ESTIVALES 2013 DU FRONT DE GAUCHE. Atelier : Turquie, Tunisie, Egypte : état des lieux.

publié le 27 août 2013, 08:20 par Jean-Pierre Rissoan
   

Aux journées ESTIVALES du front de Gauche (24 et 25 août), se sont tenus des dizaines d’ateliers de réflexion et d’études. J’ai participé à celui-ci. Je ne cite pas le nom des auteurs étrangers parce que je ne voudrais pas qu’ils soient compromis par ce compte-rendu qui est, certes, le plus honnête possible mais enfin qui m’engage aussi.

Alain Billon commence par rappeler ce que fut le « Printemps arabe » et dresse une typologie.

Il y a d’abord les pays où la révolution, les évènements plus modestement, ont été « digérés » : Maroc, Algérie, Bahreïn. Il y a ensuite les pays où ils ont débouché sur une guerre civile : la Syrie, la Lybie (dans un premier temps). Enfin, 3° type, les pays où la révolution, le processus a réussi ou se poursuit : Tunisie, Egypte.

Il laisse immédiatement la parole à un jeune universitaire turc travaillant en France.

LA TURQUIE

L’orateur part de 1980 où un coup d’Etat militaire réussit provoquant une « dépolitisation » massive de la population, sauf au Kurdistan bien au contraire, coup d’Etat après lequel, l’Islam politique est quelque peu bridé. Le coup d’Etat ouvre la voie à une politique économique ultra-libérale.

Aujourd’hui, le pouvoir est aux mains d’un parti issu de l’Islam politique, l’AKP, qui a profité des suffrages populaires des musulmans lassés de la « laïcité » des militaires, qui est un parti de la bourgeoisie, laquelle bourgeoisie vit son « âge d’or » - mot discutable, car il implique l’idée que la situation sera suivie d’un déclin JPR -, prospérité économique basée sur la priorité donnée aux exportations. Autre élément nouveau : l’armée - qui a toujours joué un rôle central dans la Turquie de Mustapha Kemal - est aujourd’hui domestiquée (comme le démontré un récent procès très médiatisé). L’occupation en juin de la place Taksim à Istanbul a été une bonne surprise. Comment l’analyser ?

La population dépolitisée évoquée au début, c’était il y a presque 35 ans ! Les manifestants, jeunes le plus souvent, ont manifesté un ras-le-bol contre la politique d’ordre moral, d’ordre musulman dirais-je (JPR) d’AKP (exemple, la remise en cause de l’IVG, du droit des femmes en général, de la liberté individuelle). C’est un mouvement populaire sur des bases de libertés, de féminisme, jeune. Surtout, et l’intervenant a insisté là-dessus, « le mur de la peur » est tombé. Peur des militaires, peur des intégristes. « Une génération est rentrée en politique ».

Chose très importante, le mouvement était plutôt pro-kurde. Vraie révolution en Turquie. Il y eut sur ce point des photos qui ont fait le tour du monde. Mais, la bourgeoisie turque, une fraction en tout cas, veut en finir avec le problème Kurde qui est une épine dans son pied. Mauvaise pour l’image du pays dans le monde. D’où des négociations en cours d’ailleurs. (Je rappelle, JPR, que le Kurdistan turc -si j’ose écrire- est véritablement stratégique. A double titre : c’est un château d’eau, sources du Tigre et de l’Euphrate et l’eau c’est la vie en Orient plus qu’ailleurs, c’est d’autre part, la voie de passage des oléoducs existants ou en projets de la Caspienne à la Méditerranée).

Mais, ce mouvement de la place Taksim, au départ lutte contre un projet d’urbanisme qui remet en cause un espace vert au profit d’investisseurs immobiliers, incarnation du capitalisme sauvage soutenu par AKP, ce mouvement ne fut pas un « mouvement de classe » selon l’orateur. A preuve : la faiblesse de la mobilisation ouvrière : pas de grèves.

L’ÉGYPTE

Pour simplifier disons tout de suite que l’on va parler de trois acteurs : les Frères Musulmans (FM ou Frères), extrême-droite religieuse, l’Armée et le « mouvement » révolutionnaire.

L’intervenante, jeune chercheure française, pose immédiatement le problème du « coup d’Etat » de l’armée. Selon elle, pour le Mouvement, la légitimité de la rue est ressentie comme supérieure à la légitimité des électeurs. Il faut en effet savoir que les élections qui virent la victoire des FM et de Morsi ont été organisées par l’administration Moubarak -qui est restée entièrement en place- avec toutes les réserves que cela comporte en termes de tenues des listes électorales, de régularité du scrutin, etc… J’ajoute (JPR) qu’en France, notre révolution n’a pas hésité à balancer l’Assemblée législative après la révolution du 10 août 1792 (prise des Tuileries). Il faut donc éviter de tomber dans le légalisme. Soit on fait la révolution, soit on ne la fait pas. Cela dit, dans un pays de vieille tradition électorale comme la France, ce discours ne tient plus, bien sûr.

