Ce
citoyen israélien a reçu des mains de Christiane Taubira le prix des droits de
l'homme de la République française. Portrait. Le Point.fr - Publié le 16/12/2012 à 18:27
Par Marc LEPLONGEON
"Un
sage radical de gauche." C'est ainsi que le décrivent ses amis. Mais
Michel Warschawski, c'est d'abord un original. Un homme qui a baigné dans le
judaïsme toute son enfance - son père était le grand rabbin de Strasbourg - et
qui finira par devenir, il le dit lui-même, "complètement athée". Il
reste cependant un traditionnel un peu "vieux jeu", s'amuse son ami
Dominique Vidal, ancien journaliste du Monde
diplomatique. "Michel ne loupera
jamais un shabbat", lâche-t-il en riant. Son apparence traduit son âge
: les cheveux gris tirés en arrière, le front dégarni, la peau basanée, une
moustache à la Brassens comme seuls les sexagénaires savent la
porter.
Michel
Warschawski émigre en Israël peu avant sa majorité, dans les années
60. Aussitôt, il adopte la cause palestinienne, qui sera sienne pour le restant
de sa vie. Il se fait très rapidement connaître pour ses positions radicales
contre l'occupation israélienne dans les Territoires palestiniens. Il devient
un anticolonialiste notoire, un juif renégat, un homme honni du pouvoir. Alors
que sa foi disparaît, son engagement politique, lui, ne cesse de croître. Il se
rapproche du mouvement trotskiste. Il y rencontrera des intellectuels de gauche
comme Edwy Plenel.
"Nous, on l'appelle tous Mikado. C'était son
pseudo, puis c'est devenu son surnom. Michel est un ami que je n'ai jamais
perdu de vue", se souvient l'ancien directeur de la rédaction du Monde. "Nous sommes tous les deux issus d'un trotskisme non sectaire,
internationaliste, profondément humaniste. C'était ne pas accepter les
agissements d'Israël, tout en s'opposant à l'instrumentalisation de la
Palestine par les pays arabes", poursuit-il. Aujourd'hui encore, les
deux moustachus se voient autant que possible. Le lendemain de la remise du
prix des droits de l'homme par la ministre de la Justice Christiane Taubira,
lundi, ils déjeuneront ensemble... avec trois ambassadeurs palestiniens. On ne
se refait pas.
"Nous
étions traités comme des parias" (Warschawski)
Jusqu'à
la guerre du Liban, Michel Warschawski connaît en Israël une vie de marginal.
"Nous étions traités comme des
parias", raconte-t-il. "Nous
vivions dans un ostracisme le plus total. À cette époque-là, c'était moins une
répression policière qu'une répression sociale", se rappelle-t-il. En
1982, après les massacres des camps de Sabra et Chatila, la société civile
israélienne se soulève. La population est scandalisée. "Nous qui étions des exclus, on devient
presque de bon ton, explique Mikado.
On commence à faire de la télé, on est invités à des colloques."
En
1984, il fonde le Centre d'informations alternatives (AIC), une des très
rares ONG à avoir la double étiquette israélo-palestinienne. Son rôle ? Faire
circuler les informations, dénoncer ce que Michel Warschawski estime être des
exactions. "Nous aidions des
organisations pro-palestiniennes à publier des tracts. Certaines étaient liées
à l'Organisation de libération de la Palestine [ (OLP) à l'époque
considérée par Israël comme une organisation terroriste, NDLR]. Nous l'assumions", soutient le
militant. "On a tiré sur l'élastique
des libertés publiques jusqu'au maximum, peut-être même au-delà",
concède-t-il. Ces faits lui valent une réputation d'extrémiste, voire de
terroriste, puis un procès. Il est condamné à huit mois de prison pour
"prestation de services à organisations illégales".
"Israël,
le chien de garde de l'Occident" (Warschawski)
Lorsqu'il
se rend à la prison pour y purger sa peine, Michel Warschawski a alors 41 ans.
Ses amis organisent un cortège de voitures. Il s'en souvient avec nostalgie :
"Les voisines, yéménites ou kurdes
pour la plupart, nous avaient même apporté des gâteaux dans la rue. Elles m'ont
dit un truc du genre : Ouais, on sait que t'es un communiste, on dit pas mal de
choses dans ton dos, mais on t'aime bien quand même". À partir des
années 2000, le militant ressent de nouveau un rejet latent de la cause pour
laquelle il se bat. "La vérité,
c'est qu'au moment des accords d'Oslo en 1991 on a cru qu'on atteignait des
sommets. Puis on a dégringolé, on a compris que c'était seulement une
parenthèse", soupire-t-il.
