Voici un article -dont j’ai
emprunté le titre-
paru dans le journal LA CROIX du 14 juin 2011 :
Dans son
rapport "Libye : un avenir
incertain", rendu public samedi 11
juin, une
mission d’évaluation indépendante[1]
conteste le
caractère démocratique et spontané de la révolte libyenne.
Quelles
différences entre le contexte révolutionnaire libyen et les révoltes en
Tunisie
et Égypte ?
Une
jeunesse diplômée sans
travail ni logement a constitué le ferment des révolutions en Tunisie et
en
Égypte. À l’inverse, dans la Libye du colonel Kadhafi, le chômage était
quasi
inexistant.
Les six
millions de
Libyens jouissaient d’"un des
plus hauts niveaux de vie du monde arabe"
et faisaient massivement appel à une population immigrée de trois
millions de travailleurs
pour des travaux peu qualifiés.
Les six
membres de la mission
d’évaluation qui se sont rendus sur place au mois d’avril réfutent donc
l’origine sociale du conflit, même s’ils ne contestent pas le caractère
de
dictature de la Libye, dirigée par un chef d’État "tyrannique,
imprévisible, fantasque, mégalomane".
Le
soulèvement libyen ne saurait
non plus être qualifié de "révolte
pacifique", car il s’est
accompagné
de nombreuses exactions, notamment à l’encontre d’Africains rapidement
taxés de
mercenaires, et a sombré dans la guerre civile.
Que
reproche la mission au CNT ?
Le
Conseil national de transition
(CNT), organe de représentation des insurgés dorénavant reconnu par 13
États
dans le monde, dont l’Allemagne depuis hier, reflète l’hétérogénéité de
la
population rebelle.
Le
mouvement de contestation qui
est né mi-février dans la région Cyrénaïque de l’est – qui n’a jamais
accepté la domination de la région Tripolitaine de l’ouest ni l’autorité
du
colonel Kadhafi – est un conglomérat disparate.
Au noyau
revendiquant l’avènement
d’une démocratie, sont associés de puissants réseaux islamistes, y
compris des
franges extrémistes d’Al-Qaida, et des tenants d’une restauration
monarchique
intégriste, sans oublier des mafias locales promptes à financer la
rébellion ou
d’anciens dignitaires du régime qui ont dernièrement fait défection.
La
mission d’évaluation juge
suspecte la volonté du CNT de garder secrets les noms de la plupart de
ses
représentants pour, officiellement, des raisons de sécurité. Elle estime
qu’« il existe aujourd’hui trop de zones d’ombre pour lui accorder un
chèque en blanc ».
Elle
déplore "l’aventurisme
coupable" des puissances
occidentales en partie mues par une désinformation savamment distillée
par les
chaînes Al-Jazira et Al-Arabia, évoquant une intervention qui finit "par créer plus de problèmes qu’elle
n’en
résout".
Article signé Marie Verdier
Cet
article est, en tous points,
conforme à celui paru dans TTU[2]
intitulé "Libye : un rapport discordant" et signé de William
Lacourneuve, Analyste
Militaire.
En voici
les principaux
paragraphes :
Alors que la France, suivie par la
Royaume-Uni, a décidé de
déployer ses hélicoptères de combat pour accentuer la pression sur le
régime de
Kadhafi, un rapport indépendant dénonce les "illusions"
de cet engagement en Libye et "l’aventurisme
coupable, voire le
machiavélisme cynique" des
puissances occidentales qui soutiennent une insurrection aux faux airs
de "révolution". Ce rapport d’une cinquantaine de
pages,
qui doit être rendu public dans les prochains jours et que TTU a pu
parcourir,
est le compte rendu d’une mission organisée par une délégation
internationale
d’experts pour évaluer, sans parti pris, la situation libyenne.
Composée de membres appartenant au Centre international de recherches et d’études
sur le terrorisme et d’aide aux victimes du terrorisme
(CIRET-AVT) —
dont son président est le préfet Yves Bonnet, ancien directeur de la DST
—, au Centre français de
recherche sur le renseignement (CF2R) et de personnalités
indépendantes, comme l’ancienne ministre algérienne Saïda Ben Habyles,
la
délégation s’est rendue durant trois semaines, en avril, à Tripoli et
dans la
région ouest du pays, ainsi qu’à Benghazi et en Cyrénaïque pour y
rencontrer
les représentants des deux parties. Fruit de ces entretiens et
observations sur
le terrain, le rapport de mission, sans formuler de recommandations,
livre des
conclusions très critiques à l’égard de la résolution 1973 des Nations
unies et
la "très excessive
interprétation"
de cette résolution faite par la France, le Royaume-Uni et les
Etats-Unis, qui
ouvre implicitement la voie à une intervention terrestre, voire à
l’assassinat
politique. La présence de services de renseignements aux côtés des
insurgés et
le recours aux unités de forces spéciales seraient un contournement
manifeste
des dispositions de cette résolution et relèveraient de l’ingérence. Les
auteurs de ce rapport s’interrogent, par ailleurs, sur les motivations
de cette
intervention militaire. Selon eux, le contrôle des ressources
énergétiques est
au cœur des stratégies à l’œuvre. Les Etats-Unis voudraient ainsi
renverser
Kadhafi pour bouter la Chine hors du pays. L’Egypte ne verrait que des
avantages à une partition du pays, qui n’a jamais accepté le
rattachement de la
Cyrénaïque et des réserves pétrolières à Tripoli. La France a, quant à
elle, vu
dans la crise libyenne l’occasion de reprendre l’initiative
diplomatique. Le
départ de l’Elysée de deux des proches conseillers de Nicolas Sarkozy et
fins
connaisseurs du dossier libyen – Claude Guéant au ministère de
l’Intérieur et
Bernard Bajolet, le coordonnateur national du renseignement, comme
ambassadeur
en Afghanistan – a ouvert une brèche à l’influence de Bernard-Henri Lévy
et de
l’émir du Qatar pour obtenir la reconnaissance et le soutien du Conseil
national de transition (CNT).
Le rapport s’alarme de cet engagement "irréfléchi" de Paris, qui fait le jeu de
l’administration américaine, laquelle s’est bien gardée d’afficher ses
objectifs et a laissé la France prendre tous les risques. D’autant que
le CNT,
du fait de sa composition hétéroclite (« une
coalition d’éléments disparates aux intérêts divergents ») n’offre,
selon
les auteurs du rapport, aucune garantie quant à la mise en œuvre d’un
projet
politique national, de nature démocratique et à même de préserver les
intérêts
des puissances engagées. Si les auteurs se gardent bien de défendre le
Guide,
rappelant la nature dictatoriale du régime de Kadhafi, ils s’inquiètent
de la
présence au sein du CNT de représentants des courants prônant
l’instauration
d’un islam radical, de nostalgiques de la monarchie et de nouveaux
convertis de
l’ancien régime, qui ne laissent aucune marge de manœuvre aux « vrais
démocrates
». Et de prévenir : "l’Occident
doit prendre garde qu’il ne soit
pas remplacé par un régime plus radicalement antioccidental et tout
aussi peu
démocratique".
(…°).
[1] Menée
par le Centre international de recherche et d’études sur le terrorisme
et
d’aide aux victimes du terrorisme (Ciret-AVT) et le Centre français de
recherche sur le renseignement (CF2R).
[2] Lettre
d'informations stratégiques et de défense, Directeur:
Guy Perrimond.