Mais surtout, les FM se sont décrédibilisés eux-mêmes et rapidement : au pouvoir, ils n’ont rien fait, rien au plan social -or la demande est forte -, ils se sont montrés autoritaires, briseurs de grèves ouvrières, etc. Bref, la déception et leur délégitimation ont été rapides. D’où le nouveau slogan du Mouvement ; « Pain, liberté, justice sociale ».

Bien sûr, l’Armée en tant que telle pose question. C’est, selon l’intervenante, une force contre-révolutionnaire. C’est une force constitutive de l’appareil d’Etat, elle a eu la possibilité de créer ses propres entreprises et aujourd’hui, l’Armée, ses entreprises et son travail dans l’économie parallèle -c’est-à-dire non déclarée- c’est 30% et plus du PIB égyptien. C’est tout à fait considérable. Ajoutons, que, sous Moubarak, elle était subventionnée par les Américains : 1,5 milliard de dollars (faciles à imprimer, qui s’ajoutent aux 17.000 milliards de dettes des États-Unis, JPR). L’Égypte est stratégique pour le couple USA-Israël : canal de Suez, question palestinienne, accord de paix signé par Sadate…Mais, fort habilement, l’Armée rejoue sur la corde nassérienne : on sait que le coup d’Etat des colonels en 1954 fut un acte progressiste, chassant le roi collabo des Britanniques, nationalisant le canal de Suez... l’Armée a longtemps eu une bonne image dans le pays. Aujourd’hui, la plupart des acteurs du Mouvement juge ce discours démago. Cependant, face aux FM, jugés ennemis prioritaires, certains progressistes se rangent derrière l’armée, à l’image du Premier secrétaire des Syndicats indépendants qui a accepté le poste de ministre du travail dans le gouvernement actuel.

Les camarades du Mouvement posent dorénavant le problème de la manière suivante : « ni FM, ni Armée ». Il y a des grèves ouvrières nombreuses, des syndicats indépendants hors appareil d’Etat, la mobilisation reste grande.

Mais, à l’image du premier secrétaire, beaucoup font passer l’anti-islamisme, la lutte contre un État théocratique avant la question sociale.

LA TUNISIE

L’intervenant est un camarade tunisien d’un parti de gauche révolutionnaire. Son analyse vis à vis des islamistes est forte et sans détours. Ils représentent une menace fasciste.

Après une « dictature laïque » -celle de Bourguiba- on est passé à une « dictature mafieuse », celle de Ben Ali, membre de l’Internationale socialiste. Puis la révolution a éclaté, après la mort de ce jeune marchand de pommes, Mohamed Bouazizi, titulaire du baccalauréat, dont la police a voulu interdire l’activité et qui s’est suicidé en s’immolant par le feu, un jour de décembre 2009. Là aussi, il y eut consultation électorale. « La crainte de dieu parmi des populations rarement éduquées et les paniers de victuailles distribués le jour des élections ont fait le reste » écrit P. Barbancey. Comme l’intervenant tunisien, Barbancey souligne que les partis musulmans -plus ou moins tenus en laisse par Ben Ali- ont pris leur revanche au moment de ces élections, eux qui avaient survécu grâce aux réseaux des mosquées et à l’argent des monarchies du Golfe persique.

Victorieux, le parti islamiste Ennahdha a lui aussi déçu. Il a opéré un véritable coup d’Etat en changeant sa mission : majoritaire dans une assemblée constituante -c’est-à-dire dont le rôle est de rédiger une nouvelle constitution et non pas de gouverner sur le long terme - il s’est transformé de lui-même en parti de gouvernement de facto, sans rédiger de constitution. Les droits des femmes -que l’on croyait depuis Bourguiba solidement établis en Tunisie- ont été remis en cause. L’intervenant nous dit que des milliers de jeunes filles ont été littéralement expédiées en Syrie pour servir de filles à soldats aux forces financées par le Qatar et hélas soutenues par les Occidentaux. Les viols se font en toute légalité islamique : un imam marie le soldat et la fille, après le viol, l’imam proclame le divorce. C’est innommable. Aujourd’hui encore, Ennahdha invite des Wahhabites qui bénéficient de passe-droit aux aéroports et filent directement on ne sait où. Ces Wahhabites sont excessivement dangereux et représentent la réaction la plus noire.

D’ailleurs, la prise de conscience de ce que représente vraiment ce gouvernement d’Ennahdha a débuté le 6 février 2013 avec l’assassinat par des brigands stipendiés de Chokri Belaïd, un leader du socialisme révolutionnaire en Tunisie. Puis, nouvelle alerte avec l’assassinat de Mohamed Brahmi, député, le 25 juillet dernier. Ce sont des actes terroristes appliqués par des gens qui militent pour l’établissement du capitalisme le plus libéral en Tunisie. D’où la qualification de fascisme (terreur + capitalisme).

Les forces révolutionnaires et démocrates de Tunisie ne désarmement pas. Leur slogan est « Travail, liberté, dignité » ou bien « Pain, liberté, dignité ». Le puisant syndicat UGTT a rejoint l’opposition au parti Ennahdha. C’est un apport considérable pour les Tunisiens du changement.

Rappelons que l’assemblée constituante avait été élue pour un an, il y a…deux ans. Dégage !

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