Retrouvée… ?
J’exagère
un peu. Mais enfin, les résultats du premier tour des élections
municipales italiennes sont un vrai camouflet pour Berlusconi. Une
claque
monumentale comme la façade de la gare ferroviaire de Milan construite
sous
Mussolini (private joke).
Les
résultats sont les suivants
|
2011
|
2006
|
|
voix
|
%
|
voix
|
%
|
Droite
|
|
41,58
|
|
51,96
|
Berlus.
|
171.222
|
28,74
|
191.995
|
32,22
|
LigueN
|
57.403
|
9,63
|
22.702
|
3,75
|
Gauche
|
|
48,04
|
|
46,97
|
P.D./Olivier
|
170.551
|
28,63
|
133.315
|
22,02
|
Divers
|
|
10,32
|
|
01,00
|
Union des
centres
|
|
5,54
|
|
|
Source :
Corriere della sera
Berlusconi
est né à Milan. C’est "sa ville", son fief, son bastion
dirait la
Ligue du Nord, son alliée, qui n’a que des références médiévales[1]. Le club de l’AC Milan est son jouet. En 2006,
sa
liste avait été élue dès le premier tour. Comme toujours depuis 15 ans.
Les
sondages et bruits de couloir annonçaient une réélection difficile avec
1%
d’avance seulement pour le maire sortant : Mme Letizia Morati. Cette
dame
a bénéficié d’un budget de campagne exceptionnel. Les bruits les plus
divers
ont circulé : 35 millions d’euros ? D’autres disent 65 ! Il est
vrai que son époux est un magnat du pétrole italien, magnat dont le
frère est
président de l‘Inter de Milan. Le foot italien est entre de bonnes
mains. Mais
en visitant Milan on constatait en effet, que la droite et
l’extrême-droite
avaient les coudées franches. Mme Morati a écrit un livre, intitulé très
modestement "Io, Letizia"[2] distribué gratuitement. Les affiches étaient
envahissantes, les jeunes gens, rémunérés pour le faire, distribuaient
des
tracts chaque jour, sur chaque marché de chaque quartier… Mais les
sondages ne
montaient pas et le président du conseil en exercice a dû se résoudre à
monter
au créneau ou à entrer en lice, s’emparant du glaive lombard. Sa tête à
l’éternel sourire figé était mise en avant : il était premier de la
liste.
Voter Berlusconi, c’était voter pour "le peuple de la liberté",
c’était voter pour le renouvèlement
du mandat de Mme Morati : cette municipale devint un plébiscite pour ou
contre le cavalier.
Mal
lui en a pris. La sanction est tombée : la droite et extrême-droite
berlusconiennes perdent 10% et sont en ballotage très défavorable.
Certes le Ligue
du Nord progresse. Mais c’est un parti en train de s’installer, il n’a
pas
trouvé son profil d’équilibre. Le parti de Berlusconi perd presque 4%[3] et encore, peut-on penser que beaucoup
d’électeurs
des autres petits partis de droite de la coalition ont serré les rangs
derrière
le Président du conseil.
Cette
chute brutale de 10% ne profite pas tant à la gauche de Pisapia
Giuliano (P.D.) qui ne gagne que 1% sur le scrutin de 2006. Elle dépasse
cependant les 48%. En son sein le Parti démocrate progresse de 6,6%
et
-pour 671 voix et 0,09%- rate de très peu la première place à Milan,
place qui
reste au "au peuple de la Liberté".
Ce
sont les "divers" qui gagnent plus de 9% dont une
Union des centres qui fait 5,5%.
Au
total, c’est une lourde défaite pour Berlusconi. Mon voyage à Milan m’a
permis
de saisir une grande lassitude des Milanais à l’égard de l’équipe en
place, y
compris dans les rangs d’une certaine bourgeoisie[4]. Milan estime valoir beaucoup mieux comme
gestionnaires et comme image dans le monde.
Papa beato
Quand
je suis arrivé à Milan, c’était la fin de la célébration de la
béatification de
Jean-Paul II. Cette célébration me semble très italo-italienne. Il est
vrai que
le Vatican joue un rôle dans la politique intérieure italienne que l’on
ne peut
comprendre en France. L’Italie est un pays très religieux. Si l’on a de
la
peine à trouver des miracles dont Jean-Paul II serait l’initiateur, ceux
de Pie
X ne pose aucun problème. On sait que ce pape faisait se déclencher le
carillon
des cloches par sa seule présence[5]. A Milan, on trouve un hôpital Saint Pie X, un
oratorio Saint Pie X, etc...
Cette
pieuse Italie, à Milan aussi, est le pays du soleil et les femmes y
portant
aussi des sous-vêtements. Et à côté de l’omniprésence de la religion, on
constate l’omniprésence des affiches publicitaires avec de fort jolies
filles
très dénudées. Je me demande comment certains résolvent cette
contradiction.
C’est assez amusant.
