais l’importance du vote FN en Moselle est telle que l’on
trouve cette engeance un peu partout.
La variable religieuse
Encore une fois, je rappelle que le vote en faveur des
partis "marxistes" a toujours été historiquement faible à l’exception
notable de la Moselle sidérurgique au peuplement exogène. Le vote protestant a,
en revanche, toujours été très important avec, en contrepartie, la riposte
catholique et cela donnait des élections dominées par des duels
centristes-gaullistes.
Sous l’occupation allemande, le parti social-démocrate
obtenant d’assez bons scores soit dans la Moselle sidérurgique, soit dans celle
du bassin houiller. Mais le SPD s’il avait une tendance marxiste, était très
marqué par le réformisme et même par la religion. Je rappelle que le leader
Hébert[2]
déclarait « haïr la révolution comme le péché »
(sic).
En effet, le protestantisme
germanique est un Janus aux deux visages. Il peut aussi bien alimenter le vote
pour les partis autoritaires (soumission luthérienne au Prince) qu’abonder les
suffrages sociaux-démocrates (dès le départ de la Réforme, la sécularisation
des biens du clergé catholique a servi à financer les écoles et les hôpitaux,
construisant le berceau du futur Etat-Providence cher au cœur de ce courant
politique).
Aujourd’hui,
dans le Grand-Est, les protestants présentent un profil nettement plus
populaire que dans les grandes agglomérations françaises. Selon une étude IFOP,[3]
le protestant du Grand-Est est un homme, âgé de 35 à 49 ans, ouvrier (23%, alors
qu’à l’échelle nationale les protestants sont ouvriers à hauteur de 12%
seulement), luthérien, et votant à droite. En affinant l’analyse du
comportement électoral, on observe que les protestants du Grand Est « se distinguent du reste du pays par un tropisme plus
prononcé pour les Verts (13,7% contre 12,5% pour l’ensemble des
protestants français) mais surtout pour
l’extrême-droite qui y compte deux fois plus de sympathisants (16,6%) qu’à
l’échelle nationale (7,8%) »[4].
Je rappelle également que "tradition protestante"
n’est pas synonyme absolument de pratique religieuse. André Siegfried,
fondateur des sciences politiques, bousculait un peu les concepts et n’hésitait
pas à distinguer « à côté du
protestant d’Eglise, le protestant électoral dont le vote est commandé par une
tradition qui vient du fond des siècles ». Il traitait même : du
« protestant croyant ou non croyant (sic)»[5].
Il reste de cela, « même chez ceux
qui ont abandonné toute croyance religieuse, une culture religieuse résiduelle,
transmissible, inconsciente et quasi ineffaçable »[6].
La variable
socio-professionnelle
Rappelons l’originalité sociologique de la Moselle : ce
département est très largement dominé par la catégorie INSEE du salariat
modeste (SM), c’est-à-dire ouvriers et employés.
|
BP
|
PI
|
SM
|
Moselle
|
14,2
|
21,5
|
64,3
|
France
|
22,5
|
23
|
54,5
|
64,3% de SM en Moselle au lieu de
54,5% pour la France -recensement de 1999-[7].
La catégorie que j’appelle Bourgeoisie patronale (BP) est en revanche
sous-représentée. Il s’agit des chefs d’exploitation agricole (ouvriers agricoles
exclus), des artisans et commerçants, chefs d’entreprise (ACCE), et enfin des
cadres et professions intellectuelles supérieures (CPIS). Ainsi les CPIS
représentent 13,1% de la population active en France mais 9,4% en Moselle. Les
ACCE sont 6,6% en France mais 4,76% en Moselle. Cette faiblesse numérique des
élites a des raisons historiques. En 1871, le département rattaché à
l’Allemagne a perdu une partie de sa bourgeoisie qui, plus que les agriculteurs
ou les ouvriers, a des relations ou de la famille à Paris ou ailleurs, qui a un
patrimoine financier capable d’être recyclé en France, etc…En 1918, c’est une
élite germanophone qui a préféré demeurer allemande et s’est repliée
outre-Rhin. En 1940, nouvelle hémorragie vers la France de l’intérieure.
Autrement dit les professions
caractéristiques des fonctions de commandement métropolitain se trouvent en
partie à Metz mais aussi à Nancy, Strasbourg voire Sarrebruck et même Paris.
Paradoxalement, cette faiblesse de la BP est défavorable au Parti socialiste[8].
Tâchons de voir l’origine des voix FN en Moselle.
|
1958
|
1973
|
Mosel.
81
|
Mos.
02
|
Evol.
|
Fran.
81
|
Fra.
