Votation en Suisse : une réflexion sur la métropolisation

publié le 17 févr. 2014, 06:53 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 13 févr. 2019, 06:31 ]
    

    Les résultats de la dernière votation en Suisse sur l’immigration ont surpris le monde. Pourtant, le vote positif en faveur de la proposition du parti d’extrême-droite UDC tient à bien peu de choses : 19.000 électeurs et 0,68% d’écart avec le "non".

    Toujours animée de ses intentions malignes, MLePen a adressé ses félicitations à l’ UDC mais les résultats suisses montrent que le rejet, si rejet il y a, concerne les ressortissants européens qui viennent travailler dans la confédération ! Les Suisses UDCistes ne veulent plus de tant d’Italiens, d’Allemands, de Portugais, de Français, etc... MLePen pourrait être refluée à la frontière helvétique s’il lui prenait la bonne envie de s’expatrier.

    Le document ci-dessous (La Croix, 14 février), publié par le journal catholique français La Croix indique la composition par pays d’origine de la population étrangère en Suisse : quatre pays européens fournissent la moitié de cette population (48,9%) : Italie, Allemagne, France et Portugal. Avec les autres pays d’Europe -dont l’Espagne- on arrive à 75,6% : voilà ce que l’UDC repousse… La population africaine qui hante les nuits de MLePen ne représente que 4,1% de la population étrangère vivant en Suisse. «La Suisse dit «Fuck the EU» ce mot twitté fait le buzz en Suisse (NB. EU = union européenne).


 Les résultats

 La carte ci-dessous donne les résultats par canton.: http://www.tdg.ch/chart_map.html?id=1444 (carte inter-active) 

    

     Il y a une coupure Ouest-Est indéniable mais les votes du canton de Zurich et de celui de Bâle-Ville montrent que cela n’explique pas tout.

La langue ?

    (lire la carte http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Sprachen_CH_2000_fr.png) On pourrait lire une opposition Francophones vs Germanophones et Italophones. Mais Zurich, Zoug et Bâle-Ville contredisent cette lecture.   

La religion ?

  (lire la carte :   http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Karte_Religionen_der_Schweiz_2010.png) On ne peut pas tirer de conclusions à partir de ce critère. Le canton catholique de Fribourg a voté NON mais celui du Tessin a voté OUI. Le canton réformé de Berne et celui des Grisons ont voté OUI mais celui de Zurich a rejeté cette proposition UDC.

Le nombre d’immigrés dans le canton ?

    (voir la carte de La Croix placée en tête d’article). On pourrait penser que la sur-représentation d’immigrés a déterminé la population du canton concerné à approuver (vote OUI) la proposition UDC. Mais cela s’avère faux pour les cantons de Genève, de Vaud, de Bâle-Ville qui jouxtent les frontières de la Confédération et comptent plus de 30% d’immigrés dans leur population et qui ont voté NON. Zurich, le Valais et Neufchâtel, très concernés, ont également repoussé la proposition.

La métropolisation, trop rapide et ségrégative.

    Il est fécond de relever que le OUI xénophobisant est majoritaire dans les cantons qui comptent le moins d’immigrés. Ainsi sont les cantons de Berne, d’Obwald et de Nidwald, ainsi que celui d’Uri, et puis les deux cantons d’Appenzell-Rhodes. Si l’on met en face les résultats de Genève (39% seulement de OUI), de Bâle-Ville (39% également) et de Zurich (47% pour tout le canton), on peut conclure à une opposition Suisse-branchée vs Suisse-profonde.

    A peu près comme partout, les métropoles se montrent accueillantes à l’immigration. D’une part, le patronat réclame à cor et à cri l’accès libre au marché international du travail et d’autre part les titulaires d’emplois stratégiques créés par les firmes multinationales (FMN) ne se sentent guère concurrencés par l’immigration du maçon portugais. Une métropole se définit, en effet, comme une ville connectée aux flux mondiaux de circulation : flux de marchandises, de personnes, d’informations, de capitaux. On y dispose d’un aéroport international, d’un téléport, d’une gare Grandes Lignes et de trèfles autoroutiers. Tout est fait pour bien accueillir -ou conserver- les sièges d’institutions internationales et surtout les sièges sociaux des FMN ou de leurs filiales. C’est pourquoi ces villes sont équipées de bibliothèques, musées, opéra, théâtres, orchestre philharmonique… Bref, tout cela génère des emplois hautement qualifiés et la mondialisation est vécue comme un atout. On y vote indifféremment pour l’UMP ou le PS et leurs équivalents helvétiques. L’immigration n’y fait pas peur : soit il s’agit d’un brain-drain, d’un drainage des cerveaux au bénéfice de l’industrie et des services helvétiques high-tech, soit il s’agit d’une immigration pour les services élémentaires qui permettent aux cadres de vivre comme des bourgeois.

