Gilles Devers publie dans son blog une interview de Renaud Girard par un journaliste du Figaro. Il écrit ceci: Renaud Girard est un motif
suffisant pour acheter Le Figaro. C’est un très grand connaisseur du
Moyen-Orient et des affaires internationales, et il va maintes fois sur le
terrain pour voir ce qui s’y passe. Ses reportages sont exceptionnels, car il y
a la qualité de l'observation et la mise en perspective, par un vrai expert.
D’accord ou non Renaud Girard, c’est assez secondaire, car l'enjeu est ailleurs:
c'est un grand journaliste, qui donne à voir, et à comprendre. Je reproduits ici son entretien
publié dans Le Figaro après la visite des parlementaires : «La diplomatie ne se fait pas avec ses
amis».
A mon tour et grâce à J.C. Romettino de l'Improbable, je publie ce texte plein de bon sens. La rencontre à Damas de quatre
parlementaires français avec Bachar el-Assad fait polémique. Que cela vous
inspire-t-il ?
Renaud Girard : C'est une initiative qui répond à
une visite de trois députés syriens l'année dernière à l'Assemblée nationale.
Cette visite avait été organisée par un Syrien chrétien d'Alep qui pour
l'anecdote était le fils du chef du comité gaulliste en Syrie en 1940 à Alep.
Ils ont eu raison de faire ce voyage, ne serait-ce que pour se rendre compte de
l'état de la route entre la frontière libanaise et Damas, de l'état de la
capitale. Il faut bien comprendre que la diplomatie ne se fait pas avec ses
amis. C'est l'art de parler à ses adversaires ou à ses rivaux. On peut reprocher
beaucoup de choses à Bachar el-Assad, mais ce n'est pas une raison pour ne pas
lui parler. Car Bachar el-Assad incarne la Syrie : il n'incarne certainement pas
95% de la population, mais rien ne prouve qu'en cas d'élection réellement libre,
il n'emporterait pas la majorité. Il a suscité une opposition considérable dans
le monde sunnite contre lui, mais y conserve, malgré tout, des alliés : sa femme
est sunnite, de même que son chef du renseignement intérieur. Par ailleurs, il a
toutes les minorités, chrétiennes, druzes, alaouites, kurdes en sa
faveur.
Est-ce vraiment le rôle des
parlementaires de discuter avec des dictateurs étrangers ?
Je suis pour la liberté des
députés. Lorsque la politique étrangère est mauvaise, ce qui est le cas,
pourquoi ne pas essayer d'autres pistes. Les députés, comme les journalistes
d'ailleurs, ont le devoir de critiquer les dirigeants.
Cela a déclenché la colère du
gouvernement français…
Nicolas Sarkozy et Alain Juppé ont
fait l'énorme erreur de fermer l'ambassade, qui était pour nous la place où nous
pouvions parler au régime et surtout obtenir des renseignements. Le gouvernement
français par la voix de Laurent Fabius traite la Syrie comme si elle était
l'ennemie de la France. Bachar el-Assad n'est pas l'ennemi de la France. Il n'a
jamais pris un Français en otage. Son père, Hafez el-Assad, qu'affectionnait
François Mitterrand, que Laurent Fabius a servi, a fait assassiner notre
ambassadeur de Beyrouth, Louis Delamare. Cela aurait pu être considéré comme un
motif de guerre. Ce n'a pas été le cas et Laurent Fabius n'a rien dit à ce
sujet. Lorsqu' Hafez el-Assad a bombardé les chrétiens en avril 1989 à Beyrouth,
la France aurait pu venir en aide à ces civils instruits par des sœurs qui leur
faisaient chanter : «notre mère la France». Cela n'a pas était fait. Pire à la
conférence de Taëf en Arabie saoudite, toujours en 1989, nous avons donné le
Liban en esclavage à la Syrie. Laurent Fabius qui était président de l'Assemblée
nationale à l'époque n'a pas protesté. Bachar el-Assad, lui, ne s'est jamais
attaqué aux intérêts français. Au contraire, il a une épouse francophone et
francophile et il a ré-ouvert le lycée français Charles de Gaulle à
Damas.
Manuel Valls voit Bachar el-Assad
comme un boucher. La réal-politique autorise-t-elle vraiment
tout?
Est-ce que Bachar el-Assad aurait
pu, en mars 2011, éviter ce bain de sang, faire des concessions politiques,
c'est possible, pas certain. On peut lui faire légitimement reproche de ne pas
avoir réellement tenté une ouverture politique et d'avoir trop rapidement
recours à la répression armée. Cependant, nous nous sommes beaucoup trompés.
Nous avons cru qu'il était beaucoup plus faible qu'il ne l'était. Deuxièmement,
nous avons même songé à l'été 2013 à lui faire la guerre. Face à cette politique
de Laurent Fabius, je dis attention. Pour qu'une telle action contre un
dictateur puisse réussir, il faut quatre conditions préalables :
- La première condition est
l'accord du Conseil de sécurité des Nations Unies. Cette organisation a été suffisamment difficile à édifier pour la renier, car elle est tout de même utile.
Nous y avons un pouvoir supérieur à notre poids démographique ou
économique.
-Deuxièmement, il faut être sûr de
pouvoir le remplacer, d'avoir une vraie solution alternative. Nous avons
remplacé le général Kadhafi par les amis de Bernard-Henri Lévy. Cela n'a pas
marché et nous sommes face à un désordre total.
-Troisièmement, il faut être sûr
d'améliorer la condition des populations qu'on prétend aider par notre
intervention. Par exemple, la situation des populations irakiennes ne s'est pas
améliorée après la chute de Saddam Hussein, mais détériorée. Il faut se souvenir
que si Bachar el-Assad n'a pas donné la liberté politique à sa population, il a
au moins maintenu en Syrie la liberté religieuse. L'interventionnisme occidental
en Irak a contribué à la suppression de la liberté religieuse dans ce pays où
les chrétiens sont désormais persécutés. De même pour la Libye.
- La quatrième condition est de
préserver les intérêts de la France. En Libye, le général Kadhafi, nous offrait
plusieurs avantages, dont celui de pourchasser les islamistes et d'empêcher les
trafiquants d'êtres humains d'atteindre la méditerranée. Des hommes politiques
comme Alain Juppé, Nicolas Sarkozy ou Laurent Fabius devraient prendre en compte
les intérêts à long terme du pays qu'ils servent. En ce qui concerne Bachar
el-Assad, la position française est intenable car elle ne prend pas en compte la
notion d'ennemi principal. Notre devoir est d'aller tuer les gens qui viennent
devant nos écoles pour assassiner nos enfants. Notre devoir est d'aller tuer les
gens qui nous obligent à mettre des hommes en armes devant chaque école juive,
chose qui n'a pas été faite depuis 1791, date de l'intégration de la communauté
juive dans la nation, parfaitement intégrée depuis. |