Par ALON LIEL
Ex-directeur général du ministère israélien des Affaires
étrangères et
ex-ambassadeur d’Israël
Libération
20 juin 2012-06-21
Le
conflit israélo-palestinien semble être dans l’impasse la plus
importante de
son histoire. Dans ce contexte, la volonté affichée par des
gouvernements
étrangers d’établir une distinction claire entre les produits d’origine
israélienne et ceux issus des colonies établies dans les Territoires
palestiniens occupés est importante. Ces efforts peuvent contribuer à
préparer
le chemin vers la paix.
Le mois dernier, les
gouvernements sud-africain et danois ont annoncé leur intention
d’empêcher les
biens produits dans les colonies d’être étiquetés «Made in Israel».
Cette
annonce intervient après que le Royaume-Uni a demandé à ses supermarchés
d’étiqueter différemment les produits des colonies en 2009. La chaîne
suisse de supermarchés Migros a aussi décidé d’agir en ce sens. Ces
actions
doivent être saluées, d’autres gouvernements et entreprises devraient
suivre
cette voie.
Pourquoi ? Parce que les
colonies ne font pas partie d’Israël (souligné par moi, JPR). Elles sont établies sur des
territoires
occupés en dehors des frontières internationalement reconnues et sont
illégales
au regard du droit international. L’étiquetage des produits des colonies
comme
«Made in Israël» trompe le consommateur et approuve implicitement la
politique
expansionniste du gouvernement de droite d’Israël mené par Benyamin
Netanyahou.
La Cisjordanie palestinienne se fait absorber par l’expansion des
colonies qui
effacent la «ligne verte», frontière internationalement reconnue,
antérieure
à 1967. La «ligne verte» est la seule base viable pour la paix. Au
moment
de la signature des accords d’Oslo en 1993, les colonies dans les
Territoires occupés hébergeaient environ 250 000 colons israéliens.
En 2000,
quand j’étais directeur général du ministère israélien des Affaires
étrangères,
leur nombre s’élevait à 390 000. Ils sont aujourd’hui plus de 550 000.
Depuis
que le Premier ministre Nétanyahou a rejeté la demande du président
Obama de
geler l’expansion des colonies, nous avons vu une forte accélération de
la
colonisation. La semaine dernière, Nétanyahou a annoncé la construction
de
851 maisons supplémentaires, la plupart d’entre elles au cœur du
territoire palestinien. Il semble que nous, Israéliens, soyons arrivés à
la
conclusion que nous n’avons plus besoin de la paix. Derrière le mur de
séparation et grâce à la puissance de l’armée, nous vivons plus ou moins
en
sécurité, sans la paix. L’économie est en croissance et Tel-Aviv en
plein
essor. L’occupation ne nous pose pas de problème moral. A l’exception
d’une
minorité qui lutte contre le service militaire, l’oppression de Tsahal
sur les
Palestiniens est loin des yeux et du cœur de l’Israélien moyen. Beaucoup
d’entre nous tendent à croire que le conflit peut être géré indéfiniment
et
qu’Israël n’a plus de «problème palestinien».
Cependant, nous nous
leurrons. L’expansion des colonies menace de rendre impossible la
solution à
deux Etats. Israël est en train de se mettre dans une situation où, sauf
en cas
d’apartheid ou d’expulsion totale des Palestiniens, une solution à un
seul Etat
avec des droits égaux pour tous pourrait devenir la seule voie de sortie
possible du conflit. Il s’agit du modèle sud-africain. En tant qu’ancien
ambassadeur israélien en Afrique du Sud, je me sens en droit de livrer
ma
vision de l’applicabilité de ce modèle à Israël et à la Palestine.
Contrairement à l’Afrique du Sud où l’urbanisation a ramené les Noirs
dans les
villes dans des proportions telles qu’ils y sont devenus majoritaires,
il y a
en Israël une importante séparation territoriale et une substitution de
la
main-d’œuvre palestinienne par des travailleurs étrangers. Tandis qu’en
Afrique
du Sud, presque chaque enfant blanc a eu une «nounou» noire, il y a très
peu de
contact entre Israéliens et Palestiniens.
Malgré
ma profonde admiration pour la façon dont l’Afrique du Sud est parvenue à
la
paix, une solution de type sud-africain appliquée au conflit
israélo-palestinien signifierait la fin de l’État juif. La solution à
deux États reste le seul moyen de réaliser ce rêve. Si nous voulons nous en
tenir à
la solution à deux États, nous devons commencer à sérieusement nous
attaquer à
l’expansion des colonies, car elle constitue une menace pour cette
solution.
L’acte symbolique d’empêcher l’étiquetage des produits des colonies
comme «Made
in Israël» a une réelle portée : en refusant de mentionner cette origine
«Made
in Israël», les gouvernements étrangers protègent et renforcent les
frontières
antérieures à 1967. De plus, ils donnent le choix à leurs consommateurs
d’acheter ou non des produits des colonies. Cet acte simple nous
rappelle que
les colonies constituent une grave violation du droit international et
un
dangereux projet d’annexion de fait. En promouvant le règlement
du
conflit selon les frontières d’avant 1967, la communauté internationale
confirme que l’objectif est la solution à deux États, et non pas un Etat
israélien d’apartheid.