Toute l’Allemagne n’est pas repue, rentière, embourgeoisée, vautrée dans sa bière et ses saucisses. Le parti de Gauche -Die Linke- vient d’adopter, enfin, un programme politique pour les années/élections à venir. Je dis ‘enfin’ parce que les différences existantes entre les deux courants du parti, différences qui s’expliquent par leurs origines, ont longtemps bloqué la vie politique de ce parti tout neuf. Die Linke, en effet, est né de la réunion de l’ancien Parti communiste de l’Allemagne de l’Est et d’anciens socio-démocrates et syndicalistes de l’Allemagne de l’Ouest. Tout ce qui touche Die Linke nous concerne : c’est notre partenaire pour faire un couple franco-allemand révolutionnaire qui changera l’Europe du fric qui existe aujourd’hui. Le parti allemand Die Linke est de nouveau en ordre de bataille : tous les démocrates ne peuvent que s’en réjouir. J.-P. R.
Après plusieurs mois de vives discussions entre radicaux et réformistes sur l’orientation fondamentale de La Gauche, les 600 délégués allemands, réunis ce weekend lors du congrès d’Erfurt, ont trouvé un compromis sur un texte de référence. Une nouvelle fois, la ville d’Erfurt a été le rendez-vous de la gauche allemande avec l’adoption d’un grand programme politique. Le parti Die Linke, La Gauche, a adopté le sien ce week-end dans la capitale de la Thuringe. Quelque 96,9% des 600 délégués, réunis dans le grand hall de la foire exposition, ont célébré dans l’enthousiasme ce moment qui «fera l’histoire», a lancé un Oskar Lafontaine de nouveau au mieux de sa forme, dans un discours très offensif, dénonçant la «dictature des marchés financiers sur l’Europe» peu avant la conclusion du congrès, hier après-midi. L’adoption de ce texte de référence était devenue un passage obligé, une priorité dont l’urgence ne cessait de se renforcer pour le parti, fondé il y a plus de quatre ans et qui n’avait cessé depuis lors de repousser son adoption. Car loin d’évacuer les fortes divergences entre deux sensibilités –l’une réputée «radicale» et l’autre «réformiste»–, son absence contribuait à les aiguiser dangereusement. Jusqu’à provoquer une redoutable cacophonie, en bonne partie responsable des reculs substantiels enregistrés par Die Linke dans les multiples scrutins régionaux de cette année 2011 qui se reflètent dans les sondages au plan national (entre 6% et 8% des voix contre près de 12% lors de l’élection du Bundestag de 2009). Pour une «nationalisation du secteur bancaire» Die Linke peut donc se mettre de nouveau en ordre de bataille. Le texte adopté va maintenant être envoyé aux adhérents pour une ultime ratification. «Nous avons réussi un travail incroyable», s’est réjoui Klaus Ernst, l’autre coprésident du parti, interpellé par l’Humanité, en faisant allusion à la capacité des uns et des autres à s’entendre sur des compromis et à préserver la force que constitue la pluralité assumée de la formation. La crise, celle-là même qui continue de s’intensifier en Europe au moment où se déroulait le congrès, s’est d’évidence invitée dans les débats en faisant apparaître la pertinence et le besoin de réponses plus conséquentes. De nombreux délégués ont évoqué la convergence de leur combat avec celui des Indignés, qui rassemble régulièrement, depuis quelques jours, des milliers de jeunes gens autour des hauts lieux de la finance à Francfort et ailleurs. Dans son programme, Die Linke se prononce pour une «nationalisation du secteur bancaire». Et elle invoque, sous l’impulsion de la députée Sarah Wagenknecht, responsable des questions économiques pour le groupe Die Linke au Bundestag et figure de la gauche communiste au sein de la formation, la nécessité d’un découplage des finances des États d’avec les marchés financiers grâce à la création d’une banque publique européenne qui pourrait se refinancer directement auprès de la Banque centrale européenne (BCE). Le programme d’Erfurt pointe également l’importance de la question de la propriété, revendiquant un bouleversement démocratique des organes de décision dans les entreprises. Il se prononce pour l’abrogation de la retraite à soixante-sept ans et des lois Hartz IV (pierre angulaire de la terrible dérégulation sociale de ces dernières années). Quelques sujets sensibles ont été âprement discutés jusqu’au bout. Comme l’exigence de retrait des troupes allemandes des théâtres d’intervention étrangers, y compris lorsque ces interventions sont «mandatées par le chapitre VII des Nations unies». Le programme se prononce pour une dissolution de l’Otan. La direction du parti sera renouvelée en juin Après l’adoption de son programme, Die Linke va se consacrer au renouvellement de sa direction. Un nouveau congrès, convoqué en juin à Göttingen, en aura la charge. Pour ne pas compliquer le débat, «nous avons séparé volontairement les questions du contenu et du personnel politique», confie à l’Humanité un proche de la direction. Le bilan de la «double tête» (Gesinne Lötsch et Klaus Ernst) qui préside la formation depuis un an et demi est très critiqué. Ses prestations publiques, après celles du duo Lafontaine-Bisky, apparaissent pâles et ont été souvent émaillées de maladresses. Dans l’intervalle, les spéculations sur la composition de la nouvelle double tête du parti vont donc bon train. D’aucuns évoquent un come-back d’un Lafontaine, guéri de son cancer, qui pourrait postuler tout le moins pour la candidature à la chancellerie de Die Linke. D’autres la consécration de la communiste, Sarah Wagenknecht, figure charismatique montante de la gauche au sein du parti. Bruno Odent (envoyé spécial de l’Humanité).
Interview de Klaus Ernst, co-président de Die Linke : « Les peuples d’Europe doivent se soulever » Êtes-vous satisfait du congrès ? Klaus Ernst. Oui, car c’est la preuve que sur les questions essentielles les militants de Die Linke sont capables de s’accorder. Les propositions du compromis avancé par Gesinne Lötsch (l’autre coprésidente du parti – NDLR) et moi-même ont été très largement acceptées. La volonté de s’unir et non de triompher au détriment des autres s’est imposée. Quels sont les points forts de votre nouveau programme ? Klaus Ernst. Il y a trois points clés à mes yeux : une plus juste redistribution des richesses, une hausse des salaires et des standards sociaux. Et enfin tout ce qui a trait à la démocratie économique, comme le droit de copiloter les grandes entreprises ou de se prononcer par référendum. Comment faire face à la crise de l’euro ? Klaus Ernst. Il faut absolument réduire les graves déséquilibres apparus au sein de la zone euro. Les excédents allemands sont bien trop importants. Le moyen de les réduire, c’est d’augmenter les salaires et les pensions. Mais il faut agir aussi sur le plan de la finance. Les banques ont été sauvées par les États. Et pour voler au secours du système financier, ces derniers se sont surendettés auprès de ces mêmes banques. C’est absurde. Nous proposons que les finances des États soient découplées des marchés financiers. Par le biais de la création d’une banque publique européenne qui se refinancerait directement auprès de la BCE. Quant aux banques qui continuent aujourd’hui d’imposer leur vue, nous devons les placer sous un véritable contrôle public pour qu’elles changent d’orientation et financent l’économie réelle. C’est-à-dire une vraie nationalisation à la différence de l’étatisation pratiquée ici en 2008-2009 pour sauver de la faillite les établissements touchés par la crise. Quel message adressez-vous aux autres peuples ? Klaus Ernst. Il faut faire en plus grand ce que le mouvement des Indignés a initié un peu partout. Les peuples d’Europe doivent se soulever et mettre leurs gouvernements sous pression. Les banques doivent être régulées et dominées par la puissance publique. |