Comme
on
dit que l’Himalaya est le "toit du monde", on dit que la forêt
amazonienne est "le poumon de la planète". Il y a comme cela d’autres
clichés. Mais les Brésiliens ne sont-ils pas en train de détériorer ce
poumon
avec leurs autoroutes transamazoniennes, leurs exploitations de minerais
qui
trouent la belle couverture forestière, etc…
Avec
l’arrogance yankee, faite d’absence d’humilité et de naïveté candide, un
étudiant américain, lors d’un débat dans une université aux États-Unis,
interpella le ministre de l'Éducation du Brésil en visite dans son pays,
Cristovao Buarque. Mr Buarque fut interrogé sur ce qu'il pensait de l'internationalisation
de l'Amazonie. Ni
plus, ni moins. Le jeune étudiant américain commença sa question en
affirmant
qu'il espérait une réponse d'un humaniste et non d'un Brésilien.
Voici
la réponse de M. Cristovao Buarque, suivie de deux cartes montrant deux scénarios possibles de l'avenir amazonien (programme Avança Brasil) publiées par Le Monde du mercredi 31 janvier 2001.
J.-P. R.
"En
effet, en tant que Brésilien, je m'élèverais tout simplement
contre l'internationalisation de l'Amazonie. Quelle que soit
l'insuffisance de l'attention de nos gouvernements pour ce patrimoine,
il
est nôtre. En tant qu'humaniste, conscient du risque de dégradation du
milieu ambiant dont souffre l'Amazonie, je peux imaginer que l'Amazonie
soit internationalisée, comme du reste tout ce qui a de l'importance
pour
toute l'humanité.
Si,
au nom d'une éthique humaniste, nous devions internationaliser
l'Amazonie,
alors nous devrions internationaliser les réserves de pétrole du monde
entier. Le
pétrole est aussi important pour le bien-être de l'humanité
que l'Amazonie
l'est pour notre avenir. Et malgré cela, les maîtres des
réserves de
pétrole se sentent le droit d'augmenter ou de diminuer l'extraction de
pétrole, comme d'augmenter ou non son prix. De la même manière, on
devrait internationaliser le capital financier des pays riches. Si
l'Amazonie est une réserve pour tous les hommes, elle ne peut être
brûlée par la volonté de son propriétaire, ou d'un pays. Brûler
l'Amazonie, c'est aussi grave que le chômage provoqué par les décisions
arbitraires des spéculateurs de l'économie globale. Nous ne pouvons pas laisser les réserves
financières brûler des pays entiers pour le bon plaisir de la
spéculation. Avant
l'Amazonie, j'aimerai assister à l'internationalisation de tous
les grands
musées du monde. Le Louvre ne doit pas appartenir à la seule France.
Chaque
musée du monde est le gardien des plus belles œuvres produites par le
génie humain. On ne peut pas laisser ce patrimoine culturel, au même
titre
que le patrimoine naturel de l'Amazonie, être manipulé et détruit selon
la
fantaisie d'un seul propriétaire ou d'un seul pays. Il y a quelque
temps, un millionnaire japonais a décidé d'enterrer avec lui le tableau
d'un grand maître. Avant que cela n'arrive, il faudrait
internationaliser ce tableau.
Pendant
que cette rencontre se déroule, les Nations unies organisent le Forum du
Millénaire, mais certains Présidents de pays ont eu des difficultés pour
y assister, à cause de difficultés aux frontières des États-Unis. Je crois donc
qu'il faudrait que New York, lieu du siège des Nations unies, soit
internationalisé. Au moins Manhattan devrait appartenir à
toute l'humanité. Comme du reste Paris, Venise, Rome, Londres, Rio de
Janeiro, Brasília, Recife, chaque ville avec sa beauté particulière, et
son histoire du monde devraient appartenir au monde entier. Si les
États-Unis veulent internationaliser l'Amazonie à cause du risque que
fait
courir le fait de la laisser entre les mains des Brésiliens, alors internationalisons
aussi tout l'arsenal nucléaire des États-Unis. Ne serait-ce
que par
ce qu'ils sont capables d'utiliser de telles armes, ce qui provoquerait
une destruction mille fois plus vaste que les déplorables incendies des
forêts Brésiliennes. Au cours de leurs débats, les actuels candidats à
la
Présidence des États-Unis ont soutenu l'idée d'une internationalisation
des réserves florestales du monde en échange d'un effacement de la
dette. Commençons donc par utiliser cette dette pour s'assurer que tous
les enfants du monde aient la possibilité de manger et d'aller à
l'école. Internationalisons les
enfants, en les traitant, où qu'ils naissent, comme un patrimoine qui
mérite l'attention du monde entier. Davantage encore que
l'Amazonie. Quand les dirigeants du monde traiteront les enfants pauvres
du monde comme un Patrimoine de l'Humanité, ils ne les laisseront pas
travailler alors qu'ils devraient aller à l'école; ils ne les laisseront
pas mourir alors qu'ils devraient vivre. En tant qu'humaniste, j'accepte
de défendre l'idée d'une internationalisation du monde. Mais tant que le
monde me traitera comme un Brésilien, je lutterai pour que l'Amazonie
soit
à nous. Et seulement à nous! ". Fin de citation.
Je
ne veux pas faire parler le philosophe Alain Badiou, mais je suis
presque sûr
qu’il verrait dans cette magnifique réponse le désir et le besoin de
mettre en
place les biens communs de l’humanité. Comme dit
l’écrivain cubain
Alejo Carpentier : « Selon le contenu
des
siècles, le mythe changeait de caractère, répondant à des désirs
toujours
renouvelés, mais il restait toujours le même : il y avait, il devait y
avoir,
il fallait qu’il y eût, à l’époque présente, à n’importe quelle époque
présente, un monde meilleur »[1].
P.S. On me dit
que les journaux américains n’ont pas
publié cette réponse. Pourquoi ?
P.S. 2 : je ne
sais pas faire fonctionner les "messages" , je réponds donc, ici, à un
lecteur :
Jean1938 me demande -comme une
lectrice sur mon précédent blog du MONDE- me demande préciser que ce
débat eut lieu en l'an 2000. Moi-même je l'ignorais. c'est un internaute
qui m'en a transmis le texte et je l'ai trouvé si frais, si actuel, si
pertinent que je l'ai publié avec quelques commentaires. franchement
qu'est-ce que cela change que ce texte date de 2000 ou de 2010 ? sa
philosophie générale reste intacte.
Sachons aller à l'essentiel.
[1] Cité par MAZAURIC, Vive la Révolution ! Antoine
CASANOVA (Besançon) et Claude MAZAURIC, Messidor – Editions sociales,
Paris,
1989, 222 pages, « Vive la révolution… ».