Par Hedi SAIDI, Historien, Enseignant-chercheur à Lille. Un grand nombre de personnes dans le monde se sont félicitées de l’avènement de la révolution tunisienne allant jusqu’à la comparer à la Révolution française de 1789. De leur point de vue, ce mouvement, inédit dans les pays arabes, est un laboratoire révolutionnaire et un exemple pour la reconstruction d’une nouvelle société. Le monde arabe et les pays en voie de développement croient avoir réalisé leur propre modèle. De l’intérieur du pays, les choses sont regardées différemment : si le tyran est éliminé, par contre la feuille de route politique et institutionnelle n’est guère lisible. Les rapaces et les requins de toutes eaux sont apparus et passés aussitôt à l’action pour conquérir le pouvoir. On peut penser que dans un climat incertain et un désordre préoccupant, les intégristes cherchent à récupérer la révolution. Il est facile pour eux de prétexter qu’ils étaient les principaux opposants et les réelles victimes de la dictature. En février 2011, les sondages donnaient à ces intégristes 5% d’intention de vote. Quelques mois plus tard, ce taux est monté à environ 30% ! Que s’est-il donc passé entre-temps ? Pourquoi le discours islamo-intégriste trouve-t-il un écho favorable auprès de certains Tunisiens (ne)s ? Habiles dans l’art de la communication, ces intégristes évitent les sujets délicats (statut de la femme, liberté religieuse, droits de l’homme, forme de l’État, positions sur l’Iran, le Hamas…). Ils se présentent comme des démocrates, des humanistes soucieux de l’intérêt général. Leur référence est non pas le Coran mais l’histoire, la civilisation et les expériences sociales tunisiennes. Pour éviter d’inquiéter la population, ils se sont rasés la barbe et ont troqué leurs habits traditionnels contre des costumes à l’occidentale. Pour séduire l’électorat, ils mettent à la tribune des femmes non voilées (auxquelles on ne donne pas la parole), écartent les «anciens» dirigeants et utilisent un langage dans l’air du temps. Ils ne parlent que démocratie, nouvelle Constitution, parlement représentatif, appellent à l’unité nationale et jurent la main sur le cœur qu’ils ne toucheront pas (s’ils seront élus) au statut de la femme et aux libertés individuelles ! Si le discours est d’apparence apaisant et rassurant, les pratiques sont sectaires et, en fait, reprennent l’habituelle stratégie : islamiser la société. À en juger par ces exemples parmi tant d’autres : – Ils s’opposent farouchement aux laïcs qui ont voulu inscrire la laïcité dans la Constitution tunisienne sous prétexte que l’islam est la religion officielle de la population tunisienne. – Ils mènent une politique de dénigrement et de diffamation pour les personnes de gauche. – Grâce aux subsides du Qatar, ils organisent des réunions politiques à l’américaine dans le but de déplacer les foules. Ils ont déjà réussi par ce discours démagogique à séduire certains partis politiques avec lesquels ils ont signé une alliance électorale.
On s’aperçoit que les gouvernements américain et anglais misent sur eux et que par contre celui de la France reste hésitant. Nous sommes conscients que la mise en place d’une réelle démocratie prendra beaucoup de temps et demandera de gros efforts. En effet après un début spectaculaire, la révolution tunisienne s’est effritée engendrant une confusion politique, idéologique et l’émergence d’innombrables partis peu structurés. N’oublions pas que les liens entre la France et la Tunisie sont historiques, qu’une importante communauté tunisienne vit dans l’Hexagone. Cela dit, que faisons-nous, nous les défenseurs des droits de l’homme et les laïcs, pour soutenir cette jeune et «prometteuse» révolution ? Hedi SAIDI , 30 juin 2011. |