Israël, Palestine : l'apartheid de l'eau (carte)

publié le 15 sept. 2015, 02:49 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 3 oct. 2015, 06:39 ]

Israël, Palestine : l'apartheid de l'eau

FRANÇOISE GERMAIN ROBIN


Dans un rapport parlementaire rendu public en 2012, le député socialiste Jean Glavany avait utilisé le terme « apartheid » pour caractériser la façon dont sont gérées les ressources dont disposent les deux populations d'Israël et de la Palestine. L'expression avait provoqué les foudres d'Israël. Elle décrit pourtant bien une situation qui n'a fait que s'aggraver depuis, notamment à Gaza avec les destructions de l'été 2014 et le renforcement du blocus. Les chiffres cités par ce rapport sont implacables : 2,3 millions de Palestiniens n'ont droit qu'à 70 millions de m3 par an, contre 222 millions de m3 pour les colons israéliens, qui sont moins d'un demi-million en Cisjordanie.

Autrement dit, l'eau des nappes phréatiques de la Cisjordanie est littéralement volée au profit des colons, mais aussi des autres citoyens israéliens dont la consommation quotidienne se situe entre 270 et 400 litres par jour, contre 50 à 70 litres pour les Palestiniens, alors que l'OMS estime à 100 litres par jour le minimum vital. L'expert israélien des Amis de la Terre Moyen-Orient, Gidon Bromberg, le reconnaît : « Israël ne partage pas l'eau de façon équitable avec les Palestiniens. » Il donne cette explication : « Les Israéliens vivent à l'occidentale alors que les conditions climatiques devraient leur faire adopter des comportements plus adaptés à l'aridité du climat.

» Il souligne aussi que les accords signés en 1995 (Oslo 2) sur le partage de l'eau étaient provisoires et n'ont pas été actualisés du fait de l'échec du processus de paix. Une explication un peu courte quand on sait que, depuis sa création, Israël a tout fait, et surtout des guerres, pour s'accaparer les ressources aquifères de la région : en Syrie, avec l'occupation du Golan et de ses sources ; au Liban, où les incursions multiples visaient le fleuve Litani ; en Cisjordanie, où se trouve la principale nappe aquifère, le Jourdain et la mer Morte, surexploités et dont les rives ouest ont été accaparées, les Palestiniens n'y ayant même plus accès.


Yasser Arafat nous disait, à propos des négociations avec les dirigeants israéliens, du temps où les accords d'Oslo étaient encore de ce monde : « Ce qui est extraordinaire avec eux, c'est qu'ils vous volent votre voiture et après ils vous proposent de discuter pour vous vendre une roue. » C'était l'époque où Ariel Sharon disait aux jeunes aspirants colons : « Prenez les collines et contrôlez les sources. » À lire l'interview du ministre palestinien de l'Eau, Mazen Ghoneim (voir ci-contre), on voit qu'Israël applique toujours la même stratégie : après avoir accaparé la quasi-totalité des ressources en eau de la Palestine occupée, l'Autorité israélienne de l'eau vend le précieux liquide aux Palestiniens qui sans cela mourraient de soif. Notamment à Gaza où les bombardements de l'an dernier ont détruit les réseaux de distribution, la station d'épuration et les réservoirs installés sur les toits des immeubles.

Depuis 1967 d'ailleurs, la question de l'eau est une affaire militaire en Israël. Et il est vrai qu'elle revêt un aspect stratégique dans tous les pays qui souffrent de pénurie chronique, ce qui est le cas général au MoyenOrient ­ à l'exception de la Turquie qui, maîtrisant les deux principaux fleuves, le Tigre et l'Euphrate, n'hésite pas à jouer de ce moyen de pression.

Peut-on espérer que les vastes projets de désalinisation de l'eau de mer entrepris par Israël ces dernières années aboutissent un jour à une détente sur le front de l'eau ? Quatre usines de désalement ont déjà été construites, dont la plus grande du monde à Sorek, au sud de Tel-Aviv. Mais elles ne fournissent que 20 % des 2 milliards de m3 consommés chaque année et on prévoit que ces besoins auront doublé d'ici dix ans ! La Banque mondiale, visiblement plus encline à parier sur Israël que sur la Palestine (voir ci-contre), a débloqué un demi-million de dollars en juillet dernier pour aider Tel-Aviv à « développer ses techniques de pointe dans le domaine ».

Depuis 1967, la question de l'eau est une affaire militaire en Israël. Et il est vrai qu'elle revêt un aspect stratégique dans tous les pays qui souffrent de pénurie chronique.

