L'impérialisme avant 1914 : quelques données (1ère partie)

publié le 5 févr. 2014, 03:08 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 9 août 2020, 06:17 ]

    Le document ci-dessous n'est pas parfait (sur la carte de 1815, les colonies espagnoles d’Amérique latine n’apparaissent pas) mais il a le grand avantage de montrer qu'entre la fin des guerres napoléoniennes et la guerre de  1914-1918, il s'est passé beaucoup de choses dans le Monde !  A dire vrai, en 1914, le partage du Monde est terminé, il n'y a plus de terres à conquérir : si les choses doivent évoluer ce ne peut être que par la substitution d'une métropole à une autre : par exemple, que l'Allemagne se substitue à la Belgique pour la domination du Congo-Zaïre : voir les propos du général Bernhardi "Notre avenir" par le général**** von Bernhardi (1912), préfacé par Clemenceau (1915).
    Ces deux cartes sont complétées par l'énumération, métropole après métropole, des colonies dépendantes. Puis, je démontrerai qu'en 1914, le monde est complètement dominé et que, si l'on reste dans une logique colonialiste, la seule solution à l'expansion est la prise des colonies des autres.
    



LES DOMAINES COLONIAUX EN 1914

 

    Les domaines coloniaux, en 1914, étaient, dans leurs grandes lignes, constitués ainsi qu'il suit (d’après le volume de la collection CLIO, aux PUF, intitulé L’époque contemporaine, tome II, "La paix armée et la Grande guerre, 1871-1919" par Renouvin, Genet et al., 1960) :

    Pour l'Angleterre :

    L'Égypte et le Soudan anglo-égyptien, la Somalie anglaise, Chypre, l'Afrique occidentale anglaise (Gambie, Sierra Leone, Gold-Coast (Ghana), Nigeria), l'Union sud- africaine, l'Afrique orientale anglaise, l'île Maurice, les Seychelles et les Amirantes dans l'océan Indien, l'Inde ; avec des points d'appui ou des zones de protection sur les côtes de l'Arabie, en Perse, dans le Béloutchistan et l'Afghanistan, dans le Pamir et le Tibet, en Birmanie, la Malaisie britannique, le nord-ouest de Bornéo, des concessions sur les côtes de Chine ; l'Australie et la Nouvelle-Zélande, un lot important d'archipels dans le Pacifique occidental et central, une partie des Antilles, le Honduras et la Guyane britanniques, le Canada et Terre-Neuve ;

    Pour la France :

    L'Algérie, la Tunisie et le Maroc, la plus grande partie du Sahara, l'Afrique occidentale et l'Afrique équatoriale françaises, la côte des Somalis, Obock et Djibouti, Madagascar, les Comores et l'île de la Réunion, les cinq villes de l'Inde (cf. supra la carte de 1815), l'Indochine, des concessions en Chine, des archipels dans le Pacifique oriental, la Guadeloupe et la Martinique avec quelques îlots antillais, la Guyane française, Saint-Pierre-et-Miquelon ;

    Pour la Belgique : le Congo ;

    Pour la Hollande : les îles de la Sonde (Indes néerlandaises, futures Indonésie), Curaçao et quelques îlots voisins, la Guyane hollandaise ; L'EMPIRE NEERLANDAIS, 1ère partie : en Indonésie

    Pour la Russie : la Transcaucasie, une partie de l'Arménie, la Sibérie, le Turkestan russe, la province de l'Amour ;

    Pour l'Allemagne : le Togo et le Cameroun, le Sud-Ouest africain allemand, l'Afrique orientale allemande, de fortes positions dans le Pacifique (Polynésie) ; Génocide du II° Reich, d'Anne Poiret

    Pour l'Italie : la Tripolitaine, la Somalie italienne et l'Érythrée ;

    Pour le Portugal : l'Angola et deux îles dans le golfe de Guinée (Sao Tome et Principe), le Mozambique, des stations dan l'Inde et l'Insulinde ;

    Pour l'Espagne : le nord du Maroc, le Rio de Oro (Sahara dit "espagnol"), deux îles dans le golfe de Guinée ;

    Pour les États-Unis : les Hawaï, les Philippines, l'île de Guam, Porto-Rico, Cuba ;  Les Etats-Unis d'Amérique : l'expansion (1865-1917) 2ème partieLes Etats-Unis et le droit de la guerre (Les Gi américains urinent sur le cadavre de leurs ennemis…)

    Pour le Japon : Formose (Taïwan), la moitié de Sakhaline, les îles Sourcilles, la Corée. Le Japon, de 1868 à 1914

     En dehors de l'Europe, des États-Unis, des États de l’Amérique latine et du Japon, il ne subsistait d'autres États indépendants que la République de Liberia et l’Éthiopie en Afrique, la Chine et le Siam en Asie orientale, la Turquie et la Perse en Asie occidentale, la République Dominicaine et la République de Haïti dans l'île de Saint-Domingue.

 

UN MONDE "PLEIN"

    En 1914, tout ce qui pouvait être conquis l’a été. Le Royaume-Uni avait cependant une nette avance sur les puissances concurrentes. C’est ce que montre le tableau suivant [1] (superficie en millions de miles carrés, population en millions d’habitants) :

 

Possessions coloniales

 

Angleterre
France
Allemagne

Date

Superficie

Population

Superficie

Population

Superficie

Population

1815-1830

?

126,4

0,02

0,5

-

-

1860

2,5

145,1

0,2

3,4

-

-

1880

7,7

267,9

0,7

7,5

-

-

1899

9,3

309,0

3,7

56,4

1,0

14,7

    Pour l'Angleterre, la période d'accentuation prodigieuse des conquêtes coloniales se situe entre 1860 et 1890, et elle est très intense encore dans les vingt dernières années du XIXe siècle. Pour la France et l'Allemagne, c'est surtout ces vingt années qui comptent.