Mais
la hiérarchie assume. Dans le journal Repubblica,
on a pu lire la lettre ouverte d’un curé italien à son évêque, dans
laquelle il s’étonne que l’Eglise soit quasiment silencieuse face aux
frasques
de Berlusconi alors que tous ses médias tombaient à bras raccourci sur il
professore, Romano Prodi, bon époux,
bon père, catholique pratiquant de surcroît mais, soutenu par la gauche
laïque ! Péché impardonnable. Mais en échange de son silence, la
hiérarchie obtient à peu près tout ce qu’elle désire du Président du
Conseil.
Il faudrait trouver l’équivalent théologique de l’argent n’a pas
d’odeur.
Les Rouges et les Bleus
Pendant
mon séjour, le Milan AC a obtenu son Xème titre de champion d’Italie.
Bonjour
les klaxons jusqu’à deux heures du matin et au-delà ! Les Italiens
n’hésitent pas à afficher leurs couleurs à leurs balcons et fenêtres. Il
y a
les Milanistes et les Interistes. Les Rossoneri vs les
Nerrazzurri. Le titre de champion n’a pas profité à
Berlusconi lors des élections. Les Milanais sont des gens lucides. Mais
enfin,
cette ligne de partage Rouges vs Bleus est frappante à constater. Cela
remonte
à la nuit des temps romains.
"Aux pieds de l’édile, les attelages, avant de
prendre
leur élan, étaient venus occuper la place que le sort leur avait
assignée, dans
un ordre impeccable et une mise en scène éclatante. Chacun d'eux
représentait
avec honneur celle des écuries, ou factiones,
entre lesquelles ils étaient réparties (…).il est
certain qu'il n’y avait habituellement
que quatre factiones, et que souvent au moins à partir du II°
siècle de
notre ère, elles s'associaient entre elles deux par deux ; d'une part,
les
Blancs (factio albata) et les Verts (factio prasina) et de
l'autre, les Bleus
(factio veneta) et les Rouges (factio russata) … Chacune
de ces factiones, outre les cochers (aurigae, agitatores)
qu'elles se
disputaient à prix d’or, entretenait un nombreux personnel.
Les cochers ou
auriges, connaissaient la gloire et
davantage. Bien qu'ils fussent de basse extraction, pour la plupart des
esclaves que pouvait affranchir la répétition de leurs succès, ils
étaient
relevés de leur humilité par la renommée qu'ils s'étaient acquise et par
les
fortunes qu'ils amassaient rapidement en additionnant aux dons qu'ils
recevaient des magistrats ou du prince, les salaires exorbitants qu'ils
exigeaient des domini factionum pour
n'en point déserter les couleurs. A la fin du Premier siècle, et dans la
première moitié du deuxième après Jésus-Christ, Rome s'enorgueillissait
de la
présence de ces auriges d’élite qu'elle dénommait des miliarii,
non parce qu'ils étaient millionnaires, mais parce qu'ils
avaient gagné le prix au moins mille fois : Scorpus, 1 043 fois,
Pompeius
Epaphroditus, 1 467 fois, Pompeius Musdosus, 3559 fois, et Dioclès
enfin, qui,
ayant remporté 3 000 victoires dans des courses de biges et 1462
victoires dans
des courses de quadriges ou d'attelages plus importants encore, eut la
sagesse,
vers 150 après Jésus-Christ, de se retirer de l'arène avec 35 millions
de
sesterces. Friedänder a rapproché de ces performances et de ces gains
l'exemple
des jockeys d'Epsom à la fin du XIXe siècle: Wood, mort à vingt-neuf
ans,
multimillionnaire ; Archer qui, pendant six années de courses, totalisa
1172
prix et 60 000 livres sterling. Mais, égaux aux modernes par le nombre
et la
rémunération de leurs succès, les jockeys de l'antiquité romaine les
surclassent par le prestige dont ils ont joui et l'honneur qui les
environna.
Dans la Ville, on vantait
leurs frasques au lieu de
les déplorer, et si, par exemple, ils s'avisaient, pour se divertir, de
bourrer
ou même de dévaliser les passants, la police fermait les Yeux. Sur les
murs de
la rue, dans les appartements des insulae,
leur portrait était exposé en d'innombrables exemplaires"[6].
Toute
ressemblance avec l’actualité footballistique
n’est pas une coïncidence !
[1] Le logo de la
Ligue du
Nord est un guerrier médiéval avec casque, glaive et écu. Sur cette
emprise du
Moyen-âge sur les partis d’extrême-droite, lire le chapitre I de mon
livre.
[3] Cette
différence de
pourcentage s’explique par le mode d’élection : les partis se présentent
librement mais annoncent pour quel maire leurs élus éventuels voteront.
Ils
forment de facto une coalition. Dans
la coalition Morati, on comptait douze partis dont celui de Berlusconi.
Si la
coalition perd 10%, en son sein le parti du Président du Conseil ne perd
que
4%.
[4] Ce que
confirment la
faible progression de la Gauche et l’émergence d’un centrisme milanais.
[6] D’après Jérôme
CARCOPINO, "la vie quotidienne à Rome à l’apogée de l’Empire".