Lever la voix
face au massacre qui est perpétré à Gaza, c’est aujourd’hui, je l’écris en
conscience, un devoir pour la France, une France qui est attachée
indéfectiblement à l’existence et à la sécurité d’Israël mais qui ne saurait
oublier les droits et devoirs qui sont conférés à Israël en sa qualité d’État
constitué. Je veux dire à tous ceux qui sont tentés par la résignation face à
l’éternel retour de la guerre qu’il est temps de parler et d’agir. Il est temps
de mesurer l’impasse d’une France alignée et si sûre du recours à la force. Pour
lever le voile des mensonges, des omissions et des demi-vérités. Pour porter un
espoir de changement. Par mauvaise conscience, par intérêt mal compris, par
soumission à la voix du plus fort, la voix de la France s’est tue, celle qui
faisait parler le général de Gaulle au lendemain de la guerre des Six-Jours,
celle qui faisait parler Jacques Chirac après la deuxième intifada. Comment
comprendre aujourd’hui que la France appelle à la « retenue » quand on tue des
enfants en connaissance de cause ? Comment comprendre que la France s’abstienne
lorsqu’il s’agit d’une enquête internationale sur les crimes de guerre commis
des deux côtés ? Comment comprendre que la première réaction de la France, par
la voix de son président, soit celle du soutien sans réserve à la politique de
sécurité d’Israël ? Quelle impasse pour la France que cet esprit d’alignement et
de soutien au recours à la force.
Je crois que
seule la vérité permet l’action. Nous ne construirons pas la paix sur des
mensonges. C’est pour cela que nous avons un devoir de vérité face à un conflit
où chaque mot est piégé, où les pires accusations sont instrumentalisées.
Ayons le courage
de dire une première vérité : il n’y a pas en droit international de
droit à la sécurité qui implique en retour un droit à l’occupation et encore
moins un droit au massacre. Il y a un droit à la paix qui est le même pour tous
les peuples. La sécurité telle que la recherche aujourd’hui Israël se fait
contre la paix et contre le peuple palestinien. En lieu et place de la recherche
de la paix, il n’y a plus que l’engrenage de la force qui conduit à la guerre
perpétuelle à plus ou moins basse intensité. L’État israélien se condamne à des
opérations régulières à Gaza ou en Cisjordanie, cette stratégie terrifiante
parce qu’elle condamne les Palestiniens au sous-développement et à la
souffrance, terrifiante parce qu’elle condamne Israël peu à peu à devenir un
État ségrégationniste, militariste et autoritaire. C’est la spirale de l’Afrique
du Sud de l’apartheid avant Frederik De Klerk et Nelson Mandela, faite de
répression violente, d’iniquité et de bantoustans humiliants. C’est la spirale
de l’Algérie française entre putsch des généraux et OAS face au camp de la paix
incarné par de Gaulle.
Il y a une
deuxième vérité à dire haut et fort : il ne saurait y avoir de
responsabilité collective d’un peuple pour les agissements de certains. Comment
oublier le profond déséquilibre de la situation, qui oppose non deux États, mais
un peuple sans terre et sans espoir à un État poussé par la peur ? On ne peut se
prévaloir du fait que le Hamas instrumentalise les civils pour faire oublier
qu’on assassine ces derniers, d’autant moins qu’on a refusé de croire et
reconnaître en 2007 que ces civils aient voté pour le Hamas, du moins pour sa
branche politique. Qu’on cite, outre les États-Unis, un seul pays au monde qui
agirait de cette façon. Même si les situations sont, bien sûr, différentes, la
France est-elle partie en guerre en Algérie en 1995-1996 après les attentats
financés par le GIA ? Londres a-t-elle bombardé l’Irlande dans les années 1970 ?
Troisième
vérité qui brûle les
lèvres et que je veux exprimer ici : oui il y a une terreur en Palestine et en
Cisjordanie, une terreur organisée et méthodique appliquée par les forces armées
israéliennes, comme en ont témoigné de nombreux officiers et soldats israéliens
écœurés par le rôle qu’on leur a fait jouer. Je ne peux accepter d’entendre que
ce qui se passe en Palestine n’est pas si grave puisque ce serait pire ailleurs.
Je ne peux accepter qu’on condamne un peuple entier à la peur des bombardements,
à la puanteur des aspersions d’« eau sale » et à la misère du blocus. Car je ne
peux accepter qu’on nie qu’il y a quelque chose qui dépasse nos différences et
qui est notre humanité commune.
