Cela se passait la semaine dernière à Brasília, à
l’occasion du 14e campement Terra Livre (« terre libre »). Chaque
automne (on se trouve sous l’équateur), le rassemblement réunit les
membres des tribus indiennes du pays – elles sont plus de 200 – devant
ce haut lieu du pouvoir politique. Celui de cette année a été, dit-on,
le plus important de l’histoire du Brésil. Les organisateurs, un temps,
avaient compté sur la venue de 1 500 personnes. Elles ont été 3 000 à
affluer de partout, au cri de « Demarcaçao jà ! » (démarcation
maintenant !), pour exiger la reconnaissance du droit à leurs terres.
Séculaire, leur bataille n’est pas neuve. Elle a vu les
conquistadors portugais et les colons français, chercheurs d’or et
autres bandits de grands chemins, tracer les cadastres à coups de
pistolet. Le progrès ne fait jamais table rase de tout : ce sont les
grands propriétaires terriens et les multinationales qui, depuis
longtemps, s’occupent désormais de chasser manu militari les Indiens de
leurs terres.
Le putsch opéré, il y a huit mois, par le conservateur
Michel Temer a redonné du mordant à ceux qui convoitent les contrées
indigènes – 12 % du Brésil, la plupart dans les régions amazoniennes.
Des dispositions législatives sont en discussion au Congrès visant à
revigorer l’accaparement de terres indigènes.
Les monocultures de canne à sucre ou de maïs restent avides d’espace
En 1988, le retour au régime démocratique avait si ce
n’est clairement freiné, du moins contrarié le phénomène. La nouvelle
Constitution octroyait aux Indiens des garanties quant à la
reconnaissance de leurs cultures et de leurs terres. Une politique de
démarcation avait été mise en place consistant à homologuer des
territoires qui leur seraient propres. En vingt-cinq ans, près de
600 000 km² ont ainsi été démarqués.
Mais le processus reste inachevé. Il s’est même ralenti
depuis 10 ans sous des influences diverses. Les politiques de
développement du pays en sont une. La construction d’infrastructures de
transport (autoroutes ou aéroports) ou de grands barrages a mordu sur
les territoires indigènes. Les lobbies de l’ agrobusiness et de
l’extractivisme, surtout, ont repris de l’influence. Les monocultures de
canne à sucre, de maïs ou d’eucalyptus restaient avides d’espace, les
ressources minières et forestières demeuraient appétissantes… Mais bon
an mal an, la « demarcaçao » se poursuivait. En 2013, Dilma Rousseff
homologuait ainsi trois nouvelles terres indigènes couvrant 230 000
hectares.
La droite a réagi. En 2014, Osmar Serraglio, député du
parti libéral PMDB, présentait une proposition d’amendement à la
Constitution, la PEC 215, visant à réformer le système. Alors que,
jusqu’alors, seul le pouvoir exécutif avait l’autorité de décider de
démarquer une terre indigène, la signature finale revenant à la
présidence de la République, le texte propose de soumettre cette
approbation au Congrès.
D’apparence démocratique, le coup est bas, quand il permet
de renforcer le pouvoir des ruralistes, porte-voix de l’ agrobusiness.
Principal groupe représenté au Congrès, il en compose 40 % des bancs.
La gauche tentera de faire barrage. En août 2015, députés
du PT (Parti des travailleurs), du PCdoB (Parti communiste du Brésil),
des Verts et autres socialistes unissaient leurs voix pour repousser le
texte. Ceux de la droite votaient pour. « Si demain nous avons des
morts, si demain nous avons une révolution, ce sera de votre
responsabilité ! » prophétisait alors un des députés Verts. À la fin de
cette année-là, les associations des droits humains et de
l’environnement recensaient l’assassinat de 137 Indiens.
Lui président, Michel Temer n’a pas cherché à éteindre
l’incendie. Au contraire. Soit pour s’assurer que la PEC 215 fasse son
œuvre, soit par simple mépris – soit les deux –, il a jeté de l’huile
dessus. En février, il nommait Osmar Serraglio lui-même ministre de la
Justice. Avec, sous sa tutelle, la Fondation nationale des Indiens
(Funai), organe exécuteur des politiques indigènes du gouvernement
fédéral.
La résistance des Indiens et de leurs soutiens, elle,
s’est organisée, prenant appui sur la force de l’image, du son et
d’Internet. Peut-être certains s’en souviennent-ils. En 2014, lors de la
cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de foot, un adolescent
indien, délégué par la Fifa pour représenter la diversité de la jeunesse
brésilienne, se saisissait du podium mondial qui lui était offert pour
brandir une bannière « Demarcaçao jà ! ». Les caméras ont eu vite fait
de tourner de l’œil, mais la photo fut faite.
Le mouvement, depuis, a grandi. La semaine dernière,
vingt-cinq artistes brésiliens parmi les plus populaires ont mis en
ligne une vidéo de quinze minutes pour dénoncer les violences faites aux
peuples indigènes. Logiquement baptisé Demarcaçao jà !, le clip a, dès
le lendemain, récolté plus de 600 000 vues. Quelques heures plus tôt, à
Brasilia, quelques dizaines d’Indiens avaient tenté de déposer devant le
Congrès des cercueils en carton figurant ceux des leurs tués
dernièrement. C’est le moment qu’a choisi la police pour charger. Armes
au poing.