02
|
Evol.
|
ANBl*.
|
26,6
|
21,2
|
20,1
|
33,50
|
+13,4%
|
20,2
|
30,8
|
+10,6%
|
Gauche
|
12,4
|
26,3
|
37,3
|
26,50
|
-10,8%
|
40,4
|
29,7
|
-10,7%
|
Droite
|
61,0
|
52,5
|
42,6
|
21,95
|
-20,7%
|
39,3
|
26,2
|
-13,1%
|
EXD.
|
|
|
|
17,98
|
+17,98%
|
|
13,3
|
+13,3%
|
Total
|
100
|
100
|
100
|
100,00
|
0
|
100
|
100
|
0
|
·
* abstentions,
votes nuls et blancs.
·
Sources :
établi à partir des statistiques du ministère de l’intérieur et du
"Monde" pour 1981 et 1958.
·
Tous calculs
effectués par rapport aux inscrits.
Les élections de 1958 sont marquées par un raz-de-marée de
la droite dont toutes les tendances se prononcent plus ou moins en faveur du
général de Gaulle. Relativement à ces élections, il est clair que les électeurs
du FN sont tous sortis du sein de la droite mosellane. Je précise que depuis
1919, premières élections générales à laquelle participe la Moselle redevenue
française, ce département a toujours voté à droite (cf. F. Goguel). Et
massivement (83% des suffrages exprimés en 1958). Elle est encore majoritaire
absolue (inscrits) en 1973, où le nouveau parti socialiste d’Epinay n’a pas
encore donné toute sa mesure, sa capacité de catch-all party (parti attrape-tout, expression anglo-saxonne).
Les élections de 1981 représentent, en revanche, une crête
pour la Gauche. La poussée du FN de 1984 étant pour grande partie une réaction
à la victoire de la gauche, il est judicieux de comparer 2002 à 1981.
En 2002, par rapport à la présidentielle 1981 où le FN
n’existait pas, la droite mosellane a perdu la moitié de ses
voix. Elle a bien davantage reculée que dans le reste du pays.
Le FN fait presque jeu égal avec elle. En 1981, la droite de Moselle était un
fief avec un indice 108 pour 100 = France entière. En 2002, c’est un point de
faiblesse avec un indice 84 (toujours pour 100 = France).
Bien sûr, une partie des voix de la Droite a pu abonder les
ANBl. Ces abstentions et votes nuls ou blancs sont bien plus importants en
Moselle qu’en France = c’est le résultat de la composante "salariat
modeste" de l’électorat. L’absentéisme ouvrier. Mais cette abstention
ouvrière frappe surtout la Gauche et le PCF en particulier. Tous les
observateurs ont noté que les pourcentages FN sont toujours plus élevés en cas
de forte abstention et la présidentielle 2002 l’a confirmé avec trop d’éclat.
La Gauche mosellane a perdu mais relativement moins que la Droite. Pour la
gauche de France, la Moselle était déjà un point faible en 1981 avec un indice
de 92. Ce n’est pas mieux en 2002 avec un indice de 89.
Mais là où la Droite perd 24 points d’indice, la gauche n’en
perd que 3.
Pour le FN, la Moselle est devenue un fief avec un
différentiel positif de 4,7% par rapport à la France.
Au total, ce département ouvrier de droite, qui ne donnait
que 32% à la Gauche en 1973 (exprimés), a été et est un terreau pour le FN. La
faute en revient à la droite, religieuse et autoritaire qui recueille ce
qu’elle a semé. Ce n’est pas un individu qui s’est fourvoyé (ou
infiltré ?) dans la CGT qui peut masquer cette réalité.
[1] C. Maurras ajoutait "même légaux"…
[2] Futur président du parti
et de la République de Weimar.
[3] Etude IFOP pour la revue
Réforme, « Eléments d’analyse sur la sociologie et le positionnement
politique des protestants en France », octobre 2009. Disponible sur le
net. Grand-Est = Alsace-Lorraine-Franche Comté.
[4] Citations extraites du
document IFOP.
[5] Cité par GREILSAMMER, Sociologie
électorale du protestantisme français, revue Archives des sciences sociales
des religions, numéro 49, Janvier-Mars 1980, pp. 119-145.
[7] Choisi parce que c’est le
plus proche de la présidentielle 2002. En 1981, quoique la casse industrielle
avait déjà commencé sous VGE-R. Barre, cad depuis 1974, le taux
d’industrialisation était encore plus élevé.
[8] En contre exemple, on peut
en effet, donner le cas de Strasbourg, ville "protestante", où un
canton habité majoritairement par des CPIS a un conseiller général socialiste.