Warschawski : un juif dévoué à la cause palestinienne

publié le 6 janv. 2015, 08:22 par Jean-Pierre Rissoan
publié le 18 déc. 2012 14:52 par Jean-Pierre Rissoan

Ce citoyen israélien a reçu des mains de Christiane Taubira le prix des droits de l'homme de la République française. Portrait. Le Point.fr - Publié le 16/12/2012 à 18:27

Par Marc LEPLONGEON

"Un sage radical de gauche." C'est ainsi que le décrivent ses amis. Mais Michel Warschawski, c'est d'abord un original. Un homme qui a baigné dans le judaïsme toute son enfance - son père était le grand rabbin de Strasbourg - et qui finira par devenir, il le dit lui-même, "complètement athée". Il reste cependant un traditionnel un peu "vieux jeu", s'amuse son ami Dominique Vidal, ancien journaliste du Monde diplomatique. "Michel ne loupera jamais un shabbat", lâche-t-il en riant. Son apparence traduit son âge : les cheveux gris tirés en arrière, le front dégarni, la peau basanée, une moustache à la Brassens comme seuls les sexagénaires savent la porter. 

Michel Warschawski émigre en Israël peu avant sa majorité, dans les années 60. Aussitôt, il adopte la cause palestinienne, qui sera sienne pour le restant de sa vie. Il se fait très rapidement connaître pour ses positions radicales contre l'occupation israélienne dans les Territoires palestiniens. Il devient un anticolonialiste notoire, un juif renégat, un homme honni du pouvoir. Alors que sa foi disparaît, son engagement politique, lui, ne cesse de croître. Il se rapproche du mouvement trotskiste. Il y rencontrera des intellectuels de gauche comme Edwy Plenel. 

"Nous, on l'appelle tous Mikado. C'était son pseudo, puis c'est devenu son surnom. Michel est un ami que je n'ai jamais perdu de vue", se souvient l'ancien directeur de la rédaction du Monde. "Nous sommes tous les deux issus d'un trotskisme non sectaire, internationaliste, profondément humaniste. C'était ne pas accepter les agissements d'Israël, tout en s'opposant à l'instrumentalisation de la Palestine par les pays arabes", poursuit-il. Aujourd'hui encore, les deux moustachus se voient autant que possible. Le lendemain de la remise du prix des droits de l'homme par la ministre de la Justice Christiane Taubira, lundi, ils déjeuneront ensemble... avec trois ambassadeurs palestiniens. On ne se refait pas.

 

"Nous étions traités comme des parias" (Warschawski)

Jusqu'à la guerre du Liban, Michel Warschawski connaît en Israël une vie de marginal. "Nous étions traités comme des parias", raconte-t-il. "Nous vivions dans un ostracisme le plus total. À cette époque-là, c'était moins une répression policière qu'une répression sociale", se rappelle-t-il. En 1982, après les massacres des camps de Sabra et Chatila, la société civile israélienne se soulève. La population est scandalisée. "Nous qui étions des exclus, on devient presque de bon ton, explique Mikado. On commence à faire de la télé, on est invités à des colloques.

En 1984, il fonde le Centre d'informations alternatives (AIC), une des très rares ONG à avoir la double étiquette israélo-palestinienne. Son rôle ? Faire circuler les informations, dénoncer ce que Michel Warschawski estime être des exactions. "Nous aidions des organisations pro-palestiniennes à publier des tracts. Certaines étaient liées à l'Organisation de libération de la Palestine [ (OLP) à l'époque considérée par Israël comme une organisation terroriste, NDLR]. Nous l'assumions", soutient le militant. "On a tiré sur l'élastique des libertés publiques jusqu'au maximum, peut-être même au-delà", concède-t-il. Ces faits lui valent une réputation d'extrémiste, voire de terroriste, puis un procès. Il est condamné à huit mois de prison pour "prestation de services à organisations illégales".


"Israël, le chien de garde de l'Occident" (Warschawski)

Lorsqu'il se rend à la prison pour y purger sa peine, Michel Warschawski a alors 41 ans. Ses amis organisent un cortège de voitures. Il s'en souvient avec nostalgie : "Les voisines, yéménites ou kurdes pour la plupart, nous avaient même apporté des gâteaux dans la rue. Elles m'ont dit un truc du genre : Ouais, on sait que t'es un communiste, on dit pas mal de choses dans ton dos, mais on t'aime bien quand même". À partir des années 2000, le militant ressent de nouveau un rejet latent de la cause pour laquelle il se bat. "La vérité, c'est qu'au moment des accords d'Oslo en 1991 on a cru qu'on atteignait des sommets. Puis on a dégringolé, on a compris que c'était seulement une parenthèse", soupire-t-il. 

