Les événements dramatiques qui se sont produits dans l’Est de l’Ukraine aujourd’hui, vendredi 2 mai, constituent une accélération indiscutable du processus conduisant à la guerre civile, et à terme à la partition du pays. Comme on le présageait, l’accord de Genève est en train de sombrer, et avec lui le futur d’une Ukraine indépendante[1]. À côté du « front » de Slaviansk, où les forces du gouvernement provisoire ont tenté de réduire les insurgés, non sans pertes de part et d’autre (2 hélicoptères des forces de Kiev détruit, et un total de 5 morts), c’est vers Odessa que tous les regards se tournent. Dans cette ville des affrontements entre partisans du gouvernement provisoire et insurgés pro-Russes ont fait au moins 3 morts, tandis qu’un meurtrier incendie, dont on ne sait encore qui l’a provoqué, aurait tué près d’une quarantaine de personnes[2]. D’ores et déjà chacun des deux camps rejette sur l’autre la responsabilité des victimes. Il
y a cependant des faits indiscutables, et qui sont reconnus par la plupart des
observateurs :
1. L’est de l’Ukraine est
bien en état d’insurrection. Aux militants partisans d’un rattachement à la
Russie se joignent des Ukrainiens qui expriment leur profonde défiance envers le
gouvernement de Kiev et ses soutiens. Une partie importante de la population a
pris la défense des partisans d’un rattachement à la Russie, tandis qu’une
fraction plus ou moins importante selon les endroits des forces de l’ordre
(police et armée) a basculé en faveur de ces militants ou se refuse à intervenir
contre eux. Le discours officiel que l’on entend que ce soit à Kiev ou dans les
capitales européennes selon lequel il ne s’agirait que de quelques dizaines
d’agitateurs payés par Moscou devient intenable. Il est moralement
indigne. 2. Dans ces conditions, la volonté
du gouvernement provisoire de continuer ce qu’il appelle une « opération
anti-terroriste » est devenue la cause principale des violences meurtrières. Il
est urgent que ce gouvernement rappelle ses forces car la violence non seulement
ne règlera rien, mais elle fait empirer d’heures en heures la situation. Seul un
retrait immédiat des forces du gouvernement provisoire est à même de ramener le
calme. 3. Ce gouvernement de fait s’entête
dans une attitude suicidaire : il prétend être le seul à pouvoir décider du
compromis constitutionnel indispensable à un retour à la stabilité, mais se
comporte de telle manière qu’il perd désormais rapidement son autorité et sa
légitimité dans les régions de l’est de l’Ukraine. Qui voudra et acceptera de
négocier avec un gouvernement qui a désormais du sang sur les mains ? Cela n’est
possible que si le gouvernement provisoire change d’attitude. Mais, il sera contraint de faire des
concessions importantes après ce qui s’est passé
aujourd’hui. 4. Les gouvernements des pays de l’Union Européenne, mais aussi les Etats-Unis et le FMI sont enfermés dans un déni de réalité qui devient de plus en plus préoccupant. Ils concentrent leur attention sur la Russie, ce qui ne correspond pas à la situation. Redisons-le : on n’est pas en présence de « quelques agitateurs » mais d’un mouvement insurrectionnel. Cette réalité doit être acceptée. Par ailleurs, on tire des plans sur la comète avec un plan de stabilisation financière, alors que le pays est en train de glisser de plus en plus rapidement vers la guerre civile. Il importe donc, si l’on veut éviter le pire, et en admettant qu’il en soit encore temps, ce dont on peut douter après les événements d’aujourd’hui, de comprendre qu’il n’y a de solution à la situation dramatique de l’Ukraine qu’à trois conditions : 1. Une déclaration commune des Etats-Unis, des principaux pays de l’Union Européenne et de la Russie sur une future Ukraine indépendante doit stipuler que ce pays n’a pas vocation à rejoindre, ni de près ni de loin l’UE ou l’OTAN. Le corollaire d’une telle déclaration est qu’il convient de cesser le plus rapidement possible la parade des sanctions prises contre la Russie. 2. Le futur institutionnel de l’Ukraine doit reconnaître la dualité entre Ouest et est du pays. La forme précise, fédéralisme ou confédération, doit être décidée par les seuls Ukrainiens, dans le cadre d’une assemblée constituante ou d’une commission de réconciliation nationale. 3. Mais, avant tout, il importe de faire cesser les violences et pour cela il faut impérativement que le gouvernement provisoire rappelle toutes les forces, armée et garde nationale, qui sont pour l’heure déployée dans l’est du pays. De son côté, la Russie doit s’engager à ne pas intervenir, directement ou indirectement. Il est peut être possible d’arrêter l’engrenage infernal de la guerre civile. C’est désormais la responsabilité des pays de l’Union Européenne, que d’agir pour qu’il en soit ainsi. La responsabilité devant l’Histoire de l’UE et de certains des pays qui en sont membres dans la déstabilisation de l’Ukraine leur impose moralement d’agir pour éviter la catastrophe. Mais, il faut agir vite. Il est peut être déjà trop tard. Le
2 mai 2014 [1] Sapir J.,« Ukraine, après Genève »,note publiée sur Russeurope, le 19 avril 2014, URL :http://russeurope.hypotheses.org/2199 [2] http://www.romandie.com/news/Operation-a-Slaviansk-et-incendie-meurtrier-a/474028.rom |