Le
film dure plus de 2 heures et 30 minutes. Il évoque l’histoire des
Pays-Bas
depuis les débuts du débarquement allié jusqu’à la Libération de
l’occupation nazie.
Autrement dit un temps bref d’histoire pour une longue durée de cinéma.
C’est
un film courageux/audacieux qui, à mon sens, démolit l’image de la
Hollande-pays des Libertés-soumise-au poids-de-la-botte-nazie. En
France, la Hollande
-on doit dire Pays-Bas mais je suis volontairement la tendance générale -
a,
aujourd’hui, une image positive. On nous rabâche le cas Descartes
trouvant
refuge au pays des libertés, on nous a diffusé sans discontinuer le film
sur Le journal d’Anne Franck, c’est le pays
des drogues douces en libre-circulation [1], des
prostituées derrière leur vitrine comme un magasin, etc… les amateurs de foot
connaissent l’anecdote de ce joueur néerlandais, qui après un match contre
l’Allemagne, et après l’échange des maillots, fit mine de se torcher les fesses
avec le maillot allemand comme si la haine entre les deux pays était
irréductible après les souffrances de 40-45.
En réalité, tout - ou presque - est faux. La
Révolution aux Pays-Bas fut incomplète, comme en Angleterre, en ce sens qu’un
fort courant traditionaliste s’est maintenu et s’incarne aujourd’hui dans la
royauté ; l’hostilité aux principes libéraux de la Révolution française a
rendu possible l’alliance, apparemment contre-nature, entre les protestants les
plus intégristes et les catholiques les plus fondamentalistes qui ont créé un
parti unique : le parti antirévolutionnaire (XIX° siècle : "réveil" fondamentaliste aux Pays-Bas et création de l’Anti-Revolutionnaire Partij) qui a gouverné avant, pendant et après la 1ère guerre
mondiale, fermant les yeux sur l’esclavage dans les colonies néerlandaises,
effectuant une guerre impérialiste après la 2ème guerre mondiale
contre l’indépendance de l’Indonésie. Encore plus à droite, un parti carrément
nazi obtint 8,5% des voix nationales aux élections de 1935. En 1918,
l’ex-empereur Guillaume se réfugie aux Pays-Bas et y meurt de sa belle mort.
Etc…
Paresseusement, je recopie le synopsis de
l’article Wiki consacré à ce film pour pouvoir vous transmettre ce que je crois
essentiel comme enseignement apporté par cette œuvre de Paul Verhoeven. Lorsque la ferme où elle se cachait est détruite par une
bombe, Rachel rejoint une filière d'exfiltration de Juifs pour gagner la
Hollande-Méridionale, déjà libérée. Mais son groupe est intercepté par une
patrouille nazie dans le delta du Biesbosch. Échappant au massacre, elle prend
le nom d'Ellis de Vries et rejoint la Résistance, qui la charge d'infiltrer la
Gestapo en l'envoyant dans le lit de l'officier SS, le Hauptsturmführer Ludwig
Müntze. Mais Rachel (alias Ellis),
probablement suite à une trahison, est identifiée par la Gestapo qui continue
néanmoins de la laisser agir et, en outre, une ruse de ces nazis la fait passer
aux yeux de la Résistance pour une collaboratrice des Allemands : Rachel
se retrouve alors piégée et désavouée par ses amis résistants hollandais. Mais
un agenda noir — d'où le titre du film
en anglais — contient de lourds secrets et lui permet de prouver qu'elle
n'a pas trahi sa cause. Fin de citation.
Verhoeven
montre l’antisémitisme "conventionnel"
du peuple néerlandais par de petits détails [2]. Ellis de Vries a été
accueillie par une famille de fermiers calvinistes et le chef de famille lui
demande de prononcer la petite prière apéritive, ce qu’elle fait parfaitement
et l’homme de lui dire "c’est très
bien, tu as dis cela correctement et avec sincérité. Si votre peuple n’avait
pas tué le Seigneur, vous n’en seriez pas là. Mangeons". Vieille
accusation de déicide qui accompagnera les Juifs dans toute la chrétienté.
Autre exemple : les résistants se laissent prendre au piège de la Gestapo
(voir le synopsis) et lancent sur Ellis - qu’ils croient collabo- une avalanche
d’insultes "il fallait s’y attendre,
c’est une juive, (…), on ne peut pas compter sur eux, etc…".
Mais la collaboration des Néerlandais est dite
par le chef de la Gestapo allemande qui, lors d’un cocktail, lève son verre "à la loyauté de la Gestapo hollandaise"…
Comme toujours dans ces films dont le scénario repose sur des faits historiques
d’envergure, il faut éviter le documentaire ennuyeux. Et il faut montrer ces
faits par des gestes concrets. Le film
est plein de rebondissements, normal : il y a des collabos au sein du réseau
de résistance - comme le notaire Smaal - et Ellis, entrée en résistance, est
missionnée pour infiltrer le siège central de la Gestapo. Il y a donc des
scènes brûlantes, comme la rencontre, dans ce même siège gestapiste, de Ellis
et du notaire Smaal ! Chacun se demande ce que l’autre fait ici.
