Israël, Palestine : l'apartheid de l'eau
FRANÇOISE GERMAIN ROBIN
Dans un rapport parlementaire rendu public en 2012,
le député socialiste Jean Glavany avait utilisé le terme « apartheid »
pour caractériser la façon dont sont gérées les ressources dont
disposent les deux populations d'Israël et de la Palestine. L'expression
avait provoqué les foudres d'Israël. Elle décrit pourtant bien une
situation qui n'a fait que s'aggraver depuis, notamment à Gaza avec les
destructions de l'été 2014 et le renforcement du blocus. Les chiffres
cités par ce rapport sont implacables : 2,3 millions de Palestiniens
n'ont droit qu'à 70 millions de m3 par an, contre 222 millions de m3
pour les colons israéliens, qui sont moins d'un demi-million en
Cisjordanie.
Autrement
dit, l'eau des nappes phréatiques de la Cisjordanie est littéralement
volée au profit des colons, mais aussi des autres citoyens israéliens
dont la consommation quotidienne se situe entre 270 et 400 litres par
jour, contre 50 à 70 litres pour les Palestiniens, alors que l'OMS
estime à 100 litres par jour le minimum vital. L'expert israélien des
Amis de la Terre Moyen-Orient, Gidon Bromberg, le reconnaît : « Israël
ne partage pas l'eau de façon équitable avec les Palestiniens. » Il
donne cette explication : « Les Israéliens vivent à l'occidentale alors
que les conditions climatiques devraient leur faire adopter des
comportements plus adaptés à l'aridité du climat.
» Il souligne
aussi que les accords signés en 1995 (Oslo 2) sur le partage de l'eau
étaient provisoires et n'ont pas été actualisés du fait de l'échec du
processus de paix. Une explication un peu courte quand on sait que,
depuis sa création, Israël a tout fait, et surtout des guerres, pour
s'accaparer les ressources aquifères de la région : en Syrie, avec
l'occupation du Golan et de ses sources ; au Liban, où les incursions
multiples visaient le fleuve Litani ; en Cisjordanie, où se trouve la
principale nappe aquifère, le Jourdain et la mer Morte, surexploités et
dont les rives ouest ont été accaparées, les Palestiniens n'y ayant même
plus accès.

Yasser Arafat nous disait, à propos des négociations avec les
dirigeants israéliens, du temps où les accords d'Oslo étaient encore de
ce monde : « Ce qui est extraordinaire avec eux, c'est qu'ils vous
volent votre voiture et après ils vous proposent de discuter pour vous
vendre une roue. » C'était l'époque où Ariel Sharon disait aux jeunes
aspirants colons : « Prenez les collines et contrôlez les sources. » À
lire l'interview du ministre palestinien de l'Eau, Mazen Ghoneim (voir
ci-contre), on voit qu'Israël applique toujours la même stratégie :
après avoir accaparé la quasi-totalité des ressources en eau de la
Palestine occupée, l'Autorité israélienne de l'eau vend le précieux
liquide aux Palestiniens qui sans cela mourraient de soif. Notamment à
Gaza où les bombardements de l'an dernier ont détruit les réseaux de
distribution, la station d'épuration et les réservoirs installés sur les
toits des immeubles.
Depuis 1967
d'ailleurs, la question de l'eau est une affaire militaire en Israël. Et
il est vrai qu'elle revêt un aspect stratégique dans tous les pays qui
souffrent de pénurie chronique, ce qui est le cas général au MoyenOrient
à l'exception de la Turquie qui, maîtrisant les deux principaux
fleuves, le Tigre et l'Euphrate, n'hésite pas à jouer de ce moyen de
pression.
Peut-on
espérer que les vastes projets de désalinisation de l'eau de mer
entrepris par Israël ces dernières années aboutissent un jour à une
détente sur le front de l'eau ? Quatre usines de désalement ont déjà été
construites, dont la plus grande du monde à Sorek, au sud de Tel-Aviv.
Mais elles ne fournissent que 20 % des 2 milliards de m3 consommés
chaque année et on prévoit que ces besoins auront doublé d'ici dix ans !
La Banque mondiale, visiblement plus encline à parier sur Israël que
sur la Palestine (voir ci-contre), a débloqué un demi-million de dollars
en juillet dernier pour aider Tel-Aviv à « développer ses techniques de
pointe dans le domaine ».
Depuis
1967, la question de l'eau est une affaire militaire en Israël. Et il
est vrai qu'elle revêt un aspect stratégique dans tous les pays qui
souffrent de pénurie chronique.
L'accord mer Morte, vrai projet ou cache-sexe ?