L'accord mer Morte, vrai projet ou cache-sexe ?

Sébastien BOUSSOIS, Auteur de Sauver la mer Morte ? Un enjeux pour la paix (1)

Au cœur de l'accord pour le sauvetage de la mer Morte signé en 2013 par Israël, la Jordanie et l'Autorité palestinienne, il y avait l'engagement de la Banque mondiale à financer un projet global que ses experts jugeaient techniquement et économiquement possible. Restait à faire en sorte qu'il le soit aussi politiquement. Cela s'est révélé très difficile dans le contexte de fermeture des négociations de paix israélo-palestiniennes. Le nouvel accord, très partiel, conclu cette année entre Israël et la Jordanie ne doit pas faire illusion. Il n'entre pas vraiment dans le cadre du projet mer Morte.

Il s'agit de la construction à Aqaba d'une usine de désalinisation de l'eau de la mer Rouge pour alimenter la ville d'Amman en eau potable. Pour la Jordanie, un pays en état de quasi faillite, débordé par l'afflux de réfugiés syriens, nécessité fait loi : il faut faire face à la pénurie d'eau qui frappe la capitale. L'usine devrait fournir 300 millions de m3 dont 30 millions pour les Palestiniens. On est loin du projet global d'alimentation de la mer Morte par la construction d'un canal de 180 km qui aurait fourni 2 millions de m3 dont 800000 aux territoires palestiniens.

Ce projet est en panne, les trois signataires de l'accord ­ Israël, Jordanie, Palestine ­ n'en ont plus les moyens. Ils sont tous en crise et subissent les effets de l'instabilité régionale. Il n'est pas sûr que le projet voie le jour. On se demande d'ailleurs a posteriori s'il s'agissait d'un vrai projet ou d'un simple cache-sexe pour attirer des investissements dans un secteur ­ la mer Morte ­ où continue de se développer un business florissant en matière de tourisme et de produits de beauté. Une surexploitation pratiquée par Israël et la Jordanie qui est en train d'achever de tuer la mer Morte au lieu de la sauver.

Quant aux Palestiniens, ils n'y ont pratiquement plus accès et continuent d'en rêver.

(1) Armand Colin, 192 pages, 22,90 euros

"On se contente de gérer au mieux la pénurie"

Mazen Ghoneim

Ministre en charge du problème de l'eau au sein du gouvernement de l'Autorité palestinienne

    Être ministre de l'Eau, c'est gérer la pénurie : Israël contrôle 85 % de nos ressources en eau en tant que puissance occupante. Donc, on ne peut faire aucun projet. On se contente de gérer le mieux possible ce qu'on a, de faire de la maintenance pour mettre fin aux pertes d'eau dues à la vétusté du réseau. L'autre tâche consiste à fournir de l'eau par camions aux localités qui n'en ont pas et qui sont nombreuses à partir du mois de mai, quand l'été commence, notamment au sud d'Hébron et dans la vallée du Jourdain. Avec les problèmes sanitaires que cela pose. À Gaza, c'est pire : 97 % de l'aquifère est pollué, inutilisable. La station d'épuration a été détruite lors des bombardements de l'an dernier. La seule solution serait la désalinisation de l'eau de mer. Nous avons un projet, mais cela demande vingt-quatre mois de construction et 450 millions de dollars. Nous n'avons pas les fonds : les bailleurs veulent des garanties qu'Israël ne détruira pas l'usine. Pour l'instant, on achète de l'eau à Israël, on construit des réservoirs, une petite station de désalement à Deir elBalah, une autre à Gaza. On tâche de se débrouiller, mais c'est très difficile. En principe, la gestion de l'eau devait être un objet de coopération avec Israël. Un comité commun était prévu par les accords d'Oslo: il ne s'est pas réuni depuis quatre ans.

    Le problème, c'est qu'à chaque réunion on mettait sur le tapis le vol de l'eau par les colons et on demandait le respect des conventions internationales sur cette question. Israël ne veut pas en entendre parler. Quant à l'accord sur la mer Morte de 2013, il n'est toujours pas mis en œuvre. Un projet existe depuis février entre Israël et la Jordanie, qui devrait nous fournir entre 20 et 30 millions de m3. Encore faut-il être capables de recevoir et de distribuer cette quantité d'eau. Ce n'est pas le cas et cela demande encore beaucoup de travail et la réactivation du comité commun. Il faut que la communauté internationale intervienne car ce problème est fondamental: c'est un frein au développement et un frein à la paix.

Dossier "Les horizons de l'Humanité", vendredi 5 septembre 2015.

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