Loire-Atlantique : les élections au scrutin d’arrondissement sous la V° république (1958-1986)

publié le 22 avr. 2015, 09:30 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 2 janv. 2021, 02:29 ]

    

    Jusqu’en 1958, les élections se déroulent à la proportionnelle dans le cadre départemental. En 1958, De Gaulle impose le scrutin d’arrondissement, profondément injuste, qu’il avait condamné naguère mais qui l’arrange une fois qu’il est aux commandes de l’ Etat. La Loire-Inférieure est découpée en  huit circonscriptions [1] dont j’ai reconstitué la carte. Elles ne varieront pas jusqu’en 1986.

    Lire au préalable : La Loire - Inférieure de 1913 à 1946


    Le mieux est, avec un œil sur la carte de l’article précédent, de présenter les circonscriptions une à une. On peut toutefois les regrouper 4 à 4 en distinguant les circonscriptions très à droite des circonscriptions plus mécréantes : les 3 de Nantes et celle de St.-Nazaire, d’une part, les 4 circonscriptions, rurales et périphériques, d’autre part.Se souvenir de ce qu'écrit A. Siegfried sur ces "pays" du département.

LES CIRCONSCRIPTIONS PÉRIPHÉRIQUES

    Elles portent - dans le sens des aiguilles - les numéros 5, 4, 8 et 7.

La 5°: Châteaubriant

    Le rapport Cléricaux-Laïques est de 55,5/44,5 en 1946. C’est donc une circonscription a priori favorable à la droite. Le 30 novembre 58, Bernard Lambert, MRP, est élu d’extrême justesse, en devançant son principal concurrent, le député sortant et ancien ministre, cacique du parti radical, André Morice, de 400 voix. En 1962, il vote la censure et il est battu aux élections qui suivent immédiatement par le maire de Châteaubriant, huissier de justice, candidat gaulliste de stricte obédience, Xavier Hunault. Bernard Lambert s’engagera ultérieurement dans le syndicalisme paysan, effectuant une démarche politique vers la gauche, adhérant au PSU de Michel Rocard [2]. Il illustre à merveille ce passage de nombreux catholiques vers le socialisme modéré de la deuxième gauche (c’est-à-dire sans influence marxiste et anti-communiste). Quant à Xavier Hunault, il est réélu sans difficulté apparente dès le 1er tour de scrutin en 1973 (66,1% des votes exprimés, 54,4% des inscrits) comme en 1978 (54,4% des exprimés) où il doit cependant faire face à un concurrent UDF-radical. Il résistera à la vague rose de 1981 et sera député jusqu’en 1986 où la proportionnelle est rétablie, l’espace de deux ans. La candidature radicale de 1978 comme celle d’André Morice, bien avant, s’expliquent par la présence de cantons au vote laïque : Châteaubriant, Derval, Guémené. Mais rien n’est automatique. Le PCF obtient un bien maigre 8% (1973 comme 1978) soit 6,7% des inscrits.

La 4°: Ancenis-Clisson (Bocage angevin sur la carte)

    En 1958 est élu le candidat ex-PRL, alors C.N.I.P., le marquis Olivier de Sesmaisons époux de Yolaine Dufresne de La Chauvinière, dont il aura huit enfants. Est-il besoin de préciser qu’il est catholique ? Propriétaire terrien et exploitant agricole à La Chapelle-sur-Erdre, près de Nantes, où il réside au château de La Desnerie, et à Touvois dans le sud du département, le marquis a d’abord été monarchiste, puis les nécessités le font aller vers une conception de la république qu’Adolphe Thiers avait appelée conservatrice. En 1962, il ne vote pas la censure. Réélu, il reste au groupe des Indépendants & paysans jusqu’à sa mort en 1967. Il est remplacé par Joseph-Henri Maujoüan du Gasset, propriétaire de vignobles, qui sera député de Loire-Atlantique de 1967 à 1993.

    Dans cette circonscription très conservatrice (quasiment les trois-quarts des votes catholiques en 1946), la droite peut se permettre d’aller à la bataille divisée. C’est d’abord, une lutte entre cet Indépendant & paysan contre un Centre démocrate (ex-MRP) en 67 et 68 et 1973 puis une lutte entre cet indépendant et un RPR (gaulliste chiraquien) en 1978. Si bien que Joseph-Henri n’est élu à chaque fois qu’au second tour (64% des exprimés en 1978). Il résiste à la vague rose de 1981, élu dès le 1er tour - cette fois la droite est unie ! - avec 54% des suffrages exprimés. Bonne circonscription.