    Il en va différemment dans la campagne suisse.

    La Croix a publié un article (14 février 2014) qui me semble bien refléter la situation dans les pâturages. Voici un membre de l’UDC, garde-frontière qui a bien choisi son métier et qui a voté OUI. Il faut très peu d’imagination pour l‘entendre parler "de la lutte à la culotte". "Le vainqueur" de ce jeu dérivé de la lutte gréco-romaine et qui se pratique sur un cercle de sciure, "le vainqueur relève son adversaire pour lui enlever la sciure. Il y a un immense respect dans ce sport. C’est une tradition vivante qui n’est pas dans un musée". Ainsi est notre ami que la journaliste place "dans son paysage éternel -fils de menuisier et d’une famille de paysans, (qui) est né et a toujours vécu à Tavannes cf. carte- " et dont elle dit "qu’il entend défendre forêts et pâturages". On retrouverait donc la Suisse historique dont Victor Hugo présentait ainsi le résident :

Le Suisse trait sa vache et vit paisiblement…

    Et les mosquées alors ? Mosquées contre lesquelles le leader UDC a obtenu une votation qui en interdit la construction ? Fantasme absolu, l’envahisseur est européen. Mais -et c’est fort intéressant- le rural profond helvétique a voté contre la ville. "Il faut limiter l’immigration pour éviter que, dans cinquante ans, on ait une conurbation sans logique de Genève à Saint-Gall" dit notre garde-frontière NIMBY. Et La Croix d’interroger une collègue qui est aussi historienne "Il y a un ressentiment historique de la campagne contre la ville. La matrice anti-urbaine est forte et le tourisme l’a renforcée avec l’idée que ce pays a de la valeur parce que ses paysages sont beaux. La ville n’est pas un modèle positif". Il faut savoir que l’UDC est issu d’un mixte de partis. Je vous invite à lire l’article Wikipaedia, Union démocratique du Centre, dont voici le début :

L'Union démocratique du centre est née le 22 septembre 1971 suite à la fusion du Parti des paysans, artisans et bourgeois (PAB) — fondé à Zurich en 1917 sous le nom de Parti des paysans et renommé en 1937 lors de la constitution d'un parti suisse à partir des sections de Zurich et de Berne — et de deux partis de Suisse alémanique (basés à Glaris et aux Grisons). Du fait de cette filiation, l'UDC est toujours appelée « parti agrarien ». En Suisse romande, le parti s'appelait Parti des paysans, artisans et indépendants (PAI)

    En France, nous avons aussi un parti Indépendant & Paysans dont une figure célèbre fut Antoine Pinay, membre du Conseil national de Vichy-Pétain.

    Ainsi, cette hostilité à la ville reprend un vieil argumentaire que j’évoque dans mon livre (chapitre VII) et que l’on doit à un aristocrate, figure de proue de la pensée traditionaliste, le vicomte de Bonald. La ville c’est le péché, le vice,  un artefact, l’illusoire et le provisoire. La terre, elle, ne ment pas. Ses valeurs sont éternelles comme la neige des Grisons. 

    En fait, on retrouve aussi cette fracture régionale entre régions connectées, branchées et régions délaissées ou à la traîne. Fracture bien signalée par G. Martin dans son article Aux sources du vote FN : Les métropoles et le désert français, par G. Marin où il écrit : "depuis 5 ans, les seuls territoires qui ont créé de l’emploi sont ceux des métropoles qui concentrent l’essentiel des couches supérieures et des flux migratoires". Le capitalisme financier de spéculation crée une crise régionale.

P.S. Cette opposition villes-campagnes, villes-régions rurales nous est jetée à la figure par les résultats des votes pour la présidentielle américaine (ajout du 10 novembre 2016).

Aussi, la crise sociale dite des "Gilets jaunes" est une réaction au délaissement des régions non métropolitaines (février 2019).

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