Un des thèmes du film est la filière assassine
mise au point par des Hollandais pro-nazis. Le notaire Smaal, le policier Van
Gein, d’autres encore qui pratiquent le double jeu, donnent un rendez-vous
nocturne à des juifs menacés, leur demandent de n’emporter que le strict
nécessaire et évidemment, de quoi vivre quelques mois, autrement dit leur
argent, bijoux, économies, etc... Les juifs rassemblés montent sur une barge et
pensent rejoindre la Belgique proche et déjà libérée, en fait les Allemands informés se
tiennent en embuscade et massacrent tous ces malheureux à la mitrailleuse ou au
pistolet -mitrailleur. Mais il s’agit aussi de crimes crapuleux car les
victimes sont dépouillées et l’on voit que les assassins sont des habitués :
ils n’hésitent pas une seconde : ils cherchent immédiatement sous les bas
des femmes (il s’agit des bas d’autrefois avec porte-jarretelles) où celles-ci
ont dissimulé leur billets de banques, dans le slip des hommes pour les mêmes
raisons, tout cela est assez abject. Au total, il y a là une véritable fortune accumulée
après chaque crime -dont de fort nombreux lingots d’or au point que l’on se
demande si Verhoeven ne tombe pas, à son
tour, dans l’antisémitisme conventionnel-. Et, happy end, on apprend à la fin du film que cette fortune servira à
monter un kibboutz en Israël.
Sur cette photo extraite du film, Ellis de Vries (magnifique prestation de Carice van Houten) chante
avec un lieutenant allemand dans lequel elle a reconnu le militaire qui
fit feu avec sa mitrailleuse sur la barge qui l'emportait, elle et ses
parents.
Terrible
épreuve pour cette résistante qui ne pense qu'à se venger pour
l'honneur de ses parents et de ses compagnons assassinés pour leur
argent.
Autre
fait, bien en rapport avec l’histoire religieuse de la Hollande : le
remords d’un membre du réseau, calviniste fondamentaliste, pour qui le sixième
commandement est un dogme, or il a été amené à tuer un collabo ! Il en
fait une maladie. D’autres Hollandais sont beaucoup moins regardants. Ainsi, le
personnage de Ronnie, belle rousse (cf. photo ci-dessous) qui sert à la fois de secrétaire à la
Gestapo et de fille de joie et qui dit à Ellis qu’après tout, Hollandais et
Allemands sont des cousins… germains, que la langue néerlandaise n’est qu’un
patois (sic) de la langue allemande. Autant d’avis partagés par des millions de
Néerlandais. Mais Ronnie basculera dans le bon sens grâce à l’exemple que lui
donne la conduite d’ Ellis.
Verhoeven
n’est pas tendre avec ses compatriotes lorsqu’il les met en scène pour les
fêtes de la Libération. La vengeance sur ceux que l’opinion publique accuse de
collaboration est bien montrée mais il y a la scène de la merde - comment
l’appeler autrement - qui est insupportable. Dans une usine désaffectée,
transformée en prison, se trouve un crochet sur pont-roulant qui emporte un
énorme creuset - sans doute était-ce utilisé par une fonderie - mais là les
accusés -dont Ellis- sont invités à verser leur seau d’excréments nocturnes
dans ce creuset et lorsque Ellis est prise à partie, seule contre tous,
quelqu’un manipule le creuset qui déverse son contenu sur la pauvre Ellis. En
revanche, le docteur Akkermans, leader du réseau, est applaudi en triomphateur
et héros de la nation alors que c’est un salopard qui, arrêté par les
Allemands, a finalement passé contrat avec eux : il a la vie sauve mais en
retour il provoquera l’extermination du réseau. Ce qui sera. Mais Ellis, survivante,
peut lui faire jeter le masque et il décide de s’en débarrasser. Combien
d’escrocs parmi les héros de la Résistance ? Verhoeven tient à nous
interpeller sur ce point. Alors qu’il y a un héros positif : l'officier SS, le
Hauptsturmführer Ludwig Müntze qui tombe
amoureux d’ Ellis, qui comprend que la guerre est perdue - les Russes sont à Berlin, dit-il - qui négocie avec le chef du
réseau la fin des exécutions d’otages si, en échange, le réseau cesse les
exécutions sommaires, etc… Allez, tous les SS n’étaient pas de mauvais
bougres ! la grande complexité de la situation explique les rebondissements
du scénario.
Verhoeven excelle dans la représentation des scènes bacchiques nazies.
Tout
cela fait un film d’aventures captivant, stressant, à voir. Mais
j’insiste sur
l’apport courageux du scénario : les Hollandais, même si leur reine
s’était
exilée en Angleterre, ont été de bons collabos, il y a à cela des
raisons
historiques que j’ai simplement évoquées en introduction. Colijn qui fut
deux fois premier ministre durant l'entre-deux-guerres, publia un
bouquin intitulé "Op de grens van twee
werelden", un opuscule - au titre
français de A la frontière de deux
mondes - dans lequel il clame « sa conviction dans la victoire inéluctable
de l’Allemagne et la nécessité de collaborer avec le puissant voisin ». Mais Il y eut aussi une
bonne résistance et lors d’un "pot de victoire", les résistants portent un toast "à la reine !"
sauf un qui est communiste. Là aussi saluons le courage de Verhoeven qui ose
évoquer le rôle du PC hollandais. Il y
aura d’autres articles en bonne et due place.
Après la fin de la guerre
d’Indonésie condamnée par l’ONU, il fallut changer l’image de la Hollande aux
yeux des Européens pour justifier sa place dans l'OTAN et dans le camp de la liberté.
Liberté américaine. Ce film remet les choses en place.
voir aussi : L’entre-deux-guerres aux Pays-Bas et le désastre juif durant la 2ème guerre
[1]
Peut-être aussi des drogues dures, je ne me suis pas renseigné.
[2]
Dans son livre sur « les crimes de la Wehrmacht » (Perrin éditeur), Wolfram
Wette distingue l’antisémitisme conventionnel,
assez difficile à définir mais que l’on peut saisir en le comparant à
l’antisémitisme éliminationniste
(concept créé par J. Goldhagen) qui, lui, est carrément nazi.