    Les pays colonisés appartiennent aux grandes régions suivantes [2] :

 

Pourcentage des territoires appartenant aux puissances colonisatrices européennes (plus les États-Unis)

 

1876
1900
Différence

Afrique

10,8%

90,4%

+79,6%

Polynésie

56,8%

98,9%

+42,1%

Asie

51,5%

56,6%

+5,1%

Australie

100%

100%

-

Amérique

27,5%

27,2%

-0,3%

    Dans son livre : L'extension territoriale des colonies européennes, le géographe autrichien A. Supan donne un rapide résumé de cette extension pour la fin du XIXe siècle :"Le trait caractéristique de cette période, conclut-il, c'est donc le partage de l'Afrique et de la Polynésie". Les chiffres relativement faibles concernant l’Amérique s’expliquent par le fait que l’Amérique latine a gagné son indépendance dans les années 1820-1823. Ces 27% correspondent pour l’essentiel à l’immense Canada britannique plus quelques îles de la mer des Antilles et les Guyanes. En Asie, la Chine (9 millions de km2) n’est pas une colonie au sens stricte. Non plus que la Perse (Iran) et la Turquie ou le Siam (Thaïlande). Dans ces pays, l’impérialisme prend la forme invisible des flux financiers (crédits publics et investissements directs) [3]. Mais, par ailleurs, on voit bien qu’"il n’y a plus de place", pour parler familièrement.  

    Lénine conclut de la manière suivante : "Pour donner un tableau aussi précis que possible du partage territorial du monde et des changements survenus à cet égard pendant ces dernières dizaines d'années, nous profiterons des données fournies par Supan, dans l'ouvrage déjà cité, sur les possessions coloniales de toutes les puissances du monde. Supan considère les années 1876 et 1900. Nous prendrons comme termes de comparaison l'année 1876, fort heureusement choisie, car c'est vers cette époque que l'on peut, somme toute, considérer comme achevé le développement du capitalisme pré-monopoliste en Europe occidentale, et l'année 1914, en remplaçant les chiffres de Supan par ceux, plus récents, des Tableaux de géographie et de statistique de Hübner (1916). Supan n'étudie que les colonies; nous croyons utile, pour que le tableau du partage du monde soit complet, d'y ajouter aussi des renseignements sommaires sur les pays non coloniaux et sur les pays semi-coloniaux, parmi lesquels nous rangeons la Perse, la Chine et la Turquie. (…).

Voici les résultats que nous obtenons" :

 

Possessions coloniales des grandes puissances
(en millions de kilomètres carrés et en millions d'habitants)

Pays
Colonies
Métropoles
Total

 

1876
1914
1914
1914

 

km2

hab.

km2

hab.

km2

hab.

km2

hab.

Angleterre

22,5

251,9

33,5

393,5

0,3

46,5

33,8

440,0

Russie

17,0

15,9

17,4

33,2

5,4

136,2

22,8

69,4

France

0,9

6,0

10,6

55,5

0,5

39,6

11,1

95,1

Allemagne

-

-

2,9

12,3

0,5

64,9

3,4

77,2

Etats-Unis

-

-

0,3

9,7

9,4

97,0

9,7

106,7

Japon

-

-

0,3

19,2

0,4

53,0

0,7

72,2

Total pour les 6 grandes puissances

40,4

273,8

65,0

523,4

16,5

437,2

81,5

960,6

Colonies des autres puissances (Belgique, Hollande, etc.)

 

 

 

 

 

 

9,9

45,3

Semi-colonies (Perse, Chine, Turquie)

 

 

 

 

 

 

14,5

361,2

Autres pays

 

 

 

 

 

 

28,0

289,9

Ensemble du globe

 

 

 

 

 

 

133,9

1657,0

    Ce tableau nous montre clairement qu'au seuil du XXe siècle, le partage du monde était "terminé". En 2014, la superficie des terres émergées est donnée pour 149 millions de km2. Lénine-Hübner donnent 133,9 (soit 134). Les 15 millions manquants correspondent à peu près exclusivement à l’Antarctique qui, au début du XX° siècle n’était qu’abordé, point traversé, encore moins mesuré.

    Un pays comme l’Allemagne qui est en pleine expansion (la "chaudière surchauffée") ne peut que poursuivre son investissement dans l’empire ottoman ou en Chine ou alors convoiter les possessions des autres : le Congo de la Belgique (cf. Bernhardi"Notre avenir" par le général**** von Bernhardi (1912), préfacé par Clemenceau (1915)) ou l’empire français.

****

 plan de la 2ème partie :

PLAN GÉNÉRAL

I. UNE NOUVELLE PHASE DU CAPITALISME

A. CINQ CRITÈRES D'ANALYSE

B. LE MOTEUR : L'EXPORTATION DE CAPITAUX

1. L’abondance d’argent

2. Le mécanisme économique de l'impérialisme :

II. LE PARTAGE DU MONDE

A. LE COLONIALISME

B. LES ZONES D'INFLUENCE




[1] Établi par Lénine dans son livre « Impérialisme, stade suprême du capitalisme » d’après les travaux de l’Américain Morris, Henry C. MORRIS : The History of colonization, New-York, 1900, vol. II, p. 88; vol. I, p. 419; vol. II, p. 304.

[2] Établi par Lénine à partir des travaux du géographe Supan, A. SUPAN : Die territorial Entwicklung der euro-päischen Kolonien, 1906, p. 254. Supan était de la notoriété d’un De Martonne à son époque.

[3] Exception faite des concessions accordées par l’empereur de Chine aux étrangers.

    pour les tableaux, je remercie http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/vlimperi/vlimp6.htm


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