Les résultats catastrophiques de la présidentielle du Brésil ne laissent pas d’inquiéter. Une brute vient d'être élue. Voici quelques cartes qui permettent d’expliquer les résultats électoraux. Et d'abord une carte générale par État (le Brésil est un pays fédéral). Fernando Haddad, le candidat du PT arrivé en tête dans 11 des 27 États,
l’a emporté dans les 9 États du Nordeste, c’est-à-dire le Brésil le plus
pauvre. En 2014, les résultats avaient été les suivants (carte ci-dessous) : l'élection opposait, au second tour, la candidate du Parti des Travailleurs (PT) -Dilma Rousseff - à un candidat de droite (modéré par rapport à Bolsonaro fasciste). en 2010 (ci-contre). Hervé Théry, chercheur au CNRS-Credal et professeur
invité à l’Université de São Paulo, a utilisé les données municipales pour
affiner la géographie du vote du 3 octobre pour les trois principaux candidats
à la présidence du Brésil. Il écrit : La dauphine du président Lula, Dilma Rousseff, gagne nettement dans les régions pauvres, Nordeste (plus le nord du Minas Gerais, incluses dans le « polygone de la sécheresse ») et dans l’État d’Amazonas (mais pas dans le Para ni dans l’Acre, deux autres États amazoniens). José Serra gagne à São Paulo et dans les parties orientales du Sud (dans l’ouest rural c’est plutôt Dilma) et dans les régions pionnières de l’ "arc du déboisement". C’est là que la candidate du Parti vert, Marina Silva – assez logiquement – fait ses plus mauvais scores (19,3% au 1er tour). En revanche, elle est bonne – là aussi assez logiquement – dans l’Acre, chez elle. Mais ses meilleurs scores sont dans les grandes villes et des régions qui tracent curieusement une croix sur le Brésil, du Tocantins au Parana et du Mato Grosso à Rio de Janeiro. Sources : http://america-latina.blog.lemonde.fr/2010/10/13/presidentielle-au-bresil-geographie-du-premier-tour/- en cette année 2018, le PT et ses alliés - dont les Communistes, parti de la suppléante d'Haddad - ont perdu 7,5 millions de voix. Ses adversaires en ont gagné 6,8 millions. La gauche a perdu les États d'Amapa et d'Amazonas dans le nord du pays, les États de Rio de Janeiro et de Minas Gerais dans le Sud-Est. Tous les États du Nord-Est lui sont restés fidèles. Spécialiste du Brésil contemporain, Richard Marin (professeur émérite à Toulouse) déclare : "même s’il n’arrive en tête dans aucune des grandes métropoles du Sud-Est
et du Sud, le candidat du PT emporte plus de villes que Bolsonaro
(2 810 contre 2 760). À l’évidence, il y a une base électorale fidèle au
PT, constituée par les bénéficiaires des programmes sociaux, de l’ère
Lula - Dilma (...)". Le lien entre Brésil pauvre et vote Haddad est net. Voici une carte (ci-dessus) du revenu par tête et (ci-dessous) de la disparité de l'IDH : indice de développement humain qui combine l'espérance de vie (santé), l’alphabétisation et les revenus (PIB par tête) à quoi les Brésiliens ajoutent un paramètre municipal (d'où IDHC) : On constate que l'Amazonas et l'Acre contredisent cette corrélation en votant Bolsonaro. Notez que, en 2010, la candidate Marina Silva était déjà une évangélique (Bolsonaro a, quant à lui, changé 7 fois de parti) et avait obtenu de bons scores en Acre et Amazonas (cf. supra la carte de ses résultats de 2010). Cela est dû à l'influence des évangéliques, sectateurs religieux d'extrême-droite qui font l'apologie de l'argent, d'une part, tout en opiumisant les pauvres, d'autre part. L'influence de cette secte grandissante - y compris au détriment de l’Église catholique - se présente comme l'indique la carte suivante : On observe que les États du Nord-Est sont, pour l'instant, restés réfractaires à cette influence néfaste. Les Catholiques brésiliens avaient, quant à eux, développé la théologie de la libération, à l'opposé de l'opium évangélique. A cet égard, je rappelle la définition qu'en donnait Mgr Romero, assassiné par d'autres fascistes : « le
monde des pauvres nous apprend que la libération arrivera non seulement
quand les pauvres seront les destinataires privilégiés des attentions
des gouvernements et de l'Église, mais bien quand ils seront les acteurs
et les protagonistes de leur propre lutte et de leur libération en
démasquant ainsi la dernière racine des faux paternalismes, même ceux de
l'Église ». Concernant l'influence de la
criminalité (carte à droite géograp hiant le nombre d'assassinats cumulés de 1997 à 2007, par État) sur le comportement électoral, il conviendra d'avoir une
analyse poussée. Ce qui est hors de mes compétences. La carte ci-contre
montre que cette influence n'est pas évidente. le Nord-Est est affecté
par ce fléau mais reste fidèle au PT. L’État le plus frappé est celui de
Para, qui est traversé par ce que Théry (cf. supra) appelle "l'arc de
déboisement", cad le front pionnier où s'opposent les Indiens et
défenseurs de l'environnement et les mercantis assoiffés par l'argent