La 8° : Pornic (Pays de Retz sur la carte)

    Là aussi, la carte n°1 laisse penser que la circonscription est très conservatrice. Le rapport vote confessionnel vs vote laïque est de l’ordre de 75 à 25… En 1958, les habitants de cette circonscription dont les ancêtres massacrèrent des prêtres constitutionnels à Machecoul, élurent Jean Allard de Grandmaison, épigone d’une famille anoblie en 1773. Marié à Bernadette Guillet de la Brosse, liée à la famille Say, Jean est propriétaire de 500 hectares environ, répartis en une quinzaine de fermes exploitées en métayage. Les métayers votent pour not’maître… Il prend la succession politique de son oncle Augustin Dutertre de La Coudre qui avait voté les pleins pouvoirs à Pétain et était inéligible en 1945. Le 23 novembre 1958, Jean de Grandmaison est élu dès le premier tour avec 24 497 voix, soit 51,35% des suffrages exprimés. Il est investi, comme il se doit, par le Centre national des Indépendants et Paysans. En 1962, il vote la censure et est, par conséquent, confronté à un candidat gaulliste pour lequel se désiste le candidat MRP. Le parti gaulliste garde le siège jusqu’en 1986.

La 7° : la Baule - Pontchâteau

    C’est le maire et conseiller général de La Baule, René Dubois, qui est élu député (PRL) en 1946. C’est un résistant incontesté, patron d’une clinique de chirurgie. En 1948, il opte pour le Conseil de la République (sénat), il se présente sur une liste commune Indépendants et Gaullistes qui, avec 908 voix sur 1 324 suffrages exprimés, obtient 4 sièges sur 4. Ces chiffes montrent l’ampleur de l’implantation de la droite conservatrice dans les communes du département. En 1946, cette circonscription offrait un rapport de 69/31 en faveur des votes confessionnels. De fait, elle n’échappera pas à la droite devenant le fief d’Olivier Guichard, un "baron" du gaullisme qui était d’ailleurs baron. O. Guichard est réélu dès le premier tour en 1973 comme en 1978. O. Guichard passe sans coup férir l’épreuve de 1981. Autre bonne circonscription.

 

LES CIRCONSCRIPTIONS URBAINES

    Elles concernent la ville de Nantes (les trois premières circonscriptions) et le canton de St.-Nazaire auquel on a ajouté ceux de St.-Étienne-de-Montluc et de Savenay (6ème). On a vu que la ville de Nantes est un foyer de mécréance mais le catholicisme y reste fort implanté (rapport 58/42). Nantes est un foyer du protestantisme ce qui est, sous la III° république, un élément de renfort au parti républicain. Mais il est difficile de dire dans quelle mesure. La liste des maires de Nantes (article Wiki) est très instructive. On y a lit le combat permanent entre le traditionalisme et la révolution. Le premier maire socialiste -SFIO- est élu aux municipales de 1935 dans l’euphorie du Front populaire qui est dans sa phase ascendante. On apprend aussi que le maire nommé par le régime de Vichy en 1942 a été réélu par les Nantais, aux élections municipales générales de 1947, avec l’étiquette, devinez ? des Indépendants & Paysans ! Tout n’était donc pas joué. A St.-Nazaire, la municipalité est socialiste depuis l’entre-deux-guerres également.

La 1ère : Nantes (1-2-3 c.)

    Le pourcentage de votes confessionnels (élections législatives de 1946) tombe à 45%. En 1958, les électeurs choisissent Henri Rey, ancien du RPF, nouvellement UNR, directeur de société. Son suppléant le remplace après son décès et est réélu aux élections générales de 1973, il s’agit d’Alexandre Bolo. En 1962, le duo Rey-Bolo a été réélu avec 60,5% des exprimés au second tour. Bolo est de la bourgeoise nantaise ce qui, si l’on en croit André Siegfried, le distingue de la noblesse du quartier des cours St. Pierre et St. André. C’est l’opposition du négoce et de la terre (qui ne ment pas, ne l’oublions pas). A. Bolo fut une Croix de feu du colonel de la Roque, "croix" est le mot qui convient car c’est un catholique fervent, à la mentalité de croisé qui se montrera farouchement hostile à la loi Veil relative à l’avortement, loi qu’il qualifie de "violation de la loi naturelle". Mais chez ce catholique traditionaliste, la nature est une création de Dieu. Les élections se jouent toujours au second tour car l’opposition entre les droites est forte : le MRP devenu Centre démocrate, le CNIP traditionaliste, patronal et colonialiste et le Gaullisme se battent régulièrement. Le Centre démocrate maintient son candidat, au second tour, contre Bolo. Non sans raisons.

    En 1981, la circonscription passe à gauche. 

La 2ème : Nantes (5-6-7 c.)