Mikado reprend alors son combat. Il ne mâche pas ses mots, il ne l'a jamais fait. Son discours est radical. Il ne voit "aucune symétrie" dans les rapports Israël-Palestine. Si ses amis lui prêtent une "grande sagesse", Warschawski n'est jamais mesuré dans ses propos. Cela lui cause du tort. Il dépeint les crimes des Israéliens comme des évidences. Les Israéliens le dépeignent comme un agité. "Israël n'aurait jamais trois milliards de dollars par an s'il n'y avait pas la guerre, s'agace-t-il. Je ne sais plus quel général disait qu'Israël était le chien de garde de l'Occident. Mais le rôle d'un chien n'est pas toujours de mordre. Et le problème d'un chien, c'est qu'il n'en fait parfois qu'à sa tête". Ses détracteurs l'accusent alors de dénoncer les exactions israéliennes, mais de cacher celles commises par la Palestine. Michel Warschawski s'en défend ardemment : "C'est complètement faux. J'ai toujours dit que la cause palestinienne était un moyen utile pour les dictatures arabes de détourner l'attention des masses.".

 

"Pas de récompense pour les traîtres" (Dora Marrache)

En France, Michel Warschawski est peu connu. Le seul fait de prononcer son nom fait frissonner une partie de la communauté juive. Lorsque sa nomination au prix des droits de l'homme a été connue, les tribunes ont commencé à pleuvoir. Sur le blog des radios juives francophones, Dora Marrache signe ainsi un billet intitulé "Non, non et non ! Pas de récompense pour les traîtres". La chroniqueuse écrit : "La pire catastrophe qui puisse arriver à Israël serait d'être gouverné par des gauchistes, des traîtres comme vous qui, pour se faire bien voir de la communauté internationale et des Arabes, se plieraient à toutes les exigences des Palestiniens.".

Richard Prasquier, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), écrit lui aussi une lettre ouverte à Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH). Il y dénonce cette nomination. Du côté de la CNCDH, on répond simplement que le prix récompense un projet, celui du Centre d'informations alternatives, et pas un homme. En coulisse, on affirme cependant que Christiane Taubira a fait preuve de "courage politique en remettant ce prix à Warschawski". Une source raconte : "En 2009, on avait remis le prix au réseau des ONG palestiniennes. Ça avait fait un petit scandale. Du coup, Bernard Kouchner l'avait remis à Sciences Po, en catimini."

 

"Michel honore la France" (Leïla Shahid)

"On présente souvent Michel comme une espèce d'antisémite. Moi, à chaque fois qu'on m'a traité de cette manière, j'ai demandé un droit de réponse. Mais pour lui les choses sont différentes. Je suis citoyen français d'origine juive. Lui est citoyen juif israélien. L'avis du CRIF, il s'en fout", explique Dominique Vidal. Naturellement, Warschawski a aussi son avis. "Je lis souvent des revues américaines juives et, croyez-moi, j'ai beaucoup de sujets de désaccord avec elles. Mais la réflexion des intellectuels juifs français qui abordent la question palestinienne est désolante. C'est un véritable gâchis.".  

Pour tous les ardents défenseurs de la cause palestinienne, la remise de ce prix est une très grande victoire symbolique. Edwy Plenel en est profondément ému : "Dans quelques années, on se demandera pourquoi des gens comme Mikado n'ont pas été entendus. Il dit le juste, le raisonnable, la vérité." Leïla Shahid, déléguée générale de l'Autorité palestinienne auprès de l'Union européenne, amie de longue date de Warschawski, acquiesce : "Ce prix n'honore pas seulement Michel. Il honore une vie dévouée au respect des droits de l'homme. Michel honore la France." Pour sa part, Warschawski retrace son existence par un nouveau paradoxe, une phrase que son père aurait prononcée lors du cinquantenaire d'Israël : "Je suis fier de ce que fait mon fils, mais j'aurais préféré qu'il le fasse avec une kippa sur la tête." 

Click here to find out more!


Commentaires