que peut procurer la forêt équatoriale. C'est aussi la zone des "sans-terre" ces paysans pauvres qui cherche un lopin à exploiter et se heurtent aux gros propriétaires dotés d'une milice privée. Les assassinats sont légion. et Bolsonaro a promis de laisser l'accès des armes libre à ces gros propriétaires. Le pire est à venir. Même problématique dans l’État de Rondonia (lire le texte ci-dessous). Mais si ce dernier s'est jeté dans les bras du candidat fasciste ce n'est pas le cas du Para où la gauche a conservé sa suprématie électorale. à Sao Paulo, la criminalité est basse, le ville - très riche - a toutefois voté Bolsonaro : mieux vaut Hitler que le Front populaire... compléments sur la colonisation des terres amazoniennes : La politique de colonisation contredit, par essence, celle en faveur de la préservation des zones forestières, les terres nouvelles ne pouvant se trouver qu’en forêt. Les terres déjà défrichées et passées dans le circuit commercial sont en effet solidement possédées (sic, joli euphémisme des géographes…), souvent par de grands propriétaires qui se constituent des réserves foncières. Il est impossible à l’INCRA d’exproprier dans cette frange de terre les surfaces nécessaires aux nouveaux assentamentos[1]. Les colons auraient par ailleurs bien du mal à s’y installer puisque leur système agricole est tout entier basé sur la progressive destruction de la forêt qui permet de maintenir pendant quelques années la fertilité du sol. Obtenir un lot déjà entièrement converti en pâturage serait pour eux aller à la faillite. Enfin, une grande partie de l’économie du Rondônia est basée sur l’exploitation forestière et ses dérivés. Or les arbres qui arrivent dans les scieries proviennent de surfaces de forêts naturelles. Pour maintenir l’approvisionnement, il faut régulièrement exploiter de nouvelles zones. On retrouve là la traditionnelle "géophagie" du Brésil, que le discours "géosophique" nouvellement élaboré n’a pas encore, loin s'en faut, fait disparaître dans les faits (Droulers 2000). sources : https://journals.openedition.org/cybergeo/3772 complément sur la religion évangélique :
"A partir de cette époque (les années 70’), une partie
de la population se distancie de la tradition catholique. Elle se prend
d’intérêt pour les cultes protestants
évangéliques venus de la Bible Belt aux Etats-Unis et déjà implantés depuis le
XIXe siècle, notamment dans le sud du pays. En 40 ans, c’est plus de 20 % de la
population qui se tourne vers ces nouvelles églises, essentiellement les
classes moyenne et moyenne haute qui recherchent des systèmes moins rigoureux
pour vivre leurs spiritualités. Rapidement, les pasteurs autodidactes se
multiplient et d’innombrables congrégations aux noms évocateurs tels que l’Assemblée de Dieu, Deus é amor (Dieu est amour) ou
encore la puissante Église Universelle du
Royaume de Dieu font leur apparition. Toutes ces églises chrétiennes se caractérisent
aujourd’hui par une dimension sociale importante d’aide aux plus défavorisés.
Mais également par une participation plus active des croyants aux offices
religieux avec de nombreux chants et des mises en musique des cultes à l’image
de la tradition Gospel Nord-Américaine. Sources :
https://brazil-selection.com/informations/culture-generale/religions/" Ce texte favorable informe cependant : origine aux Etats-Unis où religion et business sont intimement liés depuis toujours, classes moyennes voire plus : base traditionnelle du fascisme, pasteurs autodidactes : nullité de la formation théologique, création de congrégations qui sont d'authentiques entreprises d'enrichissement, aide aux plus défavorisés = mise sous tutelle des plus fragiles. Ce texte ne dit pas : anti-communisme systémique et maladif, priorité absolue et exclusif à l'irrationnel, sionisme : le salut viendra quand tous les Juifs auront rejoint la Terre promise et en attendant soutien total et inconditionnel à Israël. [1] Les assentamentos désignent des zones de colonisation associées à la politique de réforme agraire sur des terres expropriées ou sur des terres publiques. Ces zones ont été divisées en plusieurs lots sur lesquels ont été installées des familles sans terres à des fins d'agriculture. Les assentamentos, gérés par l'Institut national de la colonisation et de la réforme agraire (INCRA) se situent principalement en Amazonie, dans des régions souvent mal dotées et mal desservies, ce qui rend assez précaires les conditions d'installation des familles migrantes concernées. Ils ont, depuis leur création, permis l'installation de 790 000 familles (total cumulé en 2007). En Amazonie, il est courant que le périmètre soit délimité par l’INCRA après l'occupation de la zone par les sans-terre. Les occupants n’obtiennent alors qu’un titre foncier provisoire, c’est-à-dire un "contrat de concession d’usage", qui leur permet d’avoir accès aux crédits. L’octroi du titre définitif n’intervient souvent qu’après de nombreuses années d’occupation, une fois l’assentamento "consolidé". http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/assentamentos |