    En 1958, première expression du scrutin d’arrondissement depuis la guerre, les Nantais de cette circonscription élisent comme député le maire de Nantes. Quoi de plus banal, direz-vous, le nombre de députés-maires qui cumulent est innombrable. Sauf que là, il s’agit de Henry Orrion, maire de Nantes en 1942, désigné par Vichy et "fervent maréchaliste" nous dit sa notice biographique rédigée par le site de l’Assemblée nationale… "Comment expliquer cet étonnant succès ?" s’interroge la même notice en parlant du succès de la liste Orrion à l’élection municipale régulière de 1947 ? "L’ancien maire vichyste avait soutenu la Résistance en temps utile (sic) - Philippe Ragueneau s’en porta d’ailleurs personnellement garant par écrit et en figurant en deuxième position sur la liste (…)"[3]. 1947 est, il est vrai, l’année d’une forte poussée gaulliste dans toute la France qui inquiète les démocrates de la Troisième force. Il est vrai, aussi, que pour sortir de son isolement, le général De Gaulle a basculé à droite et cherché l’alliance des ex-pétainistes en acceptant la thèse du Bouclier - Pétain a protégé les Français d’une occupation allemande plus brutale, il fut le bouclier et de Gaulle, l’épée -. En 1958 donc, Orrion est investi par le CNIP qui prend le soin de lui donner comme suppléant un authentique résistant condamné à mort par les nazis, l’ UNR présente un candidat contre lui ainsi que tous les autres partis. Il obtient 37,1% des exprimés loin devant le second et est élu au second tour avec quasi 60% des exprimés face aux deux candidats que F. Goguel appelle "marxistes". En bon notable indépendant qui aime asseoir sa domination sur un pouvoir local, Orrion vote la censure de 1962 sur la proposition d’élection du président de la république au suffrage universel. Son choix n’est pas compris des Nantais, il perd la moitié de ses voix, l’ UNR double les siennes. Albert Dassié, chef d’entreprise et conseiller général, emporte le siège pour l’ UNR.

En 1967, le fond laïque de la circonscription parle : un député de gauche est enfin élu à Nantes. Mais cet SFIO ne résiste pas à la vague de "la trouille" de juin 68 : Dassié retrouve son siège. Qu’il perd définitivement en 1973 au profit de la Gauche unie.

La 3ème : Nantes4 et Rezé

    Ici, le canton de Bouaye a une forte tradition de gauche anticléricale ("forte" est relatif au reste du département…). Un radical est élu conseiller général avant 1914, un socialiste SFIO  est élu en 1937. Mais un Indépendant & Paysans est élu en 1951 : Henri Robichon. La lutte ne cesse jamais. A Vertou, autre canton de la circonscription, on vote davantage pour le candidat du château et de la cure : Charles Le Cour Grandmaison fut conseiller général à la fin du XIX° siècle, son fils François Le Cour Grandmaison, conservateur c’est-à-dire monarchiste comme son père, occupe le siège de 1927 à 1940. Geoffroy du Bouays de Couësbouc, maire d’un petit village viticole, occupe le siège de 1949 à 1973. Nantes4 a élu des radicaux puis un SFIO en 1937 au conseil général. Mais la droite veille. En 1976 est élu un notable Indépendant : Loïc Le Masne de Chermont.

    Concernant les législatives : Henri Robichon est élu député CNIP en 1958. On constate une nouvelle fois, la profondeur de l’implantation de ce courant politique dans le département. Mais qui peut s’en étonner ? On est ci, en Loire-Atlantique, dans un bastion de la sainte armée catholique et royale ! en 1962, le CNIP est évincé par le gaulliste de l’UNR Benoît Macquet, qui garde le siège jusqu’en 1973. En 1978, ce dernier est battu par un candidat socialiste. Victoire qui précède donc celle de 1981 et qui ne doit rien au suivisme politique.

La 6ème : Saint-Nazaire

    Le rapport votes confessionnels/votes laïques est de 40/60 en 1946. Jusqu’en 1958, l’industrialisation de l’axe Nantes-St.-Nazaire n’a fait que croître et, avec elle, même si rien n’est automatique, la déchristianisation ou bien le découplage religion/vote à droite.

    Après l’élection d’un député MRP en 1958, la circonscription élit un député socialiste dès 1962 - élu de la circonscription durant l’entre-deux-guerres - grâce aux accords de désistement PCF/SFIO et grâce à la querelle MRP/UNR ; le siège restera à la gauche même en 1968.

 

 



[1] Voir la composition par canton, à l’article Wikipaedia Liste des circonscriptions législatives de la Loire-Atlantique, Composition des circonscriptions de 1958 à 1986.

[3] http://www.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche.asp?num_dept=5614 Ragueneau était compagnon de la Libération.

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