Mikado
reprend alors son combat. Il ne mâche pas ses mots, il ne l'a jamais fait. Son
discours est radical. Il ne voit "aucune
symétrie" dans les rapports Israël-Palestine. Si ses amis lui prêtent
une "grande sagesse",
Warschawski n'est jamais mesuré dans ses propos. Cela lui cause du tort. Il
dépeint les crimes des Israéliens comme des évidences. Les Israéliens le
dépeignent comme un agité. "Israël
n'aurait jamais trois milliards de dollars par an s'il n'y avait pas la guerre,
s'agace-t-il. Je ne sais plus quel
général disait qu'Israël était le chien de garde de l'Occident. Mais le rôle
d'un chien n'est pas toujours de mordre. Et le problème d'un chien, c'est qu'il
n'en fait parfois qu'à sa tête". Ses détracteurs l'accusent alors de
dénoncer les exactions israéliennes, mais de cacher celles commises par la
Palestine. Michel Warschawski s'en défend ardemment : "C'est complètement faux. J'ai toujours dit
que la cause palestinienne était un moyen utile pour les dictatures arabes de
détourner l'attention des masses.".
"Pas de
récompense pour les traîtres" (Dora Marrache)
En
France, Michel Warschawski est peu connu. Le seul fait de prononcer son nom
fait frissonner une partie de la communauté juive. Lorsque sa nomination au
prix des droits de l'homme a été connue, les tribunes ont commencé à pleuvoir.
Sur le blog des radios juives francophones, Dora Marrache signe ainsi un
billet intitulé "Non, non et
non ! Pas de récompense pour les traîtres". La chroniqueuse écrit :
"La pire catastrophe qui puisse arriver
à Israël serait d'être gouverné par des gauchistes, des traîtres comme vous
qui, pour se faire bien voir de la communauté internationale et des Arabes, se
plieraient à toutes les exigences des Palestiniens.".
Richard
Prasquier, président du Conseil représentatif des institutions juives de France
(CRIF), écrit lui aussi une lettre ouverte à Christine Lazerges,
présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme
(CNCDH). Il y dénonce cette nomination. Du côté de la CNCDH, on répond
simplement que le prix récompense un projet, celui du Centre d'informations
alternatives, et pas un homme. En coulisse, on affirme cependant que Christiane
Taubira a fait preuve de "courage
politique en remettant ce prix à Warschawski". Une source raconte :
"En 2009, on avait remis le prix au
réseau des ONG palestiniennes. Ça avait fait un petit scandale. Du coup,
Bernard Kouchner l'avait remis à Sciences Po, en catimini."
"Michel
honore la France" (Leïla Shahid)
"On présente souvent Michel comme une espèce
d'antisémite. Moi, à chaque fois qu'on m'a traité de cette manière, j'ai
demandé un droit de réponse. Mais pour lui les choses sont différentes. Je suis
citoyen français d'origine juive. Lui est citoyen juif israélien. L'avis du CRIF,
il s'en fout", explique Dominique Vidal. Naturellement, Warschawski a
aussi son avis. "Je lis souvent des
revues américaines juives et, croyez-moi, j'ai beaucoup de sujets de désaccord
avec elles. Mais la réflexion des intellectuels juifs français qui abordent la
question palestinienne est désolante. C'est un véritable gâchis.".
Pour
tous les ardents défenseurs de la cause palestinienne, la remise de ce prix est
une très grande victoire symbolique. Edwy Plenel en est profondément ému :
"Dans quelques années, on se
demandera pourquoi des gens comme Mikado n'ont pas été entendus. Il dit le
juste, le raisonnable, la vérité." Leïla Shahid, déléguée générale de
l'Autorité palestinienne auprès de l'Union européenne, amie de longue date de
Warschawski, acquiesce : "Ce prix
n'honore pas seulement Michel. Il honore une vie dévouée au respect des droits de
l'homme. Michel honore la France." Pour sa part, Warschawski retrace
son existence par un nouveau paradoxe, une phrase que son père aurait prononcée
lors du cinquantenaire d'Israël : "Je
suis fier de ce que fait mon fils, mais j'aurais préféré qu'il le fasse avec
une kippa sur la tête."