Il n’y a
aujourd’hui ni plan de paix, ni interlocuteur capable d’en proposer un. Il faut
tout reprendre depuis le début. Le problème de la paix, comme en Algérie entre
1958 et 1962, ce n’est pas « comment ? », c’est « qui ? ».
Il n’y a pas de
partenaire en Palestine car les partisans de la paix ont été méthodiquement
marginalisés par la stratégie du gouvernement d’Israël. La logique de force a
légitimité hier le Hamas contre le Fatah. Elle légitime aujourd’hui les
fanatiques les plus radicaux du Hamas voire le Djihad islamique. Se passer de
partenaire pour la paix, cela veut dire s’engager dans une logique où il n’y
aurait plus que la soumission ou l’élimination.
Il n’y a plus de
partenaire pour la paix en Israël car le camp de la paix a été réduit au silence
et marginalisé. Le peuple israélien est un peuple de mémoire, de fierté et de
courage. Mais aujourd’hui c’est une logique folle qui s’est emparée de son État,
une logique qui conduit à détruire la possibilité d’une solution à deux États,
seule envisageable. La résignation d’une partie du peuple israélien est
aujourd’hui le principal danger. Amos Oz, Zeev Sternhell ou Elie Barnavi sont de
plus en plus seuls à crier dans le désert, la voix couverte par le vacarme des
hélicoptères.
Il n’y a plus
non plus de partenaire sur la scène internationale, à force de lassitude et de
résignation, à force de plans de paix enterrés. On s’interroge sur l’utilité du
Quartette. On désespère de la diplomatie du carnet de chèques de l’Europe qui se
borne à payer pour reconstruire les bâtiments palestiniens qui ont été bombardés
hier et le seront à nouveau demain, quand les États-Unis dépensent deux
milliards de dollars par an pour financer les bombes qui détruisent ces
bâtiments.
Face à l’absence
de plan de paix, seules des mesures imposées et capables de changer la donne
sont susceptibles de réveiller les partenaires de leur torpeur. C’est au premier
chef la responsabilité de la France.
Le premier
outil pour réveiller
la société israélienne, ce sont les sanctions. Il faut la placer devant ses
responsabilités historiques avant qu’il ne soit trop tard, tout particulièrement
à l’heure où il est question d’une opération terrestre de grande envergure à
Gaza. Cela passe par un vote par le Conseil de sécurité de l’ONU d’une
résolution condamnant l’action d’Israël, son non-respect des résolutions
antérieures et son non-respect du droit humanitaire et du droit de la guerre.
Cela signifie concrètement d’assumer des sanctions économiques ciblées et
graduées, notamment pour des activités directement liées aux opérations à Gaza
ou aux activités économiques dans les colonies. Je ne crois guère aux sanctions
face à des États autoritaires qu’elles renforcent. Elles peuvent être utiles
dans une société démocratique qui doit être mise face aux réalités.
Le deuxième
outil, c’est la
justice internationale. L’urgence aujourd’hui, c’est d’empêcher que des crimes
de guerre soient commis. Pour cela, il est temps de donner droit aux demandes
palestiniennes d’adhérer à la Cour pénale internationale, qui demeure
aujourd’hui le meilleur garant de la loi internationale. C’est une manière de
mettre les Territoires palestiniens sous protection internationale.
Le troisième
outil à la disposition
de la communauté internationale, c’est l’interposition. À défaut de pouvoir
négocier une solution, il faut l’imposer par la mise sous mandat de l’ONU de
Gaza, de la Cisjordanie et de Jérusalem Est, avec une administration et une
force de paix internationales. Cette administration serait soumise à de grands
périls, du côté de tous les extrémistes, nous le savons, mais la paix exige des
sacrifices. Elle aurait vocation à redresser l’économie et la société sur ces
territoires par un plan d’aide significatif et par la protection des civils.
Elle aurait également pour but de renouer le dialogue inter-palestinien et de
garantir des élections libres sur l’ensemble de ces territoires. Forte de ces
résultats, elle appuierait des pourparlers de paix avec Israël en en traçant les
grandes lignes.
Nous n’avons pas
le droit de nous résigner à la guerre perpétuelle. Parce qu’elle continuera de
contaminer toute la région. Parce que son poison ne cessera de briser l’espoir
même d’un ordre mondial. Une seule injustice tolérée suffit à remettre en cause
l’idée même de la justice.
(publié dans LE Figaro du 1er août 2014)