Sébastien BOUSSOIS, Auteur de Sauver la mer Morte ? Un enjeux pour la paix (1)
Au cœur de l'accord pour le sauvetage de
la mer Morte signé en 2013 par Israël, la Jordanie et l'Autorité
palestinienne, il y avait l'engagement de la Banque mondiale à financer
un projet global que ses experts jugeaient techniquement et
économiquement possible. Restait à faire en sorte qu'il le soit aussi
politiquement. Cela s'est révélé très difficile dans le contexte de
fermeture des négociations de paix israélo-palestiniennes. Le nouvel
accord, très partiel, conclu cette année entre Israël et la Jordanie ne
doit pas faire illusion. Il n'entre pas vraiment dans le cadre du projet
mer Morte.
Il s'agit de
la construction à Aqaba d'une usine de désalinisation de l'eau de la mer
Rouge pour alimenter la ville d'Amman en eau potable. Pour la Jordanie,
un pays en état de quasi faillite, débordé par l'afflux de réfugiés
syriens, nécessité fait loi : il faut faire face à la pénurie d'eau qui
frappe la capitale. L'usine devrait fournir 300 millions de m3 dont 30
millions pour les Palestiniens. On est loin du projet global
d'alimentation de la mer Morte par la construction d'un canal de 180 km
qui aurait fourni 2 millions de m3 dont 800000 aux territoires
palestiniens.
Ce projet est
en panne, les trois signataires de l'accord Israël, Jordanie,
Palestine n'en ont plus les moyens. Ils sont tous en crise et
subissent les effets de l'instabilité régionale. Il n'est pas sûr que le
projet voie le jour. On se demande d'ailleurs a posteriori s'il
s'agissait d'un vrai projet ou d'un simple cache-sexe pour attirer des
investissements dans un secteur la mer Morte où continue de se
développer un business florissant en matière de tourisme et de produits
de beauté. Une surexploitation pratiquée par Israël et la Jordanie qui
est en train d'achever de tuer la mer Morte au lieu de la sauver.
Quant aux Palestiniens, ils n'y ont pratiquement plus accès et continuent d'en rêver.
(1) Armand Colin, 192 pages, 22,90 euros
"On se contente de gérer au mieux la pénurie"
Mazen Ghoneim
Ministre en charge du problème de l'eau au sein du gouvernement de l'Autorité palestinienne
Être ministre de l'Eau, c'est gérer la pénurie : Israël contrôle 85 % de
nos ressources en eau en tant que puissance occupante. Donc, on ne peut
faire aucun projet. On se contente de gérer le mieux possible ce qu'on
a, de faire de la maintenance pour mettre fin aux pertes d'eau dues à la
vétusté du réseau. L'autre tâche consiste à fournir de l'eau par
camions aux localités qui n'en ont pas et qui sont nombreuses à partir
du mois de mai, quand l'été commence, notamment au sud d'Hébron et dans
la vallée du Jourdain. Avec les problèmes sanitaires que cela pose. À
Gaza, c'est pire : 97 % de l'aquifère est pollué, inutilisable. La
station d'épuration a été détruite lors des bombardements de l'an
dernier. La seule solution serait la désalinisation de l'eau de mer.
Nous avons un projet, mais cela demande vingt-quatre mois de
construction et 450 millions de dollars. Nous n'avons pas les fonds :
les bailleurs veulent des garanties qu'Israël ne détruira pas l'usine.
Pour l'instant, on achète de l'eau à Israël, on construit des
réservoirs, une petite station de désalement à Deir elBalah, une autre à
Gaza. On tâche de se débrouiller, mais c'est très difficile. En
principe, la gestion de l'eau devait être un objet de coopération avec
Israël. Un comité commun était prévu par les accords d'Oslo: il ne s'est
pas réuni depuis quatre ans.
Le problème, c'est qu'à chaque réunion on mettait sur le
tapis le vol de l'eau par les colons et on demandait le respect des
conventions internationales sur cette question. Israël ne veut pas en
entendre parler. Quant à l'accord sur la mer Morte de 2013, il n'est
toujours pas mis en œuvre. Un projet existe depuis février entre Israël
et la Jordanie, qui devrait nous fournir entre 20 et 30 millions de m3.
Encore faut-il être capables de recevoir et de distribuer cette
quantité d'eau. Ce n'est pas le cas et cela demande encore beaucoup de
travail et la réactivation du comité commun. Il faut que la communauté
internationale intervienne car ce problème est fondamental: c'est un
frein au développement et un frein à la paix.
Dossier "Les horizons de l'Humanité", vendredi 5 septembre 2015.